Jeanne au bûcher
(Roberto Rossellini,1954)
Le Soulier de satin
( Manuel de Oliveira, 1984)

Biographie

Paul Claudel, né le 6 août 1868 à Villeneuve-sur-Fère dans l'Aisne, mort le 23 février 1955 à Paris, est un dramaturge, poète, essayiste et diplomate français. Il fut membre de l'Académie française. Il était le frère de la sculptrice Camille Claudel.

Paul Claudel découvre Arthur Rimbaud par les Illuminations. Il qualifia ce jeune poète de « mystique à l'état sauvage », (il laissera une trace éclatante de ce passage dans Tête d'or).

Paul Claudel, selon ses dires, baignait, comme tous les jeunes gens de son âge, dans « le bagne matérialiste du scientisme de l'époque ». Il se convertit au catholicisme en assistant en curieux aux vêpres à Notre-Dame de Paris durant Noël 1886. « J'étais debout, près du deuxième pilier, à droite, du côté de la sacristie. Les enfants de la Maîtrise étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. En un instant mon cœur fut touché et je crus. » Sa foi catholique devient dès lors essentielle dans son œuvre qui chantera la création : « De même que Dieu a dit des choses qu'elles soient, le poète redit qu'elles sont. » Cette communion de Claudel avec Dieu a donné ainsi naissance à près de quatre mille pages de textes. Il y professe un véritable partenariat entre Dieu et ses créatures, dans son mystère et dans sa dramaturgie, comme par exemple dans Le Soulier de satin et L'Annonce faite à Marie.

Diplomate, il exerce partout dans le monde.Il est consul à Prague, Francfort, Hambourg. Ministre plénipotentiaire à Rio de Janeiro, Copenhague. Ambassadeur de France à Tokyo de 1921 à 1927, Washington de 1927 à 1933. Il termine sa carrière à Bruxelles en 1935.

Avec Maurice Garçon, Charles de Chambrun, Marcel Pagnol, Jules Romains et Henri Mondor, il est une des six personnes élues le 4 avril 1946 à l'Académie française lors de la deuxième élection groupée de cette année visant à combler les très nombreuses places vacantes laissées par la période de l'Occupation. Il est reçu le 13 mars 1947 par François Mauriac au fauteuil de Louis Gillet

Il était le frère cadet de la sculptrice Camille Claudel. D'origine bourgeoise provinciale, Paul Claudel est né à Villeneuve-sur-Fère, en 1868, sur les confins de la Champagne et des Ardennes. Il arrive à Paris avec sa mère et sa sœur en 1882, où ils habiteront boulevard de Port-Royal jusqu'en 1892. De famille catholique, il perd la foi jeune et la retrouve à l'âge de dix-huit ans, le jour de Noël, le 25 décembre 1886, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, lors d'une illumination subite. Sa vie de diplomate, de 1893 à 1936, le conduit à séjourner presque constamment à l'étranger dans divers pays, consul de France à Prague, Francfort, Hambourg, ministre plénipotentiaire à Rio de Janeiro, à Copenhague, ambassadeur de France à Tokyo de 1921 à 1927, à Washington, enfin à Bruxelles, de 1933 à 1935, où se terminera sa brillante carrière.

En 1940, il voit d'abord une délivrance dans les pleins pouvoirs conférés par les députés à Pétain. Il note dans son Journal (Vue de la France au 6 juillet 1940) :

« La France est délivrée après soixante ans de joug du parti radical et anticatholique (professeurs, avocats, juifs, francs-maçons). Le nouveau gouvernement invoque Dieu et rend la Grande-Chartreuse aux religieux. Espérance d'être délivré du suffrage universel et du parlementarisme. »
Toutefois, le spectacle de la collaboration avec l'Allemagne l'écœure bientôt. En novembre 1940, il note dans le même Journal : « Article monstrueux du cardinal Baudrillart dans La Croix nous invitant à collaborer 'avec la grande et puissante Allemagne' et faisant miroiter à nos yeux les profits économiques que nous sommes appelés à en retirer ! (...) Fernand Laurent dans Le Jour déclare que le devoir des catholiques est de se serrer autour de Laval et de Hitler. — Les catholiques de l'espèce 'bien-pensante' sont décidément écœurants de bêtise et de lâcheté.»

