Au Viêt Nam, le journaliste Daniel Ellsberg de la RAND Corporation est venu se rendre compte de la situation des combats. La RAND est un laboratoire d'idées (think-tank) au service de la décision politique et économique, financée par le gouvernement et des dotations privées. Dans l'avion qui le ramène à Washington, Daniel Ellsberg est appelé par Robert McNamara le secrétaire à la Défense de l'administration Johnson. Il lui confirme qu'il ne voit aucun progrès dans la situation militaire. Robert McNamara pense même que la guerre ne peut être gagnée. Mais il affirme le contraire aux journalistes qui l'attendent à sa descente d'avion.
Daniel Ellsberg exfiltre du Pentagone "Les Pentagon Papers” ou « Relations entre les États-Unis et le Viêt Nam, 1945-1967 : une étude préparée par le département de la Défense ». Il s'agit de 47 volumes totalisant 7 000 pages secret-défense émanant du département de la Défense à propos de l'implication politique et militaire des États-Unis dans la guerre du Viêt Nam. Il les photocopie avec application.
Juin 1971. Au Washington Post, on s'indigne de ne pas couvrir le mariage de Tricia la fille du président Nixon le lendemain, 12 juin. La chroniqueuse mondaine du journal s'est montrée trop irrévérencieuse lors de ses derniers articles et n'a pas été invitée. Le rédacteur en chef, Ben Bradlee, décide d'appeler les autres journaux. Il pense qu'ils seront solidaires face à cette censure de la presse et qu'ils lui donneront leurs notes en représailles permettant ainsi une publication par le journal
Katharine Graham, directrice de la publication, a d'autres soucis. Elle doit préparer l'entrée en bourse du journal afin de lui permettre de se développer et ne pas rester un journal provincial attaché à Washington. Elle est la première femme à la tête d’un grand journal américain mais ne doit sa position qu'au suicide, il y a huit ans, de son mari auquel le père de Katherine avait confié les rênes du journal. C'est toujours dans l'ombre de ses conseillers qu'elle prend des décisions auxquelles elle parvient pourtant elle-même. Fritz Beebe lui a ainsi fait répéter son discours pour le conseil d'administration mais le teindra finalement lui-même : si le prix de chacune des 1,3 millions d'action descend de 27 dollars à 24,4 cela coûtera au journal l'emploi de 25 bons journalistes. Or Le Washington Post a toujours misé sur la qualité de ses journalistes face à la concurrence.
Ben Bradlee est inquiet, il pense que le New York Times va bientôt sortir un scoop sur lequel travaille Daniel Ellsberg. Il demande à un stagiaire d'aller espionner le journal concurrent. Le stagiaire en revient avec la maquette du journal du lendemain "Pentagon papers" en occupe les gros titres. De son côté, Ben Bagdikian cherche à joindre Daniel Ellsberg.
Le 13 juin, le New York Times fait paraître son premier article issu des Pentagon papers. Ben Bradlee est consterné. Certes son journal publie la chronique du mariage mais il est en train de rater le scoop du siècle. Un des rédacteurs reçoit alors, dans une boite à chaussures, quelques pages de ces Pentagon papers. Il les porte à son rédacteur en chef qui va ainsi pouvoir publier quelques articles mais ce ne sera que de la seconde main vis-à-vis du New York Times qui étudie ces documents depuis sept mois. Cependant le président Nixon est devenu fou de rage et obtenu, via le procureur général John Mitchell, une injonction de la cour fédérale intimant au journal de cesser de publier des extraits des Pentagon papers. Or Ben Bagdikian a réussi à localiser Daniel Ellsberg à New York et est revenu à Washington avec deux pleines caisses de photocopies des Pentagon papers. Ben Bradlee veut profiter de l'interdiction qui pèse sur le New York Times pour prendre le relais et commencer la publication. Il en avertit Katharine Graham
Celle-ci hésite. Il lui semble qu'elle va trahir son ami Robert McNamara, qu'elle risque de mettre en péril le journal de son père et de priver ses enfants de leur héritage. Après une conversation téléphonique où s'affrontent son banquier, son plus proche conseiller et son rédacteur en chef, elle donne raison à celui-ci qui lance immédiatement l'impression. Le 18 juin, le Washington Post commence à publier ses propres séries d’articles. Le Post reçoit un appel du procureur adjoint, William Rehnquist, les sommant d’arrêter la publication des documents. Le Post refuse. Le gouvernement se retourne vers la cour suprême. Le 26 juin, la Cour suprême des États-Unis accepte de prendre en charge les deux affaires, les réunissant sous l’affaire New York Times Co. c. États-Unis. Le 30 juin, la Cour suprême statue par 6 voix contre 3 que les journaux peuvent continuer à publier.
