Usual suspects

1995

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(The usual suspects). Avec : Kevin Spacey (Roger 'Verbal' Kint), Gabriel Byrne (Dean Keaton), Benicio Del Toro (Fred Fenster), Stephen Baldwin (Michael McManus), Kevin Pollak (Todd Hockney), Giancarlo Esposito (Jack Baer), Chazz Palminteri (Dave Kujan), Dan Hedaya (Le sergent Rabin), Peter Greene (Redfoot), Pete Postlethwaite (Kobayashi), Suzy Amis (Edie Finneran). 1h46.

San Pedro, en Californie - la nuit dernière. Dans la baie du port, sur le pont d'un cargo, ou gît un cadavre, un homme blessé, Keaton, allume une dernière cigarette alors que de l'essence s'échappe de bidon d'essence percés de balles. Keaton enflamme une coulée d'essence qu'un homme mystérieux, portant gants, chapeau, briquet en or et grand pardessus éteint en pissant dessus. Cet homme, Keyser, a une brève conversation apaisée avec Keaton avant de pointer une arme en sa direction, de tirer et de mettre le feu au navire.

Roger Kint est interrogé par la cour fédérale. Tout a commencé six semaines plus tôt à New York déclare-t-il. Un camion d'armes avait été détourné dans le Queens et la police avait immédiatement arrêté trois criminels : Michael McManus, un braqueur coléreux et imprévisible ; Todd Hockney, un spécialiste en explosifs et Fred Fenster, l'associé de McManus d'origine portoricaine. L'inspecteur Dave Kujan arrêta Dean Keaton, un ex-policier corrompu qui avait pourtant apparemment décidé de rompre avec le monde du crime pour se reconvertir dans l'hôtellerie de luxe. Roger Kint, petit escroc sans envergure, surnommé "Verbal" en raison de sa propension à discourir, est la cinquième personne arrêtée. Il ne comprit alors pas pourquoi il se retrouvait avec quatre criminels expérimentés pour participer à une identification bidon car les flics n'avaient aucune preuve contre eux. Pourtant ces cinq hommes vont être interrogés toute une nuit par la police. Pour s'en venger, McManus propose à ses quatre compagnons de cellule de réaliser un coup ensemble. Tous étaient d'accord sauf Dean Keaton qui affirma vouloir être honnête.

Aujourd'hui à San Pedro, est arrivé l'agent fédéral Jack Baer pour enquêter sur le massacre qui a eu lieu à bord du cargo. Il y a vingt-sept morts et deux survivants : un petit escroc boiteux, et un Hongrois gravement brûlé qui a été hospitalisé. Parallèlement, l'agent spécial des douanes Dave Kujan quitte New York pour l'aéroport de Los Angeles où il file chez le sergent Jeff Rabin à San Pedro. Il apprend que Verbal Kint a obtenu en échange de son long témoignage une promesse d'immunité du juge d'instruction fédéral. Il n'est encore retenu que pour deux heures afin de répondre d'une accusation mineure de détention d'armes dans le bureau du sergent Rabin. L'agent spécial Kujan, tient absolument à l'interroger : il veut savoir pourquoi 27 personnes sont mortes pour une cargaison de cocaïne qui n'existait pas et surtout veut s'assurer que, celui qu'il ne cesse de poursuivre, Dean Keaton, est bien mort

Baer interroge le Hongrois, Arkosh Kovash brulé à 60 % et agonisant, qui affirme que c'est un certain et terrible Keyser Söze qui était dans le port et fut responsable du massacre. Quand Baer entend ce nom de Keyser Söze, il réclame immédiatement un interprète. Pendant ce temps, Verbal Kint, accepte de raconter à nouveau son histoire à Dave Kujan qui s'est fait fort de lui faire avouer tout ce qui manque dans la confession faite au procureur en échange de son immunité. Verbal reprend donc son récit au petit matin qui suivit la libération des cinq hommes retenus dans la même cellule

C'est l'avocat et maitresse de Dean Keaton, la jolie, Edie Finneran, qui obtint leur sortie de prison pour manque de preuve. Mais Dean Keaton vit ses rêves de respectabilité anéantis. Sur la demande pressante du gentil Verbal Kint, il  accepta la proposition de McManus : s'associer pour soutirer des émeraudes à un trafiquant escorté par des policiers corrompus du NYPD. L'attaque par des camionnettes enserrant le taxi fut pensée par Verbal, qui empêcha ainsi une sanglante tuerie et Keaton apporta la touche finale en prévenant les journalistes qui, arrivés les premiers sur le lieu de l'attaque, mirent en évidence la corruption de la police newyorkaise. Après le succès de cette opération, le quintette se déplace à Los Angeles pour revendre le butin à un receleur connu de McManus, Redfoot.

