Paul Jeffrey Sharits est un artiste américain né à Denver en 1943. Cinéaste, peintre, dessinateur et sculpteur, il fut également enseignant en cinéma à l’University de Buffalo Center aux côtés d’artistes tels que Hollis Frampton ou Tony Conrad. Son œuvre cinématographique – avec celles de Michael Snow, Malcolm Le Grice, Peter Kubelka ou Peter Gidal – est considérée comme fondatrice du cinéma structurel tel que l’a défini l’historien du cinéma expérimental Paul Adams Sitney. Emblématique de l’avant-garde cinématographique des années 1960 – 70, le cinéma structurel s’attache à questionner la matérialité du médium filmique en exploitant de manière inédite et radicale le photogramme ainsi qu’en utilisant les techniques de la boucle et du re-filmage.

La réflexivité caractéristique de cette tendance se manifeste chez Sharits par une nouvelle approche des possibilités du défilement cinématographique et par une exploration plastique du ruban pelliculaire. Son œuvre est une critique radicale du principe d’illusion propre au cinéma. Ainsi il créa plusieurs films de clignotement (flicker films) dans lesquels il cherche à développer une approche physiologique de la couleur par la succession très rapide d’images colorées. « Ces films postulent que la réalité du film est discontinue ; sur le ruban, délimitation des photogrammes imprimés ; dans l’appareil de projection, alternance mécanique entre ouverture et obturation. Cette réalité devient le sujet du film. […] Les flicker films de Sharits reposent sur des combinaisons rythmiques de photogrammes de couleur : souvent une seule couleur non modulée occupe toute la surface du photogramme […]. Parfois il n’y a rien d’autre à voir que cette suite de couleurs pures (Ray Gun Virus, Analytical Studies I, Declarative Mode) ; mais plus souvent, ces monochromes alternent avec diverses images photographiques, en noir et blanc, positives ou négatives, ou en couleurs (Piece Mandala / End War, T,O,U,C,H,I,N,G, Razor Blades). Le résultat est une combinaison de violence et d’extase ; un mélange de contraires susceptibles de provoquer un ébranlement de la perception esthétique. Ces films nous pressent d’abandonner nos modes habituels de consommation du cinéma ; leur effet visuel passe par un exercice de déconditionnement. »

Au milieu des années 1960 Paul Sharits participe, aux côtés de Nam June Paik et Yoko Ono, au mouvement artistique Fluxus fondé par George Maciunas. Dans ce contexte, il réalise plusieurs films courts (dont Sears Catalogue, Wrist Trick et Word Movie) qui inaugurent véritablement sa carrière de cinéaste. Auparavant, il avait toutefois réalisé une première série de films qu’il détruisit à la fin des années 1960. De ces premiers essais ne subsiste que Wintercourse retrouvé par son auteur en 1985.

Á partir des années 1970, ses recherches portent plus spécifiquement sur le support filmique dont il explore la plasticité des composantes (perforations) et la matérialité (le grain de l’émulsion dans Colour Sound Frames et Axiomatic Granularity ou encore les effets de brûlure dans Bad burns ou 3rd Degree). A cette époque son activité artistique s’élargit. Il conçoit des installations multi-écrans destinées aux galeries d’art ou aux musées. Certaines de ses œuvres se déclinent également sous forme de tableaux de pellicule (Frozen Film Frame) dans lesquels le ruban filmique découpé en parties de mêmes longueurs est placé entre deux plaques transparentes. Un même film peut donc être appréhendé sous sa forme temporelle dans le cadre d’une projection cinématographique en salle ; mais aussi dans sa dimension spatiale, accroché tel un tableau aux murs d’un musée.

Maxime Hot, le 12/03/2015

Bibliographie :

Filmographie :

1962  Wintercourse
 

16mm. N&B. Silencieux. 12 mn.

   
1965  Sears Catalogue 1-3
 
Fluxfilm n°26. 16mm. N&B. Silencieux. 28 secondes.
« Chaque photogramme du film est une image différente qui provient des catalogues de vente par correspondance Sears Roebuck. Le film juxtapose les images des objets vendus par Sears à la société de consommation, dont des images de modèles féminins. Par cette sorte d’inventaire sociologique de l’Amérique des années soixante, Sharits fait un clin d’œil désinvolte envers la société de consommation sexiste. »
   
1965  Dots 1 & 2
 

Fluxfilm n°27. 16mm. N&B. Silencieux. 35 secondes.
« Ce film réalisé sans caméra a été conçu à partir de la copie positive et négative d’une bande de film transparente perforée utilisée à cette époque pour indiquer aux techniciens des laboratoires cinématographiques la fin d’un rouleau. »

   
1965  Wrist Trick
  Fluxfilm n°28. 16mm. N&B. Silencieux. 28 secondes.
« Ce film monté dans la caméra, image par image, présente une alternance de photogrammes négatifs et positifs qui montrent un poignet lacéré par une lame de rasoir et l’image d’une banane à moitié épluchée. » 
   
1965  Unrolling Event
 
Fluxfilm non numéroté. 16mm. N&B. Silencieux. 5 secondes.
« Dans ce film à l’humeur très caustique, Sharits donne le mode d’emploi, image par image et mot par mot, sur l’action de déféquer :
1 – PULL / DOWN / ROLL
2 – FOLD / INTO/ PAD
3 – WIPE / UNTIL / CLEAN
4 – DROP / INTO / TOILET
5 – FLUSH / AWAY / PAPER
Entre chaque mot apparaît une série de trois photogrammes identiques entrecoupés de deux cartons blancs. »
   
1966 Word Movie
 

Fluxfilm n°29. 16mm. Couleur. Sonore. 4 mn.

