Musée du Louvre. Hall Napoléon du 22 Février 2017 au 22 Mai 2017 |
le Musée du Louvre a réussi à rassembler douze toiles de Johannes Vermeer (1632-1675), sur la petite quarantaine qui lui sont attribuées de façon certaine. Elles sont présentées aux côtés de tableaux de plusieurs de ses contemporains : Gerard Dou (1613-1675), Gerard ter Borch (1608-1681), Jan Steen (1626-1679), Gabriel Metsu (1629-1667), Pieter de Hooch (1629-1684), Frans van Mieris de Oudere (1635-1681) et Caspar Netscher (1639-1684).
C’est une exposition-événement que le musée du Louvre, en collaboration avec la National Gallery of Ireland et la National Gallery of Art de Washington, organise autour de la figure aujourd'hui si célèbre de Vermeer.
Réunissant pour la première fois à Paris depuis 1966 douze tableaux de Vermeer (soit un tiers de l’oeuvre connu du maître de Delft), l’exposition explore le réseau fascinant des relations qu’il a entretenues avec les autres grands peintres du Siècle d’or hollandais. Les prêts exceptionnels consentis par les plus grandes institutions américaines, britanniques, allemandes et bien sûr néerlandaises, permettent de montrer Vermeer comme jamais auparavant. La légende d’un artiste isolé dans son monde inaccessible et silencieux s’efface, sans pour autant que Vermeer tende à n’être plus qu’un peintre parmi d’autres. En réalité, mis au contact de celui des autres, son tempérament d’artiste, au contraire, se précise, s’individualise. Plus qu’un lanceur de styles, Vermeer apparaît comme un peintre de la métamorphose. Ainsi pour Blaise Ducos, commissaire de l’exposition : "Ce que montre l’exposition, c’est que Vermeer n’est pas toujours l’initiateur de ces scènes de genre, raffinées et élégantes. Il intervient plutôt en fin de chaîne : il est celui qui réagit, transforme par soustraction, par épuration. Et tout ce qu’il enlève, il le remplace par de la lumière et de l’espace, qui sont les vrais sujets de sa peinture".
Vermeer, c’est le « sphinx de Delft ». Cette expression fameuse, due au Français Théophile Thoré-Bürger lorsqu’il révéla le peintre au monde à la fin du XIXe siècle, a largement figé la personnalité artistique de Vermeer dans une pose énigmatique. Le mythe du génie solitaire a fait le reste. Johannes Vermeer (1632-1675) n’est cependant pas parvenu à son degré de maîtrise et de créativité en restant coupé de l’art de son temps. Cette exposition cherche à démontrer, au moyen de rapprochements avec les oeuvres d’autres artistes majeurs du Siècle d’or à l’image de Gérard Dou, Gerard ter Borch, Jan Steen, Pieter de Hooch, Gabriel Metsu, Caspar Netscher ou encore Frans van Mieris, l’insertion de Vermeer dans un réseau de peintres, spécialisés dans la représentation de scènes élégantes et raffinées – cette représentation faussement anodine du quotidien, vraie niche à l’intérieur même du monde de la peinture de genre. Ces artistes s’admiraient, s’inspiraient mutuellement et rivalisaient les uns avec les autres.
Le troisième quart du XVIIe siècle marque l’apogée de la puissance économique mondiale des Provinces-Unies. Les membres de l’élite hollandaise, qui se font gloire de leur statut social, exigent un art qui reflète cette image. La « nouvelle vague » de la peinture de genre voit ainsi le jour au début des années 1650 : les artistes commencent alors à se concentrer sur des scènes idéalisées et superbement réalisées de vie privée mise en scène, avec des hommes et des femmes installant une civilité orchestrée. Bien que ces artistes aient peint dans différentes villes de la République des Provinces-Unies des Pays-Bas, leurs oeuvres présentent de fortes similitudes sur le plan du style, des sujets, de la composition et de la technique. Cette rivalité artistique dynamique a contribué à la qualité exceptionnelle de leurs oeuvres respectives.
LA PESÉE. La femme à la balance de Vermeer tire sa beauté du geste arrêté d’une jeune femme, luxueusement vêtue, dans un intérieur à la lumière tamisée. L’équilibre et la grâce : ces qualités sont présentes dans La peseuse d’or de Pieter de Hooch, un peintre actif plusieurs années à Delft.
Une jeune femme, penchée également vers la gauche, vêtue elle aussi de bleu et voilée de blanc, pèse de l’or dans une chambre au mur tendu de cuir fauve. Un tapis à motifs rouges et bleu-noir reçoit la lumière passée à travers une large fenêtre à moitié ouverte. Le Hooch est dominé par des variations de rouges et d’ocres, que le bleu pâle du manteau rend plus sonores, alors que les bruns sombres et les gris du Vermeer étouffent un bleu plus dense, la luminosité se concentrant sur le front et la fourrure neigeuse. Les similitudes entre les deux toiles semblent inexplicables, sans que l’un connaisse l’oeuvre de l’autre. Vermeer paraît s’appuyer sur la représentation prosaïque de son confrère : une femme pesant des pièces de monnaie. Le motif devient sujet de réflexion, la figure féminine se détachant désormais sur fond de Jugement dernier (tableau dans le tableau). La qualification morale de la lumière – une certaine manière d’envelopper les êtres et les choses dans le mystère et un abîme de pensée – est toute de Vermeer. Le secret de ces tableaux réside toutefois dans le fait que De Hooch, au moment de leur exécution, avait quitté Delft pour Amsterdam : on ignore ainsi quand il aurait montré sa Peseuse d’or à Vermeer.
MISSIVES AMOUREUSES. Dans le pays le plus urbanisé de l’Europe du XVIIe siècle, il n’est pas étonnant de rencontrer un grand nombre de personnes sachant lire et écrire. Telle n’était pas la situation de la France de Louis XIV, essentiellement rurale. Les peintres de la scène de genre élégante montrent toutefois une certaine variété d’écriture ou de lecture : il s’agit de correspondance amoureuse. On ne saurait surestimer le défi que constitue, pour un peintre, la représentation de l’écriture ou de la lecture : le silence, la concentration et le temps. L’une des trouvailles des peintres est de distribuer les acteurs sur deux tableaux distincts. L’histoire s’en trouve enrichie. Vermeer, lui, introduit au premier plan de sa toile une lettre froissée, jetée au sol : suivant une économie de moyens caractéristique, c’est de ce simple objet que rayonne toute l’histoire du tableau. À ce compte-là, les jeunes filles au miroir semblent de délicates variations sur les thèmes du silence, du regard ou du recueillement.