Dave Kujan ne veut pas croire que, dans cette affaire, Keaton n'ait fait que suivre McManus et, comme l'affirme Verbal avec conviction, voulait se ranger pour vivre avec Edie.  Dave, qui poursuit Keaton depuis trois ans, connait la longue liste de ses meurtres. Baer avec l'aide d'un traducteur, interroge le Hongrois, qui affirme que Keyser Söze, que le FBI tient pour un génie du crime même si sa réputation tient de la légende, était dans le port et s'y est comporté comme el diable. Le blessé déclare avoir vu son visage et décrit Keyser Söze à l'aide d'un dessinateur de la police, qui en dresse un portrait-robot. Dave croit que par amitié Verbal cherche à faire croire à une fusse mort de Keaton qui a compté sur sa bêtise. Il tente de l'impressionner en lui affirmant que malfrats et policiers seront sur son dos dès sa sortie du bureau de la police. Verbal indique alors que le responsable des événements suivants fut un avocat, Kobayashi.

Arrivés à Los Angeles, le quintet remet le butin comme prévu au receleur connu de McManus, Redfoot. Celui-ci les incite à entreprendre un autre vol : s'approprier des bijoux dérobés par Saul Berg, un autre malfrat. La mission tourne au carnage sanglant et il s'avère que l'objet du vol était une livraison d'héroïne. Redfoot révèle que ce travail lui a été commandé par un avocat dénommé Kobayashi. Les cinq hommes exigent de rencontrer Kobayashi

Kujan s'étonne que Verbal n'ait pas parlé de ce Kobayashi dans sa déposition. Mais il est interrompu dans son interrogatoire par la visite de Baer qui l'informe que le hongrois lui a affirmé qu'il n'y avait pas de drogue dans le cargo du port. Il appartenait à un gang qui négociait avec des argentins et devaient partir dès le lendemain pour la Turquie sans avoir le temps d'écouler la drogue. A quoi servaient donc les 91 millions de dollars. Baer l'informe alors de ce qu'il sait au sujet de Keyser Söze. Kujan revient en colère interroger Verbal au sujet de Keyser Söze.

L'avocat dénommé Kobayashi était venu voir le quintet et déclara travailler pour le compte de Keyser Söze et être son avoué. Il les accusa d'avoir chacun déjà volé son employeur à leur insu. C'est Söze qui avait monté la séquence d'identification criminelle à New York pour les réunir mais Edie avait réussi à le faire libérer avant qu'il ne vienne leur proposer son marché. Il les pousse maintenant à attaquer un cargo dans le port de San Pedro pour s'acquitter de leur dette envers Söze qui en sait par ailleurs suffisamment sur eux pour les faire tomber. Ce bateau, selon Kobayashi, doit contenir l'équivalent de 91 millions de dollars en cocaïne. Les stupéfiants doivent être vendus à une bande rivale de Söze ; une fois détruits, les cinq malfrats pourront se partager la somme. Keaton ne croyait pas à Keiser Söze, persuadé que Kobayashi agissait pour son compte

Verbal raconte alors  à Kujan l'histoire de Keyser Söze telle qu'il la tient lui-même de Keaton et des autres. Le plus grand tour du diable a été de convaincre le monde de son inexistence dit il en préambule. Le pouvoir n'est pas une question d'armes d'argent ou d'hommes mais une question de volonté, celle de faire ce que l'autre n'oserait pas. Les Hongrois étaient venus le chercher chez lui, avaient fait irruption dans sa maison, violé sa femme et menacé ses enfants. Plutôt que de se rendre Söze tue lui-même sa femme et ses enfants et exécute tous les membres de la bande sauf un, chargé de répandre sa légende, puis pourchasse et élimine tous leurs proches avant de disparaître. Avec le temps, le personnage prend une stature mythique, les gens doutent de son existence ou même la nient. Interrogé par Rabin, Baer indique qu'il a entendu des rumeurs depuis des années selon lesquelles Keyser Söze s'abriterait derrière des rangées de subalternes qui ne savent même pas pour qui ils travaillent. Son collègue Dan Metzheiser monte même un dossier sur lui depuis plusieurs années. Lorsque Dave propose à Verbal de le protéger de Söze, il répond que celui-ci peut le tuer quand il veut et que lui disparu personne n'entendra plu parler de lui. Le portrait rebot avance et Kujan veut connaitre la fin

Fenster, qui ne supportait pas de travailler pour Söze avait tenté de fuir mais le soir même Kobayashi leur indiqua où trouver le corps de leur complice qu'ils enterrent dans le sable.