« Le film est fait d’une série de photogrammes montrant chacun un mot qui a, le plu souvent au même endroit du cadre, une lettre en commun avec le suivant. Cela forme une énumération de mots sans aucun sens précis. La persistance rétinienne du spectateur empêche la disparition complète des mots qui défilent rapidement sur l’écran. Ce procédé donne au film l’apparence d’un continuum textuel plus ou moins net. La bande-son de Word Movie consiste en une voix d’homme et de femme qui énoncent à tour de rôle les mots de deux textes différents, l’un décrivant le caractère fonctionnel du système nerveux, l’autre la manière de fabriquer des éléments décoratifs à partir de pliages. »

   
1966 Piece Mandala / End War
  16mm. Couleur. Silencieux. 5 mn.
   
1966 Ray Gun Virus
    16mm. Couleur. Sonore. 14 mn.
   
1965-68 Razor Blades
 

16mm. Couleur. Sonore. Double projection. 25 mn.

« Elaboré entre 1965 et 1968, Razor Blades est fait de deux films 16mm de mille pieds projetés côte à côte avec double piste sonore en progression inverse. Des photos d’objets divers, généralement des images de consommation, de sexualité, de destruction et de régénération, sont associées à des photogrammes abstraits.
Ces images donnent le plus souvent à voir une texture chromatique en mouvement, faite de bandes, de points, de cercles ou de mots. L’ensemble joue sur les seuils perceptifs et les rythmes déterminés par la quantité de photogrammes identiques en séquence. Ces rythmes associent un bombardement oculaire et sonore incessant avec la répétition en boucle des motifs. Le film, préparé en partition, est fait de quatorze boucles et construit selon le principe du mandala. »

   
1968 N:O:T:H:I:N:G
  16mm. Couleur. Sonore. 36 mn.
   
1968 T,O,U,C,H,I,N,G

16mm. Couleur. Sonore. 12 mn.

« Partant du photogramme et du clignotement, Paul Sharits crée de nouveaux signes qu’il "met en grammaire" pour traduire de troubles pulsions de mort et de sexualité. Des photogrammes en couleur d’un garçon dévêtu alternent avec deux séries d’images en négatif et en positif. Dans l’une, sa langue est sur le point d’être sectionnée par une paire de ciseaux ; dans l’autre, des ongles de femme déchirent son visage...

   
1968-70 S:TREAM:S:S:ECTION:S:ECTION:S:SECTIONED
 

16mm. Couleur. Sonore. 42 mn.

   
1971  Inferential Current

 

16mm. Couleur. Sonore. 8 mn.
   
1971-76 Analytical Studies I : The Film Frame
  16mm. Couleur. Silencieux. 30 mn.
   
1971-76 Analytical Studies II : Unframed Lines
  16mm. Couleur. Silencieux. 25 mn.
   
1972-73  Axiomatic Granularity

 

16mm. Couleur. Sonore. 20 mn.
   
1973-74 Analytical Studies III : Color Frame Passages

 

16mm. Couleur. Silencieux. 30 mn.
   
1974  Colour Sound Frames

 

16mm. Couleur. Sonore. 25 mn.
   
1974 Vertical Contiguity

 

16mm. Couleur. Sonore. Double projection. 15 mn.
   
1975 Apparent Motion
  16mm. Couleur. Silencieux. 36 mn.
   
1975-77  Analytical Studies IV : Blank Color Frames
  16mm. Couleur. Silencieux. 20 mn
   
1976 Epileptic Seizure Comparison

16mm. Couleur. Sonore. Simple et double projection. 34 mn.

« Epileptic Seizure Comparison est une combinaison du flicker et du refilmage, en même temps qu’une dramatisation intense du flicker et du son électronique. Le matériau de base est constitué par deux films médicaux en noir et blanc de quelques secondes, présentant le filmage de deux crises d’épilepsie expérimentales, induites artificiellement, l’une par un signal électrique, l’autre par un signal lumineux. Les patients sont munis d’électrodes rattachées à divers points du cerveau.

   
1976 Tail
 

16mm. Couleur. Silencieux. 4 mn.

   
1976-77 Declarative Mode
  16mm. Couleur. Silencieux. Double projection. 38 mn.
   
1977 Episodic Generation
  16mm. Couleur. Sonore. 30 mn.
   
1977  Tirgu Jiu
  16mm. Couleur. Silencieux. Double projection. 10 mn.
   
1977-85  Brancusi’s Sculpture Ensemble at Tirgu Jiu
  16mm. Couleur. Silencieux. 21 mn.
   
1977-86 Figment I : Fluxglam Voyage in Search of the Real Maciunas
  Super 8 transféré sur vidéo. Couleur. Sonore. 2h55.
   
1981 Sketches in Hawaii
  Super 8. Couleur. Silencieux. Double projection. 9 mn.
   
1982 3rd Degree

 

16mm. Couleur. Sonore. Simple et triple projection. 23 mn.
   
1982  Bad Burns
  16mm. Couleur. Silencieux. 6 mn.
   
1987  Rapture
  Vidéo. Couleur. Sonore. 17 mn.
   
   
   

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(1943-1993)
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histoire du cinéma : Pensée et cinéma