Notre-Dame du Nil

Atiq Rahimi
2019

D'après le roman Notre-Dame du Nil de Scholastique Mukasonga. Avec : Amanda Mugabezaki (Virginia), Albina Kirenga (Gloriosa), Malaika Uwamahoro (Immaculée), Clariella Bizimana (Veronica), Belinda Rubango (Modesta), Ange Elsie Ineza (Frida), Kelly Umuganwa Teta (Goretti), Pascal Greggory (Fontenaille), Carole Trevoux (La mère supérieure). 1h33.

Rwanda, 1973. Dans le prestigieux institut catholique "Notre-Dame du Nil", perché sur une colline, des jeunes filles rwandaises étudient pour devenir l’élite du pays. En passe d’obtenir leur diplôme, elles partagent le même dortoir, les mêmes rêves, les mêmes problématiques d’adolescentes. Mais aux quatre coins du pays comme au sein de l’école grondent des antagonismes profonds, qui changeront à jamais le destin de ces jeunes filles et de tout le pays.

Le livre de Scholastique Mukasonga est une fiction inspirée de son adolescence où les personnages d'un internat de jeunes filles en 1973 réalisent en huis clos ce que le génocide de 1994 réalisera à la dimension de tout un pays. La trajectoire sensible du roman est hélas rendue caricaturale par son illustration cinématographique.

Une fiction plus qu'une autobiographie

Scholastique Mukasonga est née en 1956 au sud-ouest du Rwanda au bord de la rivière Rukarara. En 1959, éclatent les premiers pogroms contre les Tutsi. En 1960, sa famille est déportée, avec beaucoup d'autres Tutsi, à Nyamata au Bugesera une région de brousse alors très inhospitalière. Elle réussit à survivre en dépit des persécutions et des massacres à répétition. Malgré le quota qui n'admettait que 10% de Tutsi dans les établissements secondaires,  elle rentre au lycée N-D de Citeaux à Kigali puis à l'école d'assistante sociale à Butare. En 1973, les élèves tutsi sont chassés des écoles et les fonctionnaires de leurs postes. Elle part alors en exil au Burundi pour échapper à la mort. Elle achève ses études d'assistante sociale au Burundi et travaille ensuite pour l'UNICEF. Elle arrive en France en 1992 et passe à nouveau le concours d'assistante sociale, le diplôme burundais n'étant pas reconnu par l'administration française.  De 1996 à 1997, elle est assistante sociale auprès des étudiants de l'université de Caen. De 1998 à ce jour, elle exerce la fonction de mandataire judiciaire auprès de l'Union départementale des associations familiales du Calvados.

En 1994, 37 membres de sa famille sont assassinés durant le génocide de Tutsi. Il lui faut dix ans pour avoir le courage de retourner au Rwanda en 2004. C'est à la suite de ce séjour qu'elle se sent la force  d'écrire son premier livre, une autobiographie, Inyenzi ou les Cafards . C'est le portrait de sa mère et le récit de son enfance, dans le village de regroupement de Nyamata où sa famille a été déplacée en 1960. Il évoque les persécutions mais aussi les jours malgré tout heureux de cette période.

Le second livre, La Femme aux pieds nus (2008),  est un hommage à sa mère et au courage de toutes les femmes de Nyamata qui s'ingéniaient à survivre et à sauver leurs enfants d'une mort promise. Il offre aussi un tableau de la tradition et de la vie quotidienne au Rwanda. Un recueil de nouvelles, L'Iguifou, suit en 2010. Son roman, Notre-Dame du Nil, obtient le prix Ahmadou-Kourouma à Genève, et le prix Renaudot 2012. elle imagine un lycée perché dans la montagne à 2 500 m d'altitude non loin d'une présumée source du Nil où sont réunies les filles de hauts dignitaires. Un  quota limite le nombre des élèves tutsis à 10 %. Dans ce huis-clos, s'exaspèrent les rivalités soi-disant ethniques. L'unité de lieu, le lycée, et le climat de la saison des pluies, renforcent ce huis-clos. La fiction se fonde évidemment sur des éléments autobiographiques : le lycée N-D du Nil ressemble au lycée N-D de Citeaux à Kigali où elle a été élève et l'épuration des élèves tutsi est celle qu'elle a subie en 1973 et l'a contrainte à l'exil au Burundi

Une mise en images esthétisante

Atiq Rahimi accentue la dimension de marche vers le génocide que contient le roman en découpant son film en chapitres (L’innocence, Le sacré , Le sacrilège  et  Le sacrifice) mais surtout en canalisant les multiples voix qui se font entendre dans une opposition binaire Tutsis/Hutus entre d'un côté Virginia et Veronica et de l'autre Gloriosa et Modesta avant qu'Immaculée ne vienne permettre à Virginia, alter ego Scholastique Mukasonga de s'échapper.

Pareillement, les rôles de la mère supérieure, du colon français ou du ministre ou de la sorcière sont donnés une fois pour toute dans leur rigidité idéologique. De ce fait, on a presque l'impression que c'est une anecdote (chute dans la boue de la rivière), une invraisemblance (comment croire que le cri de Gloriosa aurait fait fuir 50 guerriers Tutsis) une caricature (le père ministre de Gloriosa) qui ont conduit au massacre

Du coup, le film bascule dans un symbolisme à bon compte : bataille d'oreillers façon Zéro de conduite et danse sous l'orage avant le déclanchement du massacre. Les ralentis esthétisants sur les jeunes filles en groupe ou le refus d'engager des jeunes filles de chaque ethnie mais d'indifférencier le casting pour tous les rôles disent un désir de réconciliation, certes bienvenu, mais qui brouille l'analyse du drame et, à mon avis le nécessaire dialogue entre deux cultures qui s'enrichissent et se dépassent sans s'effacer pour former un pays uni par le désir de vivre ensemble.

Jean-Luc Lacuve, le 16 février 2020

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