Verbal affirme à Kujan que Keaton, ne croyant pas en l'existence de Söze, voulait tuer Kobayashi.

Les quatre restants réussissent à capturer Kobayashi, mais avant que McManus ne puisse l'exécuter, celui-ci révèle que l'avocate Edie Finneran, qui est la petite amie de Keaton, se trouve dans son bureau et menace de la faire disparaître, ainsi que les proches des autres truands. Ils le laissent partir et se résignent à attaquer le bateau.

La nuit de l'attaque du cargo, les vendeurs de drogue (un groupe d'Argentins) et les acheteurs (une bande de Hongrois) sont sur le quai. Keaton demande à Verbal de se tenir à l'écart et d'avertir Edie si l'affaire tourne mal. Verbal, ayant accepté avec réticence, observe la scène à distance. Keaton, McManus et Hockney attaquent les trafiquants et en tuent la plupart. Hockney est tué alors qu'il vient de mettre la main sur l'argent

Interrogé sur sa passivité par Kujan, Verbal affirme avoir été tétanisé. Baer a reçu un rapport comme quoi l'un des cadavres du port était un petit trafiquant argentin Arturo Marquez. Celui-ci travaillait à New York et devait être extradé par Edie Finneran. Pour éviter cela, il  avait balancé 50 malfrats dont Keiser Söze. Kujan explique alors à Verbal comment les choses se sont passées :

Keaton et McManus, montés sur le bateau, découvrent qu'il n'y a pas de cocaïne à bord. McManus est victime d'un coup de couteau et Keaton se fait tirer dans le dos. Une silhouette en manteau sombre, qui  doit être Keyser Söze, selon la déposition de Verbal, apparaît et tire sur Keaton.

Puis c'est Verbal qui reprend l'histoire de sa déposition, comment il a vu Söze tirer sur Keaton, alors qu'il était caché derrière des cordages.

Mais Kujan ne croit pas cette version : tout dans l'attaque reposait sur l'élimination d'Arturo Marquez. C'est pour le faire témoigner contre Söze que, non des argentins mais des hongrois voulaient l'acheter. Finneran était l'avocat de Marquez. L'attaque était une mission suicide pour tuer le seul témoin contre Söze. Et c'est Keaton qui l'a tué après avoir écarté exprès Verbal de l'attaque pour qu'il puisse témoigner de sa mort. Il conclut de tout cela que Keaton était Keyser Söze qui a manipulé Verbal. Celui-ci revoit avec des flashes mentaux comment Keaton a pu le manipuler et admet, effondré, l'identification de Keaton en Söze. Et ce d'autant plus que Kujan lui révèle également qu'Edie a été retrouvée morte la veille dans un hôtel de Pennsylvanie avec deux balles dans la tête. Il admet aussi ne pas l'avoir vu mourir mais seulement entendu les coups de feu. Keaton / Söze aura pu aussi l'assurer d'une immunité grâce à ses relations. Verbal en larmes, reconnait être idiot avoir été manipulé par Keaton qu'il suivait aveuglément.

Kujan est content. Il est persuadé que Keaton a mis en scène sa propre mort, comme il l'a déjà fait dans le passé, mais qu'il a échoué et que Söze ou pas Söze, ils n'entendront plus parler de lui. Verbal récupère ses effets personnels (un briquet en or, une montre en or et un paquet de cigarettes) à la sortie du poste de police. Kujan, resté dans le bureau du sergent Rabin, s'aperçoit que des noms et détails mentionnés dans l'histoire racontée par Verbal proviennent en fait du tableau d'affichage du sergent Rabin, le nom de Kobayashi est celui de la marque de la porcelaine imprimée sous sa tasse de café. Se rendant compte que Verbal a tout inventé en s'inspirant de noms qu'il pouvait voir autour de lui dans le bureau où il était interrogé, il se lance à sa poursuite. De son coté Baer, passe près d'un fax qui reçoit le portrait-robot de Keyser Söze : c'est le visage de Verbal. Celui-ci vient de sortir du poste de police, Kint / Söze retrouve une démarche normale et, d'un pas assuré, sans boiter, la main redevenue valide, monte à bord d'une voiture conduite par son complice, le Kobayashi de sa "confession" qui s'éloigne.. Kujan se souvient des mots de Kint/Söze : La plus grande ruse du diable est de faire croire qu'il n'existe pas... le plus grand tour du diable, a été de convaincre el monde de son inexistence... Et, comme ça, il a disparu

 Le préambule, "la nuit dernière", comporte deux grandes scènes, celle de l'apparition de Keiser Söze devant Keaton, que l'on reverra à la fin sous un autre angle, et l'interrogatoire de New York où sont réunis les cinq malfrats. Néanmoins, pour l'essentiel,  le film se déroule sur deux heures, dans le bureau du sergent Rabin, où Verbal Kint, en attendant sa libération, raconte son histoire à l'agent des douanes Kujan.

