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Compte-rendu rédigé après avoir assisté, le mardi 22 novembre 2022 à l'école supérieure d'arts et médias de Caen, à la conférence: "L’Histoire (de l’art) efface-t-elle les parcours et œuvres des artistes femmes ?", deuxième des quatre conférences Artistes femmes. Les outsiders de l’art. Récits et contre-narrations par Géraldine Gourbe, philosophe, critique et commissaire d’art.

1er partie : Judy Chicago, une féministe essentialiste ?

L’Histoire (de l’art) efface-t-elle les parcours et œuvres des artistes femmes ? est le titre de la conférence mais Géraldine Gourbe prévient qu'elle va l'aborder sous l'angle d'un combat d'historiographes féminines entre, d'une part, les essentialistes, pour lesquelles il y une identité féminine universelle et mettent en avant cette essence féministe, et, d'autres part, les constructivistes pour lesquelles l’identité féminine se construit.

Historiographie, l’écriture de l’histoire de l’art, a historiquement effacé la place des femmes mais aujourd'hui le combat pour leur donner une place voit s'affronter différentes stratégies

Judy Chicago a ainsi longtemps été considérée comme une essentialiste avec son oeuvre la plus célèbre, The dinner party (1974-1979) exposée depuis 2000 au Brooklyn museum de façon permanente, comme un vaisseau spatial pour ne pas être effacé. Ensemble de plats et jeux de broderie avec un hommage appuyé à Christiane de Pisan ; première femme de lettre reconnue, vivant de sa plume, auteure de La cité des dames.

The dinner party (1974-1979)

Judy Chicago se fait connaître comme artiste minimaliste en opposition au courant dominant, new yorkais, intellectuel, sobre et épuré de Judd et Morris. Elle participe du versant californien, revendiquant la couleur et la culture des surfeurs avec peinture sur carrosserie. Sa sculpture Rainbow Pickett (hommage au musicien de jazz) est retenue pour l'exposition Primary structures, en 1966 au Jewish Museum qui lance le minimalisme. Dans Sunset square (1965-2018), elle se rapproche toutefois du versant new yorkais avec une œuvre aux formes carrées monumentales.

En 1971, elle change de nom. Née Judy Cohen, elle devient Judy Chicago. Le dessin en arrière-plan de la photo parue dans la revue Artforum fait peut-être allusion à Mohamed Ali qui, lui aussi, a changé de nom. Elle se montre en boxeuse qui rend des coups, ne sourit pas. Elle retrouve les luttes de son père, syndicaliste marxiste proche des Black Panthers. Elle rencontre ainsi une autre lutte celle du racisme et fait un pont sur les situations de domination et entame avant l'heure ce que l'on nommera intersectionnalité

Photo parue dans la revue artforum en décembre 1971

Elle peint Evening Fan from Fresno Fans series (1971) avec de la laque acrylique pulvérisée sur acrylique ou des Domes (1975), sculptures déchues de l’autorité masculine, sans angles, organiques et irisées. 1971 est aussi l'année de Red Flag, la première image représentant les menstruations dans l'art contemporain occidental. Cette image du retrait d'un tampon montre la détermination de Judy Chicago à exprimer ouvertement ses expériences en tant que femme et à faire de ce tampon ensanglanté le drapeau pour combattre toute les formes de domination.

Evening Fan from Fresno Fans series (1971) Red Flag (1971)

Dans les écoles d'art, il y a davantage de femmes que d'hommes et, pourtant, il y a plus d’artistes hommes que de femmes. En 1971, Judy Chicago et Miriam Schapiro développent conjointement le Programme d'Art Féministe au California Institute of the Arts (CalArts) pour une autonomisation ou "empuissancement", empowerment des femmes artistes.

2e partie : Art et féminisme, différentes approches


1/ Approche englobante par des anthologies, donner massivement à voir des artistes féminines quand Wikipedia n'existait pas encore
2/ Approche égalitaire : critique institutionnelle menée par les Guerrilla girls avec des parades grotesques ou des campagnes d'affichage.

Pourquoi il n’y a pas eu de grandes artistes femmes ? de Linda Nochlin paru en 1971 et repris depuis dans Femmes, art et pouvoir, Paris Chambon 1993.

Compléter le savoir ne suffit pas pour montrer des tableaux et en acheter. Il est possible d'élargir le contexte de création à d'autres médiums pour découvrir d’autres artistes femmes : tapisserie, danse...

Griselda Pollock, Rozsika Parker, Laura Mulvey vont questionner les conditions de production et les modalités de visibilité de certaines pratiques. La Britannique Laura Mulvey, cinéaste, militante féministe et théoricienne du cinéma, est l’autrice d’un court article combatif, Visual Pleasure and Narrative Cinema, publié dans la revue britannique Screen n°16 en 1975 et repris dans son recueil d’articles Au-delà du plaisir visuel. Féminisme, énigmes, cinéphilie (Mimésis, 2017), et traduit en français par Gabrielle Hardy, dans la revue Débordements (Plaisir visuel et cinéma narratif) en 2018. Elle y soulève, par le biais d’une relecture de Freud et de Lacan, la question du male gaze (le regard masculin), postulant que le cinéma classique hollywoodien se construit conformément à un désir masculin de domination qui est le moteur du récit, tandis que la femme y est réduite à un statut de pur objet. Laura Mulvey est toujours aussi active, invitée par France-Culture: Les films de Jean-Luc Godard sont une mine d’or pour les théories féministes ou répondant à une intervew dans Vacarme : the look, regard féministe

Notion marxiste du fétichisme : le côté  hyper séduisant des objets fait que l'on oublie comment ils ont été produits. La place du sujet créateur est mis à distance car s'effaçant devant l'objet de consommation.