Dans le Figaro du 10 mai 1941, il publie encore des Paroles au Maréchal (désignées couramment comme l' Ode à Pétain) qui lui sont souvent reprochées. La péroraison en est : « France, écoute ce vieil homme sur toi qui se penche et qui te parle comme un père./ Fille de saint Louis, écoute-le ! et dis, en as-tu assez maintenant de la politique ?/ Écoute cette voix raisonnable sur toi qui propose et qui explique. » Henri Guillemin (critique catholique et grand admirateur de Claudel, mais non suspect de sympathie pour les pétainistes) a raconté que, dans un entretien de 1942, Claudel lui expliqua ses flatteries à Pétain par l'approbation d'une partie de sa politique (lutte contre l'alcoolisme, appui aux écoles libres), la naïveté envers des assurances que Pétain lui aurait données de balayer Laval et enfin l'espoir d'obtenir une protection en faveur de son ami Paul-Louis Weiller et des subventions aux représentations de l'Annonce faite à Marie. À partir d'août 1941, le Journal ne parle plus de Pétain qu'avec mépris.

La vie littéraire de Claudel, qu'il avait conduite parallèlement à sa carrière diplomatique, s'épanouira glorieusement, au terme de son rôle de diplomate, dans sa propriété de Brangues, aux confins de la Savoie et du Dauphiné. Ses conceptions, en étroit rapport avec ses idées religieuses, l'incitent à préciser le rôle du poète dont le langage doit traduire l'unité fondamentale du monde des choses et de l'esprit, correspondant à une véritable co-naissance abolissant la contradiction objet-sujet. C'est dire l'indéniable dimension philosophique de son œuvre, qui reste à redécouvrir sous cet aspect.

Il est enterré dans le parc du château de Brangues ; sa tombe porte cette curieuse épitaphe : « Ici reposent les restes et la semence de Paul Claudel. »

Bibliographie : Paul Claudel site à consulter absolument



Le Théâtre de Paul Claudel


1887 : L'Endormie (première version)
1888 : Fragment d'un drame
1890 : Tête d'or (première version)
1892 : La Jeune Fille Violaine (première version)
1893 : La Ville (première version)
1894 : Tête d'or (deuxième version) ; L'Échange (première version)
1899 : La Jeune Fille Violaine (deuxième version)
1901 : Le Repos du septième jour
1906 : Partage de midi (première version)
1911 : L'Otage, drame en trois actes
1912 : L'Annonce faite à Marie (première version)
1917 : L'Ours et la Lune
1918 : Le Pain dur, drame en trois actes
1919 : Les Choéphores d'Eschyle
1920 : Le Père humilié, drame en quatre actes
1920 : Les Euménides d'Eschyle
1920 : Protée, drame satirique en deux actes (première version)
1929 : Le Soulier de satin
1933 : Le Livre de Christophe Colomb, drame lyrique en deux parties
1939 : Jeanne d'Arc au bûcher
1939 : La Sagesse ou la Parabole du destin
1942 : L'Histoire de Tobie et de Sara, moralité en trois actes
1947 : L'Endormie (deuxième version)
1948 : L'Annonce faite à Marie (deuxième version)
1949 : Protée, drame satirique en deux actes (deuxième version)
1954 : L'Échange (deuxième version)

 


Partage de midi
1906

Partage de Midi est un drame en trois actes, qui porte partout les marques du haut style tout en mêlant avec la liberté du grand art plusieurs niveaux de langage. Il est écrit en vers libres, c'est-à-dire, selon Claudel lui-même, des vers qui, "s'ils ne peuvent se scander", présentent une unité respiratoire, musicale, intelligible, émotive.

Ce drame met aux prises quatre personnages : Ysé - seule femme - et trois hommes : de Ciz, son mari, Amalric, son amant, et Mesa, sa passion. Son sujet, tel que la citation d'Osée (11, 4), qui en est la clé secrète, le donne à comprendre dans la Préface de 1948, est la souffrance du jeune Mesa qu'une passion amoureuse destructrice reconduit paradoxalement à Dieu, après qu'une fausse vocation monastique l'en avait éloigné.


