Editeur : Montparnasse, juin 2010. 20 €

 

Suppléments

  • Un film américain de Luis Buñuel : entretien avec Charles Tesson.
  • À sa main : entretien avec Philippe Rouyer.

 

Dans un petit village, à la frontière du Brésil, arrive Shark, un aventurier, au moment où des chercheurs de diamants, dépossédés de leurs places, se préparent à attaquer la petite garnison gouvernementale. Accusé de vol, Shark est arrêté au moment où éclate la révolte, ce qui lui permet de s'évader. Mais l'avantage passe aux militaires et ceux qui étaient mêlés à l'incident doivent fuir vers le Brésil en s'enfonçant dans la forêt vierge...

Bunuel accepte cette coproduction Italiano-franco-méxicaine en pleine période mexicaine. C'est son deuxième film en couleur après Robinson Crusoé et il a déjà dirigé George Marchal dans son film précédent, Cela s'appelle l'aurore. Luis Alcoriza, son scénariste, dont c'est la huitième et avant dernière participation aux filmx de Bunuel (dont El et Los Olvidados) adapte un livre publié en 1954 de José-André Lacour.

La coproduction française impose des stars pour pouvoir vendre à l'international. S'expliquent ainsi les présences, outre celle de Georges Marchal, de Simone Signoret et Charles Vanel. En revanche, Michel Piccoli, alors peu connu, intrigue pour obtenir le rôle du père Lizardi. Ce sera une vraie rencontre qui préfigure la période française de Bunuel. Pour Piccoli, Bunuel change le film et transforme le père Lizardi, 45 ans et rondouillard dans le livre, en un fringuant trentenaire.

Bunuel se donne les moyens de réapproprier plus complétement encore cette coproduction internationale. Il se lève à deux heures tous les matins pour écrire des scènes qu'il fait réécrire en bon français au petit matin. Il fera aussi venir Queneau pendant quinze jours. Bunuel transforme ainsi un scénario humaniste en un film aux personnages singuliers amenés à évoluer (voir : critique complète).

 

Un film américain de Luis Buñuel : entretien avec Charles Tesson

Le cadre hustonien est déstabilisé avec une dimension proche de Stroheim (un écho des Rapaces avec les bijoux de l'avion et la convoitise qui conduit à s'entre-déchirer pour cela). Bunuel a toujours été sensible à la capacité de l'homme pour s'auto détruire, ce que Deleuze nomme l'entropie dégradante. L'avion apporte la nourriture, les robes, des biens que l'on voit, des cadavres que l'on ne voit pas.

Il y a aussi dans ce film classique une réminiscence de L'âge d'or par un effet sonore. Ainsi ce plan sur les champs Elysées avec leur circulation et les sons afférents alors que l'on est dans la jungle depuis une demi-heure. L'effet sonore est le même que dans L'âge d'or avec un terrible effet surréaliste : Castin parle de Marseille et Bunuel balance les Champs Elysées de Paris, la ville où lui, Bunuel, a vécu et qu'il adore.

Le film annonce la partie française de l'eouvre de Bunuel avec l'acteur qui l'incarnera, Piccoli. Bunuel s'attaque aux grands pouvoirs symboliques et institutionnels : l'armée et l'église. Il déteste le rôle politique de la religion mais la foi est une notion opaque et complexe et la pompe catholique le passionne comme un rituel qui n'a d'égal, chez lui, que celui de la table, autre cérémonial.

Nous ne sommes pas dans le jardin d'Eden même si la mère de Lizardi se prénomme Marie, que l'héroïne se prénomme Maria et qu'il y a un serpent. La décomposition charnelle est aussi un état de civilisation. Hitchcock aimait beaucoup la jambe de Viridiana : le sac de Lizardi fait penser au sac à main de Marnie. Chez Hitchcock, voir le sac à main d'une femme est une forme de viol. Ici, on a plutôt une magie des choses qui sortent des sacs.

À sa main : entretien avec Philippe Rouyer

Deuxième film en couleur de Bunuel après Robinson Crusoé en pleine période mexicaine et juste près Cela s'appelle l'aurore avec le même Georges Machal. Luis Alcoriza, scénariste dont c'est le huitième participation aux films de Bunuel sur les neuf (dont El et Los Olvidados), adapte le livre éponyme publié en 1954 de José-André Lacour.

Le film est coproduit par la France avec des stars pour pouvoir vendre à l'international. Marchal, Signoret et Vanel sont imposés par la production. Piccoli intrigue pour avoir le rôle et ce sera une vraie rencontre, une amitié qui donnera aussi six films en commun. Bunuel garde les deux parties du livre, mineurs en grève puis fuite de la jungle mais transforme le père Lizardi, 45 ans et rondouillard dans le livre, pour l'adapter au charisme de Piccoli.

Bunuel se lève à deux heures pour écrire des scènes qu'il fait réécrire en bon français au matin et fait venir Queneau pendant quinze jours. Celui-ci écrivit une
scène non conservée : les soldats arrivent et Djin passe d'un à six savons. Dans le roman, il n'y a pas de héros mais des points de vus successif sur tous les personnages qui trouvent tous la grâce, même Shark, décrit comme allemand, ancien SS qui se serait spécialisé dans la chasse aux juifs. Ici Shark sort de la profondeur de champ arrivant à pied avec son cheval.

Dans L'Ange exterminateur, c'est la jungle entre dans le salon, ici, le salon entre dans la jungle. Scénario humaniste, personnages singuliers amenés à évoluer et non pas des stéréotype qui s'accommodent de scènes d'action qui sont mises ne valeur. Bottines après El et Le journal d'une femme de chambre sexuel et fin classique du film d'aventure, le plus fort avec la plus faible.

Faire un recadrage à l'intérieur du plan va plus vite que de faire une nouvelle installation lumière, tournage de 25 jours.

Analyse de la séquence où le père Lizardi entre dans le bar.

Il porte sa chasuble de prêtre mais avec une élégance coloniale (costume blanc avec chapeau et bottes) et la trentaine fringante. La montre offerte par les raffineries du nord est le symbole de sa liaison avec le pouvoir colonial.

Il reste au milieu du plan et de face lorsque ce sont les autres qui parlent. Pas de champ contre champ mais lui en plan large et lui en plan rapproché. Entrée la plus glorieuse que l'on puisse imaginer marque son emprise sur le débat. Pourtant, Bubuel avait prévenu Piccoli : "ton personnage c'est un con, il rate tout ce qu'il entreprend..

Analyse de la séquence où le père Lizardi déchire les pages de son missel

Voilà ce que l'on fait du héros : il ne deviendra émouvant que lorsqu'il renoncera à sa condition de prêtre pour devenir un homme. Déchire son missel pour allumer le feu.

 

Ciné-club de Caen

 
présentent
 
La mort en ce jardin de Luis Bunuel