Coup de torchon

1981

Avec : Philippe Noiret (Lucien Cordier), Isabelle Huppert (Rose), Jean-Pierre Marielle (Le Peron et son frère), Stéphane Audran (Huguette Cordier), Eddy Mitchell (Nono), Guy Marchand (Marcel Chavasson). 2h08.

1938 - En Afrique Occidentale Française. Lucien Cordier est l'unique représentant de l'ordre du petit village de Bourkassa Ourbangui. On lui reproche son inefficacité qui semble être l'effet de sa lâcheté. Une nuit, à la suite d'une visite à Chavasson, militaire raciste, qui lui donne une leçon, Cordier tue Le Péron et son compère, les patrons du bordel.

Avec une intelligence calculée et un cynisme insoupçonné, Cordier parvient à rejeter la responsabilité de son acte sur Chavasson. Mercaillou, le mari de Rose dont Cordier est l'amant, bat sévèrement le noir Vendredi sous les yeux de la nouvelle institutrice, Anne, dont Cordier est amoureux. Cordier laisse faire. Plus tard, encouragé par le curé, il tue froidement Mercaillou et fait passer le meurtre pour un accident.

Malheureusement, Vendredi ayant retrouvé le corps le ramène à Rose et surprend les deux amants. Cordier tuera Vendredi pour le réduire au silence et déguisera son geste en règlement de comptes. L'enterrement sera une mascarade. Sur ces entrefaites le frère jumeau de Le Péron vient enquêter sur la disparition de son frère. Il repartira désorienté à la suite des propos nébuleux de Cordier. Nono, le pseudo-frère et amant de Huguette, la femme de Cordier, soupçonne la relation de Rose avec Cordier. Ce dernier récupère l'argent volé par Huguette pour partir avec Nono. Il rejoint Rose. Ayant éveillé la suspicion de Huguette, Nono débarque avec elle chez Rose. Entre temps Cordier a fait mine de rentrer chez lui mais il est resté caché près de la maison pour assister au dénouement de la situation qu'il a provoqué. Pour se défendre de la hargne de Nono et Huguette, Rose les abat tous les deux. Rose prend conscience de la monstruosité de Cordier alors que l'on annonce la déclaration de la guerre.

Le film est né de plusieurs inspirations littéraires : un polar majeur, 1275 âmes de Jim Thompson, le Voyage au bout de la nuit de Céline, et le Voyage au Congo de Gide.

Le film bénéficie aussi des dialogues dignes de Queneau - " arrête de m'ombrager ", " tu m'interlocutes ", " l'action se torse ", " colonel Tramichel, tra comme tralala et Michel comme la mère Michel "... - et l'idée du scénariste Jean Aurenche du retour du "fantôme" interprété par Jean-Pierre Marielle.

Dès la première séquence, où Lucien Cordier observe des enfants noirs affamés lorsque survient une éclipse de soleil, Tavernier donne à son film une dimension surréel, et met de côté la psychologie et la rationalité, en mettant en scène un monde colonial à la fois infernal et "joyeux" - ce qui est toujours la patte de Tavernier, même lorsqu'il traite de sujet noirs.

Cordier, qui déclare n'être " ni courageux, ni honnête, ni travailleur ", est entouré de monstres bien pires que lui, qui ne suivent que leurs pulsions, et des instincts plus proches de l'animal que l'humain. Perdu dans sa bourgade africaine, il n'a aucun compte à rendre, ni vis-à-vis de l'administration, ni vis-à-vis de la loi, ni vis-à-vis de lui-même, puisqu'il se sert du mépris dont il fait l'objet comme alibi pour ses meurtres, et semble persuadé qu'il s'agit d'une délivrance pour les victimes et d'un acte de salubrité pour le monde.

Le réalisateur ne tisse aucune complicité avec le spectateur : à aucun moment, on ne sait exactement si les meurtres sont planifiés ou pas, si Cordier est vraiment fou, et ce qui le fait passer à l'acte. Du coup, ce qui aurait pu être une épopée expressionniste, avec une lutte du bien contre le mal, devient un cauchemar naturaliste, plein d'humour noir et sans repères moraux clairs. Comme le répète l'aveugle dans le train, "nous entrons dans la forêt vierge ", et nous n'en sortirons plus, malgré la présence de la jeune institutrice, qui représente un idéal et un espoir de salut pour Cordier, mais que celui-ci tient à distance pour ne pas la faire chuter dans son enfer.

Elle-même se protège et tient à demeurer dans le monde "normal" : lorsqu'elle lit sur son tableau noir la confession écrite par Cordier et signée " Jésus-Christ ", elle se retourne tout de suite vers ses élèves, et leur apprend "La Marseillaise". Même le prêtre est, sans s'en rendre compte, un des inspirateurs de la tuerie : "Chaque chose en son temps, chacune à son tour, et d'abord l'ignoble Marcaillou " !

La réédition en DVD par StudioCanal est l'occasion pour Tavernier de montrer en bonus la fin initialement prévue et qu'il regrette d'avoir coupée : dans le bal final, des lépreux noirs arrivent et Cordier leur parle. Puis par la suite, il y avait l'idée, qui confirme le naturalisme surréaliste de l'oeuvre, de faire entrer deux grands singes, avec les participants au bal qui se transforment en squelettes puis disparaissent, et les deux singes qui se disent : "m... il va falloir tout recommencer".

Eric Barbot le 02/04/2007