Le premier acte rassemble sur le pont d'un paquebot les quatre personnages qui se rendent en Chine. C'est midi et le soleil est aveuglant, mortel. Commence un huis clos symbolique. Quelque part au milieu de la mer et de la vie, quatre personnages passent la ligne sans retour. Trois aventuriers et un fonctionnaire aux beaux jours du colonialisme, croirait-on tout d'abord, car la pièce commence par une comédie de mœurs qui sert d'allumage au drame qui va suivre. Ciz s'apprête à exploiter le fonctionnaire qui s'intéresse à sa femme, tandis qu'Amalric, qui regrette de ne pas l'avoir épousée dix ans plus tôt, tente aussi sa chance, mais comprend vite que son heure n'est pas encore venue. Au contraire, Mesa se prend de passion immédiate et dévorante pour la blonde Ysé à qui il confie son désarroi : quand il a voulu se faire moine, Dieu l'a rejeté, et voilà que, le péché venant s'ajouter à l'humiliation, il s'éprend maintenant d'une femme interdite ! Or, comme cette femme véritablement fatale - et elle seule - a la clé de son âme, "le chemin de Dieu se trouve barré par un obstacle irréductible", écrit Claudel dans sa préface tardive. Cet obstacle est le sacrement du mariage. Ysé est une femme mariée.

Le deuxième acte se passe quelques jours après le débarquement à Hongkong, dans un cimetière. Une référence claire à Hamlet, le collage de citations tirées tant de Pierre Loti que des Évangiles, et surtout une parenté troublante avec les amours adultères de David et de Bethsabée rendent l'arrière-plan moins évidemment réaliste que le navire de l'acte précédent. Tandis que Ciz hésite à risquer sa vie dans un voyage où l'attirent des affaires lucratives, mais louches et dangereuses, Mesa et Ysé se déclarent leur passion dans un grand duo opératique. Ils complotent contre Ciz, et parviennent à le décider à partir, espérant s'en débarrasser définitivement (comme le roi David s'arrange à faire mourir à la guerre Urie, le mari de Bethsabée). L'acte se termine sur une citation blasphématoire des Évangiles (Matt. 15, 28) qui achève de camper Mesa en faux ami et en traître, tandis qu'Ysé avait su retrouver, pour condamner son mari, les termes du reniement de saint Pierre (Matt. 26, 72). Dans cet acte, la passion survoltée des amants est donc entièrement soumise à l'attraction du mal et de la mort. C'est le moment où, comme dit l'auteur, "la chair désire contre l'esprit".

En dépit du bruit et de la fureur d'une insurrection qui menace les Européens du Sud de la Chine, le troisième acte transpose l'action sur le plan des fins dernières. La proposition essentielle du drame se fait jour : "la cause de l'esprit qui désire contre la chair" sera désormais plaidée "dans toute son atrocité" et "jusqu'à épuisement du dossier". C'est le soir et bientôt la nuit. Retirée chez elle, Ysé attend le retour de son homme, cet Amalric avec qui elle s'est mise en ménage. On entend pleurer dans une autre chambre l'enfant qu'elle a eu de Mesa, un Mesa qu'elle a plaqué au moment où ils se sont résolus à se quitter momentanément pour qu'elle puisse cacher sa grossesse (les relations affichées du consul Claudel et de Mme Vetch avaient scandalisé dans la colonie française de Fou-tcheou). Ysé fait le point sur sa liaison passée - mortifère, mais flamboyante -, tandis qu'Amalric lui annonce qu'ils vont sauter tout à l'heure dans leur maison minée : mieux vaut mourir que de tomber aux mains des insurgés (les Boxers, sans doute). Il sort pour mettre la dernière main aux préparatifs de l'explosion, et c'est alors Mesa qui entre, venu on ne sait d'où pour la sauver, elle et leur fils. Il lui adresse les reproches les plus amers, auxquels elle oppose un mutisme total. La scène qu'on devine en soi interminable est finalement interrompue par le retour d'Amalric. Sommée de choisir entre ses deux amants, c'est lui qu'Ysé décide de suivre. Sa trahison est confirmée. Les deux hommes en viennent aux mains. Amalric a le dessus. Le couple opportuniste abandonne Mesa blessé après l'avoir dépouillé de son laissez-passer et s'être abaissé jusqu'à lui fouiller les poches. Au moment où elle veut l'emporter avec elle, Ysé s'aperçoit que son enfant est mort. Mesa, qui demeure seul dans la maison minée, s'adresse à Dieu en un monologue familier et sublime à la fois. Il s'interroge sur le sens de sa vie, de sa passion, examine sa conduite, confesse son péché, implore enfin de mourir. Ysé réapparaît soudain. Sur un coup de tête, semble-t-il, elle a abandonné Amalric. Comme entre-temps Ciz est mort, ce qui lève l'interdit qui pesait sur l'union des amants catholiques, ils s'épousent à l'article de la mort dans un rituel où la passion profane et profanatrice se mêle indissociablement à la foi la plus ardente et aux sacrements mêmes de l'Église. Le rideau tombe au moment où Mesa achève de dire cette "messe d'août" à laquelle ils fournissent, en mourant réellement, le corps et le sang d'un sacrifice symbolique. Le comble de l'exaltation amoureuse et religieuse est alors atteint en une véritable apothéose de l'amour, et personne ne doute, dans la salle, que de tels amants, qui jubilent de se livrer aux puissances du feu et de la nuit, sont entrés tout vifs dans l'au-delà.