Le jeu du chat et de la souris entre un policier et un gangster ne repose pas sur de la profondeur psychologique, mais sur de la ruse où celui qui croit dominer se fait berner. Le film a acquis une réputation un peu surfaite du fait de la complexité de sa construction qui le rend difficilement compréhensible à une première lecture. Cet aspect est intégré au projet du film qui devient plus amusant lors d'une seconde vision. Il reste néanmoins un pur produit de divertissement, sophistiqué mais plus malin que permettant d'entrapercevoir la malignité du diable qu'est supposé être Keyser Söze.

Une mécanique rigoureusement construite...

Après un premier flash-back remontant à six semaines en arrière lors de la confession inaugurale de Verbal, le film va proposer au cours de l'interrogatoire huit séquences en flash-back : de la sortie de prison à l'attaque de la voiture des policiers ripoux convoyant le marchand d'émeraudes (1) ;  de la remise des pierres à Redfoot à Los Angeles à l'attaque sanglante inutile dans le sous-sol d'un parking (2); la rencontre avec Kobayashi, avocat de Söze qui leur confie la mission d'attaquer le cargo (3), l'histoire de Keyser Söze racontée, avec trois brefs retour au présent, par Verbal (4), la fuite de Fenster (5), la capture de Kobayashi, relâché car il détient Edie, enchainé avec l'attaque du cargo jusqu'a la mort de Hockney (6), la narration par Kujan de comment il voit la suite de l'attaque avec le meurtre du hongrois (7). C'est ensuite Verbal qui reprend sa narration de la scène initiale (8). Ces un plus huit flashes-back  sont prolongés au final par une série de très courts flashes mentaux par lesquels Verbal "voit" comment, selon les dire de Kujan, il aurait été manipulé par Keaton. Le film comporte ainsi dix grandes séquences de flashes-back pris en charge, pour deux d'entre elles, par les fausses déductions de Kujan.

Par ailleurs les séquences filmées au présent dans le bureau doivent aussi laisser alterner celle de l'enquête de Baer, l'agent du FBI, avec l'interrogatoire du hongrois, les informations qu'il ramène de l'extérieur et la vision par lui du portrait robot de Kint/Söze en même temps que Kujan a enfin compris de quoi il en retourne.

... Pour perdre le spectateur

L'ensemble de l'histoire racontée est vraie : Verbal/ Söze manipule ses quatre complices. Keaton est bien abattu par Verbal/Söze comme le montre la séquence initiale et le flash-back noté ici 8. Seule la vision de celle-ci par un Verbal boiteux est fausse d'où l'insistant plan ironique sur les cordes enroulées derrière lesquelles, iil est censé se cacher qui est filmé trois fois car revenant dans les flashes rapides de la fin. C'est l'instance narrative, hors champ de l'action qui est fausse. Pour le reste, seuls les noms des principaux protagonistes non connus de Kujan sont inventés : Redfoot et Kobayashi. C'est ainsi les seuls indices qui apparaissent sur le tableau en desordre du sergent Rabin avec les mots "Quartet" et "Guatemala" qui lui ont servi pour embrayer sur sa longue narration, où il va cacher son rôle véritable.

Kujan reproche le désordre de son bureau à Rabin. Celui-ci lui déclare que c'est du bordel organisé : ce n'est pas évident au premier regard, il faut prendre du recul. Bryan Singer nous invite bien entendu à faire le même travail et à revoir le film une seconde fois. Mais s'il devient alors plus facile d'admirer la mécanique narrative, il reste tout aussi vide quant à sa description du milieu des gangsters. Söze prend certes le risque de ne pas fuir pour raconter deux fois, au procureur et à Kujan, une histoire qui va renforcer la légende de Söze mais le décalage reste grand entre sa supposée sauvagerie incarnée pa le falsh-back, certes probablement mensongé, et la ruse intelligente et tranquille dont il fait preuve au cours des six semaines de l'action racontée.

Bryan Singer ne se prive d'ailleurs pas de quelques beaux plans sophistiqués mettant en scène la tasse Kobayashi. On voit effectivement Verbal lever les yeux vers la tasse tenue par Kujan pour en probablement lire le nom. C'est ensuite la surimpression de la grotte près de la mer dans la tasse de café, filmée ensuite en plongée. La compréhension par Kujan qu'il s'est fait berner en lisant le tableau est aussi amorcée en filmant trois fois la tasse qui se brise.

Jean-Luc Lacuve le 18/08/2014.