Mekong hotel

2012

Avec : Jenjira Pongpas (Jenira/ La mère, le pob), Sakda Kaewbuadee (Sakda/Tong/Masato), Maiyatan Techaparn (Maiyatan/Phon), Chai Bhatana (le guitariste), Apichatpong Weerasethakul (lui-même). 1h01.
dvd

Hôtel Thaï-Lao, en bordure du Mékong au nord-est de la Thaïlande. Dans les chambres et sur les terrasses, Apichatpong Weerasethakul et son équipe font une répétition d'un film, Ecstasy Garden, que le réalisateur a écrit il y a des années. Apichatpong écoute le guitariste qui compose la musique du film et assiste, hors champ, l'acteur dans le choix du tee-shirt et d'un jean, moulant ou non, pour le film.

Une jeune fille pénètre en catimini sur la terrasse de Tong, grand propriétaire d'une bananeraie. Elle est choquée par la dépouille (hors champ) d'un chien à moitié dévoré. Tong, surpris par sa présence, lui demande son nom et lui explique que c'est un "pob", fantôme féminin qui mange humain et bétail, qui a dévoré les entrailles du chien. Il comprend qu'elle est, la voisine, Phon, la fille de tante Jen.

Dans sa chambre, Phon rêve de sa mère qui lui dit ne pas être humaine. Phon est revenue voir Tong qui lui avait envoyé un texto anonyme mais vite interprété. Elle le remercie pour le tee-shirt acheté alors qu'il lui explique la présence d'un pot en terre, qui aura besoin d'une bénédiction, pour enfermer le pob.

Au 2e jour de la répétition, le guitariste s'entraine toujours. Apichatpong discute avec l'actrice qui se dit indifférente au voyage de la princesse du pays, à la famille régnante et même aux stars de cinéma.

La mère de Phon lui mange les tripes sur le corps. Tong, effrayé, voit ce spectacle caché derrière la douche.

Rires du joueur de guitare. "Masato lève-toi et va voir le soleil" dit une voix à l'acteur endormi.

Sur la terrasse l'actrice qui joue la mère, Jenjira Pongpas, explique à la jeune actrice, Maiyatan Techaparn, son embrigadement passé ; comment elle apprit à se servir d'un M16 pendant deux mois. Elle se réjouit de la venue de Frank, son fiancé américain. L'actrice et l'acteur s'inquiètent des pluies diluviennes passées et de l'inondation qui va ravager Bangkok. Des journées de congé, du 26 au 31, sont déjà données par le gouvernement pour s'éloigner de la capitale durant ces inondations.

Dans une chambre, du sang sur les draps.

Devant l'hôtel, une pelleteuse construit une digue de sable improvisée. L'acteur et l'actrice, Maiyatan et Sakda parlent du cours des bateaux qui est monté en flèche....

Jenjira Pongpas parle de la vague d'immigration laotienne. Le fleuve marque en effet la frontière entre la Thaïlande et le Laos. Jenjira explique à Maiyatan et Sakda l'organisation des camps de refugiés, l'aide alimentaire et l'aide à l'émigration qui fut si bien organisés par le gouvernement. S'ils réussissaient le test de langue, les couples mixtes Laotiens-Thaïs choisissaient souvent la France. Elle était jalouse, moins bien nourrie que les refugiés.

Masato est un "Pob" qui a pris le corps de Tong. Il rencontre l'âme errante de Phon. Il n'est plus sur de l'aimer : il a vieilli s'est marié et a deux enfants. Masato se plaint que sa mémoire s'efface, qu'il va s'épuiser à se réincarner en cheval, en insecte avant de redevenir homme pour retrouver Phon. Dans sa chambre, Phon appelle sa mère qui erre aussi depuis 600 ans perdant progressivement le goût du sang, de l'odeur de la chair, détestant maintenant cette vie sauvage de vampire qu'elle doit mener.

Apichatpong et Sakda observent un arbre qui dérive sur le Mékong puis, voyant un enfant sur un jet-ski, parlent de leur expérience de ce sport. Sur le Mékong, deux puis quatre jet-ski entrent en action dessinant des figures dans le lointain près du pont où circulent les voitures. Une barque plus traditionnelle longe le fleuve puis le traverse alors que les jet-ski continuent de dessiner des figures sur le cours impassible du fleuve.

Trente-six plans composent ce film débutant par un dialogue entre Apichatpong et le guitariste sur fond noir et se terminant par un plan près de six minutes sur le Mékong. Il entremêle trois strates de temps, celui du documentaire sur le film avec des discussions entre acteurs, réalisateur et guitariste, celui de l'histoire entre Phon et Tong et celui immémoriale des fantômes qui les habitent: Tong n'étant que la réincarnation de Masato aimant Phon à travers les âges.

Le film fut tourné au moment où la Thaïlande vécut ses plus grandes inondations. Dans ses fragments de documentaire d'un tournage, il en évoque les catastrophes à venir : l'impuissance de la politique (voyage de la princesse, journées de congé, incapacité à endiguer le cours des bateaux de fortune) et la dimension mythique. Apichatpong raconte ainsi qu'une jeune laotienne a affirmé que les pluies sur la Thaïlande exprimaient la volonté du bouddha d'émeraude de rejoindre le Laos par le fleuve.

Les fragments de fiction, entre le romanesque des amants et la cruelle situation sanguinaire décrite redouble le sentiment de la catastrophe imminente, de la captation des derniers instants de beauté paisible. L'indétermination de certains fragments (Est-ce que ce sont les personnages ou les acteurs qui tombent amoureux ?) emporte l'ensemble dans un flot liquide et poétique à la mesure du fleuve.

Jean-Luc Lacuve le 15/12/2012

Test du DVD

Editeur : Jour2fête. Septembre 2013. 20 €.