La première version de Partage de midi (1905) a été éditée à compte d'auteur en 1906 par la Bibliothèque de l'Occident qui en a donné un tirage limité à 150 exemplaires dont la plupart furent adressés sous le sceau du secret à un cercle restreint d'amis de l'auteur. Par discrétion et scrupule, Claudel s'est longtemps interdit de répandre son œuvre en France. Une édition publique de ce texte sera publiée au Mercure de France en 1948 seulement, c'est-à-dire au moment où Claudel donne sa pièce à Barrault. Il s'était alors réconcilié depuis longtemps avec Rosalie Lintner - il lui versait une pension à elle et à leur fille Louise -, il avait écrit Le Soulier de satin inspiré lui aussi (mais de plus loin) de la passion de Fou-tcheou, il l'avait fait jouer. Ayant finalement accepté de monter Partage, y travaillant avec Jean-Louis Barrault, il a ressenti le besoin de donner un portrait moins inéquitable d'Ysé, de débarrasser le texte de son "accoutrement lyrique", et de donner une fin édifiante à l'aventure. Ni le sens, ni l'art des nouvelles versions qu'il écrit alors dans l'urgence de la représentation scénique ne sont plus les mêmes. D'une part, il a voulu que le drame tourne à la parabole. D'autre part, il a fait disparaître de son écriture les marques - ou les stigmates, comme on veut - de l'expressionnisme.

Si l'on oublie quelques représentations parisiennes furtives et fugitives, on peut dire que le drame fut représenté officiellement pour la première fois en France par Jean-Louis Barrault le 16 décembre 1948. Edwige Feuillère tenait le rôle d'Ysé, Jean-Louis Barrault celui de Mesa, Pierre Brasseur jouait Amalric, Jacques Dacqmine était de Ciz.

Source : Antoinette Weber-Caflisch (Université de Genève) avec commentaires, analyse des différentes versions et interprétation de l'oeuvre.

 

dvd aux éditions Montparnasse 1976. Mise en scène d'Antoine Vitez captée par Jacques Audoir. Avec : Michel Aumont (Amalric) ; Patrice Kerbrat (Mesa) ; Jérôme Deschamps (De Ciz) ; Ludmila Mikaël (Ysé). 1h54.


Le Soulier de satin
1929

Doña Prouhèze offre à la Vierge son soulier de satin, afin que "si elle s’élance vers le mal, elle le fasse du moins d’un pied boiteux", par Manoel de Oliveira en 1984 et Olivier Py en 2003

ou Le pire n'est pas toujours sûr, action espagnole en quatre journées créée partiellement en 1943 par Jean-Louis Barrault et en version intégrale en 1987.

La pièce est divisée en quatre parties appelées, sur le modèle du théâtre espagnol, « journées ».

Première journée : L’action se déroule à l’époque des grandes découvertes lorsque les caravelles des conquistadores sillonnaient les mers.

Le hasard a jeté, à la suite d’un naufrage, le jeune Don Rodrigue de Manacor sur la côte africaine ; le premier visage qui s’est offert à lui lorsqu’il a ouvert les yeux a été celui de Doña Prouhèze, l’épouse de Don Pélage, gouverneur général des Présides. Un amour absolu est né entre les deux jeunes gens.

Incapable de résister plus longtemps à la voix de Rodrigue qui l’appelle, Doña Prouhèze profite d’un voyage en Espagne pour faire parvenir à Rodrigue une lettre : elle lui donne rendez-vous dans une auberge, au bord de la mer, en Catalogne. Dans le même temps, Don Camille, un cousin de Don Pélage, aventurier sans foi ni loi, presse la jeune femme de partir avec lui dans la citadelle de Mogador où il doit rejoindre son commandement. Loin de s’émouvoir du refus qu’il essuie, Don Camille, comme s’il avait accès aux secrets de la Destinée, donne rendez-vous à Prouhèze en Afrique.