L'inégalité entre hommes et femmes face à la production des œuvres d'art survit à la déclaration des droits de l'homme. Pour Griselda Pollock (Vision and Difference: Femininity, Feminism and Histories of Art, Routledge, 1988), la pratique chasse à toute forme d’essentialisme. Elle s'oppose ainsi au féminin universel tel que Lacan a pu l'analyser au travers de son concept de mascarade. Freud n’avait pas pensé le plaisir féminin. La jouissance féminine est pour lui un continent noir. Pour Jacques Lacan, la femme se soumet à la mascarade ("La signification du phallus", Écrits, Paris,… et dans le Séminaire V). Comme êtres de langage, les hommes et les femmes sont condamnés à emprunter, pour entrer en relation, les détours de la parole où règnent les masques du paraître : la mascarade côté féminin, et la parade virile côté masculin. Les hommes par le biais du langage "possèdent le phallus" (différent du pénis) et ont accès à la jouissance. Les femmes en sont réduites à vouloir "être le phallus". La mascarade est le masque de la féminité pour faire oublier qu’elles désirent le phallus. Lacan interprète les rapports sexués entre "être" et "avoir" le phallus. Il s’agit, dans la mascarade, de faire "de sa féminité un masque". Ce qui est donc refoulé dans la mascarade, c’est le désir féminin. La femme a recours à la mascarade pour être désirée en même temps qu’aimée (et non pour aimer et désirer) incarnant à cet effet le phallus. La mascarade est tromperie, dévoilant ce qu’elle n’est pas.

Laura Mulvey et Peter Wallon tentent de dévoiler la mascarade. Dans le court-métrage Riddles of the Sphinx (1977), il y a une dissociation entre entendre et voir. Dissociation entre le dialogue de deux femmes de la banlieue pauvre qui discutent et ce que l'on voit : un ballet de voitures. Ces deux femmes protestent car elles n’accèdent pas aux crèches. La société fait en sorte qu'elles constituent une main d'œuvre gratuite pour élever les enfants tout en les empêchant de travailler. La dissociation empêche toute identification aux héroïnes.

Mary Kelly : post partum project 1973-1979
Actions de Women on waves, des néerlandaises dans les eaux territoriales avec une unité mobile pour pratiquer des avortements; pirater la façon dont on légalise l’avortement.

Déconstruire, mais pour quelle utopie? Selon, Judith Butler, philosophe née en 1956, ce pourrait être "Une éthique au profit d’une dilatation de nos identités"

En 1971, Judy Chicago et Miriam Schapiro développent conjointement le Programme d'Art Féministe au California Institute of the Arts (CalArts). Les deux femmes encouragent les étudiantes à s'exprimer sur leurs expériences et soutiennent leurs aspirations. En 1972 professeures et étudiantes, vingt-quatre femmes, restaurent et aménagent une maison à Los Angeles. Se créé un "safe space", comment on décide ensemble de travailler ensemble avec un protocole de prise de parole (sera repris par act-up) pour que personne ne soit mis à l’écart. Elles organisent ensemble une des toutes premières expositions d'art féministe : Womanhouse, 17 projets illustrant des expériences de femmes dans une société discriminante. Sont pensés des dispositifs pour que les spectateurs donnent leur avis, un art comme pratique et non comme objet, une éducation populaire. Quatre semaines d’ouverture au public, du 30 janvier au 28 février 1972. L’espace domestique devient espace d’exposition et de performances, la distinction entre public et privé disparait et les conventions régissant la représentation volent en éclats ; la salle de bain et la maison de poupée deviennent des espaces d’exposition "appropriés" à l’art féministe.

Cock and Cunt play, écrit par Judy Chicago, performée par Janice Lester et Faith Wilding.

Womanhouse encense ce qui était considéré comme trivial : les produits de beauté, les tampons hygiéniques, le linge de maison, les bonnets de douche et les sous-vêtements devenaient des matériaux hautement artistiques. Cette représentation spécifique des femmes, basée sur l'image d'une centralité vaginale est amplement débattue dans les cercles féministes : certaines lui reprochent son essentialisme, opposant à la détermination biologique de ces images une construction culturelle et sociale : "On ne nait pas femme, on le devient" selon le mot de Simone de Beauvoir.

L'expérience ne permet pas l'éclosion de talents nouveaux. Seule Mira Schor, auteure de la seule peinture, Dans la tiédeur de la nuit, elle existe sans aucune caresse (20-27 juin 1971, Gouache sur papier, 56.5 x 77.5 cm) accède à une certaine célébrité.

On pourrait déduire de cette conférence que, même si le positionnement essentialiste a pu dominer suite à l'article fondateur de Linda Nochlin en 1971 et avant la diffusion du savoir par wikipédia, les articles de presse et les expositions,  aujourd'hui toute analyse d'une oeuvre échappe difficilement à une approche constructiviste, intersectionnelle.

Jean-Luc Lacuve, le 16 décembre 2022.

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