Steven Spielberg a accepté avec enthousiasme de tourner un film dans l'urgence d'une situation politique où, à la veille de l'élection de Donald Trump, la liberté de la presse lui semble menacée. L'élection de celui-ci rend ce noble film un peu désuet par rapport aux coups bas perfides et grotesques répétés du nouveau locataire de la Maison-Blanche. C'est néanmoins un film efficace et féministe.
La nostalgie de la puissance de la presse écrite
Le journaliste se fait là davantage le vecteur de l'émotion populaire (qu'il sait potentiellement contenue dans les documents) que vérificateur des informations et capable de les défendre pied à pied face aux mensonges et attaques des parties adverses. Dès lors, ce sont des plans classiques de la gloire journalistique qui suscitent l'émotion du film. Plaisir des plans des journaux dont on découvre les gros titres lorsqu’une pleine pile est jetée dans la rue au petit matin. Virtuosité des mouvements dans la salle de presse, mention spéciale pour le parcours de la boite à chaussure contenant de courts extraits des Pentagon papers, et du plan final ou la chaîne d'impression des journaux semble monter jusqu'au ciel alors que s'éloignent Ben et Katherine.
Pareillement, les cas de conscience de Ben et Katherine sont admis depuis bien longtemps : L'amitié et la proximité que les journalistes entretiennent avec les politiques nuisent à la recherche et à la révélation de la vérité. Ben fut trop proche des Kennedy et Katherine de Robert McNamara.
Le courage de secouer le joug de la domination masculine
Le personnage de Katherine est constamment magnifié. Elle prend le risque de ruiner son journal en sachant tout ce qu'elle perd avec cette belle scène avec sa plus grande fille et les jeunes enfants de celle-ci qui dorment et à laquelle elle demande courage en lui rappelant qu'elle l'avait soutenue à la mort de son père.
Katherine ouvre les portes du pouvoir... et ce sont toujours exclusivement des hommes qui s'y trouvent : conseils d'administration du journal, de la bourse, de ses conseillers. Pendant huit ans, elle a du les écouter sagement sachant qu’elle aurait pu prendre la parole elle-même. Alors que c''est ankylosé en elle, l’absence de décision personnelle, celle-ci va se trouver magnifiée par la séquence où Katherine dialogue avec Ben au téléphone pour lui donner finalement raison (« Let’s do it »), alors que ses conseillers autour d'elle tentent de l'en dissuader.
Beaux plans aussi que celui la jeune secrétaire d’un avocat (du Post ?) qui reconnait Katherine Graham dans la file de ceux qui attendent d’entrer dans la salle où siège la Cour Suprême et la fait entrer en lui expliquant les raisons de son propre retard et celui de la sortie du tribunal où les hommes restent discourir en haut alors que Katherine fend la foule des femmes qui admirent son courage.
Pantagon papers est un film efficace qui surfe sur l’actuelle vague, nécessaire, de féminisme. La complexité des batailles à livrer pour l'établissement de la vérité est devenue plus rude aujourd'hui. Mais Nixon, toujours vu de dos ou de profil derrière une fenêtre de la Maison-Blanche, vociférant au téléphone, semble bien être la représentation de Trump vociférant par tweets interposés.
Jean-Luc Lacuve, le 9 février 2018 (puis le 20 avril , merci à Marie Lerouxel)