Avant de quitter la maison de son époux, accompagnée du fidèle Don Balthazar chargé par Don Pélage de veiller sur la jeune femme, et de partir rejoindre Rodrigue, Doña Prouhèze, dans le mystère d’une prière, offre à la Vierge son soulier de satin, afin que, dit-elle, si elle s’élance vers le mal, elle le fasse du moins d’un pied boiteux. Et, bien décidée à prendre en défaut l’attention de Don Balthazar, sourde à la voix de son Ange Gardien, Prouhèze, déguisée en homme, court rejoindre celui qu’elle aime.

Mais le rendez-vous n’aura pas lieu car, dans la nuit, sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle, Rodrigue a été blessé par de faux pèlerins dans le désert de Castille et transporté mourant dans le château de sa mère Doña Honoria.

Parallèlement à cette intrigue, Doña Musique, une nièce de Don Pélage, part de son côté, chaperonnée par la noire Jobarbara et guidée par un fantasque Sergent Napolitain, à la rencontre d’un mystérieux vice-roi de Naples.

Deuxième journée : Doña Prouhèze passera quelque temps près de Rodrigue dans le château de Doña Honoria mais elle s’interdira la chambre du blessé. C’est là que Don Pélage arrive bientôt porteur d’une mission pour la jeune femme : prendre le commandement de Mogador, sur la côte africaine, où Don Camille est soupçonné de jouer un double jeu. Doña Prouhèze part aussitôt sans avoir revu Rodrigue. Lui-même, à peine rétabli, prend la mer dans le sillon du bateau de la jeune femme. Le roi l’a chargé de porter une lettre au nouveau commandeur de Mogador…

On découvre alors que le chimérique vice-roi de Naples existe bel et bien ; entouré de ses amis les plus proches, il devise dans la campagne romaine, sur l’art et l’église catholique ! Et très bientôt, il rencontrera Doña Musique rescapée d’un naufrage ; et les jeunes gens passeront leur première nuit au cœur de la forêt vierge sicilienne ! Apparaît, à ce moment-là, saint Jacques, dont la constellation, clef de voûte de l’océan, illumine la nuit de ceux que l’abîme sépare et console les deux amants qui se « fuient à la fois et se poursuivent ».

Lorsqu’il arrivera à Mogador, Rodrigue ne sera pas reçu par Doña Prouhèze. Elle n’ouvrira même pas la lettre royale mais écrira au dos, en guise de réponse : « Je reste, partez ». Et elle confie à Don Camille, l’apparent vainqueur du moment, le soin de la rendre avec une ironie cinglante à Rodrigue. Pourtant sur les remparts de Mogador, tandis que l’envoyé du roi regagne ses appartements, une femme tout à coup se met à le précéder et ils s’enlacent dans une étreinte qui n’aura duré qu’une seconde seule. Là-haut dans le ciel, la Lune contemple cette ombre double qui, toute éphémère qu’ait été son existence « fait partie pour toujours des archives indestructibles » !

Troisième journée : Doña Musique a suivi son mari, le vice-roi de Naples, à Prague et nous la retrouvons, enceinte du futur Jean d’Autriche et entourée de quatre saints, en train de prier pour la paix au cœur de l’Europe, dans l’église Saint Nicolas du quartier de la Mala Strana.

Doña Prouhèze, de son côté, devenue veuve de Don Pélage, abandonne son corps à Don Camille en l’épousant pour des raisons stratégiques de pouvoir. Don Rodrigue, désormais vice-roi des Indes occidentales, mène dans son palais délabré de Panama une vie amère, entouré d’une cour sans faste ni gaieté. Sa maîtresse, Doña Isabel complote pour écarter cet amant qui ne l’aime pas et voir passer le pouvoir dans les mains de son matri Don Ramire.

Seule à la tête de la forteresse de Mogador, Prouhèze, dans la détresse d’un jour de trop grande souffrance, envoie une lettre à Rodrigue dans laquelle elle lui demande de la délivrer de Don Camille. Cette « lettre à Rodrigue » va devenir une véritable légende sur les mers entre le vieux et le nouveau monde. Portant malheur à tous ceux qui la touchent, elle va mettre dix ans, passant d’un continent à l’autre, avant de parvenir entre les mains de son destinataire et coûter la vie au passage à Don Leopold Auguste, le vieil universitaire réactionnaire amoureux de la grammaire.

C’est cette lettre qui va servir d’arme à Doña Isabel pour écarter Rodrigue de Panama car aussitôt Rodrigue part pour Mogador afin de délivrer Prouhèze. En réalité, la délivrance de Prouhèze, son Ange Gardien vient le lui annoncer dans la nuit, ce sera la mort.

Lorsqu’elle monte à bord de la caravelle de Rodrigue, ce n’est donc pas pour partir avec lui mais pour confier à Rodrigue Marie des Sept-Épées, la fille qu’elle a eu de Camille. Quant à elle, elle retourne à terre où tout est prêt pour qu’à minuit saute le citadelle de Mogador. Dans la mort, Prouhèze deviendra « une étoile éternelle » pour Rodrigue.

Quatrième journée : Toute la quatrième « journée » du Soulier de satin se déroule quelque dix années plus tard sur la mer, à large des îles Baléares, et nous fait découvrir tout un monde de pêcheurs, de matelots, de conquistadors épuisés, de courtisans aussi ridicules qu’obséquieux. Frappé de disgrâce pour avoir abandonné l’Amérique, Don Rodrigue, vieilli, ayant perdu une jambe en combattant les Japonais, gagne sa vie en peignant des « feuilles de saints », grossières images pieuses vendues aux matelots qu’il croise. Doña Sept-Épées, sa fille spirituelle, essaie de réveiller l’esprit d’aventure du vieux conquistador et l’entraîner avec elle ainsi que sa fidèle amie, la Bouchère, à l’assaut des places fortes de Barbarie pour délivrer les chrétiens des bagnes d’Afrique du nord. Mais Rodrigue est bien davantage sensible à une autre voix féminine, celle d’une fausse Marie Stuart, une comédienne envoyée par le Roi d’Espagne qui rêve d’humilier Rodrigue dont le vieux rafiot offusque sur la mer la majesté de la cour flottante. Elle a pour mission de l’engager à venir gouverner avec elle l’Angleterre alors même que l’Espagne vient de voir tous ses rêves de gloire et de puissance anéantis par la terrible défaite de l’Invincible Armada.

Convoqué devant le Roi, Rodrigue s’enflamme imprudemment en de grands et généreux projets. Il est aussitôt arrêté pour haute trahison et vendu comme esclave. C’est une vieille sœur glaneuse qui le prendra avec une brassée de vieux vêtements et d’objets hétéroclites, vieux drapeaux et pots cassés, au moment même où l’on entend des trompettes et un coup de canon dans le lointain qui annonce que Marie des Sept-Épées vient d’atteindre le bateau de celui qu’elle aime, Jean d’Autriche, le futur vainqueur de Lépante.

Représenter Le Soulier de satin peut sembler être une gageure, tant Paul Claudel a composé cette œuvre « testamentaire », « laboratoire d’essais et de découvertes » en toute liberté, pleinement maître de son art : quatre Journées, soixante-treize personnages, une action qui se déroule sur une vingtaine d’années, des dizaines de décors différents, dix heures de spectacle en perspective, sans tenir compte des difficultés d’interprétation liées aux indications scéniques. Mais peut-être ce foisonnement de tons, d’intrigues, de correspondances, et d’oppositions au sein de l’œuvre, rend-il la scène nécessaire pour incarner ce monde, et le metteur en scène, tel un chef d’orchestre, réalise-t-il l’accord et l’harmonie entre ces éléments et se donne la tâche impossible de représenter la séparation et l’absence inscrits au cœur du drame. Chacun a la charge de recomposer la figure formée par les différentes intrigues de cette œuvre de la modernité que le poète n’a pas unifiée à dessein, comme le dit le personnage de Doña Musique : « De tous ces mouvements épars je sais bien qu’il se prépare un accord, puisque déjà ils sont assez unis pour discorder. »

1943 : Jean-Louis Barrault Avec Jean-Louis Barrault (Rodrigue), Marie Bell (Prouhèze), Madeleine Renaud (Musique), Aimé Clariond (Camille), Pierre Dux (L’Annoncier), Yonnel (Pélage).
Les critiques soulignent la sensualité de Marie Bell, et la fougue de Jean-Louis Barrault, mais sont surtout sensibles à la force visuelle et plastique du spectacle qui fait intervenir le chant, la musique, composée par Arthur Honegger, la danse, l’art pictural avec les décors et costumes de Lucien Coutaud. Le succès des représentations est phénoménal, à tel point que la police est parfois obligée de rétablir l’ordre dans la queue devant les guichets pris d’assaut. La portée du spectacle est immense, au sortir de la guerre, c’est une reconnaissance officielle pour le théâtre d’art et pour celui de Paul Claudel.

Dès 1944, Der seidene Schuh, traduit par Hans Urs von Balthasar, est représenté à Zürich dans une mise en scène de Kurt Horwitz qui a abrégé le texte, et par la suite la pièce est représentée presque chaque année en Allemagne, en Suisse ou en Autriche, par des dizaines de troupes différentes, qui n’hésitent pas à jouer la Quatrième Journée ou des scènes réputées injouables en France.

1949, la pièce est reprise à la Comédie-Française sans Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault.

1959 : la compagnie Renaud-Barrault reprend le spectacle de 1943 à peu près à l’identique avec Simone Valère dans le rôle de Musique, Jean-Louis Barrault dans celui de Rodrigue, Catherine Sellers dans le rôle de Prouhèze.

1963 : la compagnie Renaud-Barrault crée un spectacle avec de nouvelles scènes qui sont jouées dans un décor agencé autour d’un autel créé par Lucien Coutaud, Rodrigue est interprété par Samy Frey et Prouhèze par Geneviève Page.

1965 : Hubert Gignoux met en scène à Nancy Le Soulier de satin dans une mise en scène dynamique et dépouillée au Centre dramatique de l’Est. Lui-même interprète Pélage, Catherine Coderey, Prouhèze, Jacques Born, Rodrigue.

En 1966 et 1967, des étudiants enthousiastes mettent en scène à Nanterre sous la direction de Michel Autrand la Quatrième Journée dans son intégralité. En 1968, sur un mur de la faculté de Nanterre, on peut lire l’inscription « Plus jamais Claudel » transformée en « Plus que jamais Claudel ». Dans les années qui suivent, des voix s’élèvent pour demander une mise en scène intégrale de la pièce.

En 1972, Jean-Louis Barrault interprète le Rodrigue vieilli de cette Quatrième Journée dans une mise en scène de Jean-Pierre Granval. En 1980, ils donnent une version plus complète nommée « drame intégral », diffusée à la télévision en 1982 et 1985.

En 1984, alors qu’il réalise une « tétralogie des amours frustrées », Manoel de Oliveira met en scène sa version de la pièce dans un film, avec Luis Miguel Cintra en Rodrigue, Patricia Barzy en Prouhèze, Jean-Pierre Bernard en Camille, Anne Consigny en Sept-Epées. Manuel de Oliveira opère un détour par la peinture, et met en scène Le Soulier de satin comme une œuvre visionnaire de la culture européenne. Il s’agit d’un film frontal, dont le cadre est souvent souligné, le réalisateur a banni les contrechamps pour mettre en lumière la séparation entre les amants. L’acteur face à la caméra, omniprésent, rend perceptible la densité du personnage, alors que l’éclatement des lieux et la dilatation temporelle sont accentués par le passage à l’écran. Le comique de la pièce est atténué, tandis que la beauté plastique et l’intensité dramatique exceptionnelles délivrent la lecture de l’œuvre que propose Manuel de Oliveira : pour avoir, il faut savoir donner. La critique cinématographique est unanime pour saluer dans ce film, au mouvement épique et intime, une aventure magistrale.


En 1987, Antoine Vitez, rendant un vibrant hommage à Jean-Louis Barrault qui avait frayé la voie avant lui, se lance dans l’aventure : mettre en scène une version quasi intégrale du Soulier de satin. Lui-même interprète Pélage, Ludmila Mickaël, Prouhèze, Didier Sandre, Rodrigue, Robin Renucci, Camille, Valérie Dréville, Doña Sept-Epées, Jany Gastaldi, Doña Musique. Dans cette distribution, il entend représenter son itinéraire théâtral, travailler sur la relation humaine au théâtre. Pour pouvoir représenter la pièce intégralement, les acteurs se répartissent les rôles, créant des rapprochements significatifs entre les personnages, ainsi Madeleine Marion qui interprète Doña Honoria est la Religieuse de la scène finale.

 

En 2003, Olivier Py qui a découvert la pièce à quatorze ans avec le film de Manuel de Oliveira, propose une mise en scène de la pièce en province et à Paris.

Dans un décor sang et or, chatoyant et mouvant, Olivier Py souligne la dimension politique et religieuse de la pièce, dans l’affrontement entre nationalisme et catholicisme, la pièce demande à élargir le monde, présent dans le décor sous la forme d’un énorme globe doré. Ce décor est composé de plusieurs cadres et façades mobiles qui se redéploient sans cesse. Comme ces décors inépuisables, le sens se construit au fur et à mesure : « Dieu écrit droit avec des lignes courbes. » Le théâtre, comme un rêve d’absolu et de réunion, interrogation sur la question de la présence et de l’incarnation, permet de rassembler tous les aspects du monde. Olivier Py ne veut pas livrer une lecture unique de la fable, cependant sa lecture fait ressortir le « non » quasi sacramentel échangé entre les amants et souligne plus fortement encore que celle d’Antoine Vitez le renoncement, voire l’impuissance et le goût de l’anéantissement, des personnages. La filiation vitézienne est sensible dans la distribution, Jeanne Balibar, élève de Madeleine Marion, interprète Prouhèze, et Philippe Girard, qui jouait dans le spectacle d’Antoine Vitez interprète Rodrigue. Don Camille est interprété par Miloud Khétib, Michel Fau brille dans tous ses rôles et particulièrement dans celui de l’Actrice. Le spectacle met en relief les scènes comiques de la pièce, et Olivier Py qui se défend d’avoir ajouté du texte affirme que la pièce peut aller aussi loin dans le lyrisme que parce que c’est la seule où le poète ne se prend pas au sérieux.


Chistèle Barbier

 


Jeanne d'Arc au bûcher
1939

   

1954 : Roberto Rossellini filme Jeanne au bûcher avec Ingrid Bergman dans le rôle principal. Le film fait suite à une mise en scène de l’oratorio d’Arthur Honegger, réalisée par le cinéaste italien pour le San Carlo, l’opéra de Naples. Le film tourné dans le théâtre lui-même est très étroitement lié à la conception scénique originelle.


L'Annonce faite à Marie
1948

La pièce a été amorcée dès 1892 sous le titre La Jeune Fille Violaine, drame inspiré par l'enfance orageuse et le pays natal de l'auteur. Une seconde version en est écrite en 1899, sur un registre plus mystique. Puis en 1911, Claudel remanie sa pièce pour lui donner une portée plus générale en l'intitulant L'Annonce faite à Marie, titre qui assimile l'héroïne, Violaine, devenant progressivement une sainte, à la Vierge Marie. Encore cette Annonce se verra-t-elle réécrite "pour la scène" en 1948, à l'occasion de sa mise en scène au Théâtre Hébertot à Paris.
En suivant cette dernière édition, l'action de ce "mystère en 4 actes et un Prologue" qui se déroule dans "un Moyen Âge de convention" est fondée sur la rivalité de deux sœurs, Violaine et Mara. Au Prologue, Violaine, fille aînée d'un riche paysan champenois, Anne Vercors, salue au petit matin le départ de leur hôte, Pierre de Craon, atteint de la lèpre, en lui donnant un baiser que surprend Mara. À l'acte I, dans la matinée du même jour, Anne Vercors annonce à sa femme qu'il part pour Jérusalem, et il veut auparavant fiancer Violaine avec un voisin, Jacques Hury. Mais l'acte II révèle que Mara aime Jacques ; elle va semer le soupçon en lui, d'autant qu'il apprend que Violaine est devenue lépreuse ; après l'avoir accablée de reproches, il la conduit à une léproserie. L'acte III nous situe 7 ans après, pendant la veillée de Noël : Mara arrive, apportant à sa sœur désormais recluse et aveugle la petite fille qu'elle a eue de Jacques et qui est morte soudainement. La douleur sauvage de Mara arrache à Violaine un miracle : la petite revient à la vie. Mais ce miracle a redoublé la haine de Mara contre sa sœur et, au début de l'acte IV, elle veut la tuer en la précipitant dans une sablière. C'est alors que le Père revient, portant dans ses bras Violaine agonisante. Mara se justifie devant tous, et sa sœur pardonne, avant de mourir dans l'apaisement général.

1991 : Alain Cuny

 

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