Pologne 1949. Dans les coins les plus reculés de la campagne polonaise, Viktor, preneur de son, Irena, une musicologue et Kaczmarek, un bureaucrate du parti, collectent le patrimoine musical polonais dans les fermes et les villages. Ils ont pour tâche de préserver la culture populaire, méprisée par les élites. Mais eux-mêmes sont en passe d’entrer dans les rangs de l’élite en constituant un ensemble national de chanteurs et de danseurs destiné à propager dans le pays et dans le monde, à commencer par le bloc communiste, la glorieuse culture polonaise.
Dans un château en ruine, des jeunes passent des auditions. La première à en bénéficier est une belle jeune fille blonde, Zula, qui n’a pas besoin de faire de grands efforts pour séduire Viktor. Irena le prévint pourtant : Zula aurait tué son père. Zula lui avoue qu'elle a bien agressé son père parce qu'il tentait de la violer ("Il m'a pris pour ma mère; mon couteau lui a montré la différence"). Elle a été condamnée à deux ans de prison avec sursis. Devenus amants, elle lui avoue aussi moucharder sur son compte pour Kaczmarek. Après un moment de colère, Viktor se laisse séduire par l'élan vital de Zula qui s'est jetée à l'eau en chantant.
1951. La troupe donne un premier spectacle officiel à Varsovie. Le succès est immense. Néanmoins, le secrétaire du parti communiste insiste pour qu'ils modifient leur répertoire et chantent à la gloire de Staline. Irena refuse mais, sous la pression de Kaczmarek, reste jusqu'à un premier spectacle qui, moins enchanteur que le premier, est néanmoins un succès. Elle démissionne alors.
1952. Lorsque Kaczmarek explique à Viktor qu'ils vont partir à Berlin, celui-ci convainc Zula de partir à l'Ouest avec lui après le spectacle. Zula est néanmoins réticente. Elle qui ne parle pas le français : que deviendra-t-elle là-bas ? Après la représentation berlinoise, de nouveau un grand succès, Zula renonce à quitter la troupe dont elle est la vedette pour rejoindre celui qu'elle aime. Vicktor franchit seul et sans encombre la frontière encore libre, entre Berlin-Est et Berlin-Ouest
1954 : Viktor est à Paris, pianiste à l'Eclipse, une boite de jazz. Il partage sa vie avec Juliette. Un soir, il attend Zula dans un bar car elle est venue en représentation avec la troupe. Ils n'échangent que quelques mots et un baiser fougueux.
1955 : Viktor est venu à Zagreb voir Zula danser avec sa troupe. Mais Kaczmarek veille au grain et, constatant le trouble de Zula sur scène, fait arrêter Viktor à l'entracte et le réexpédie en France par le premier train en partance. Zula ne peut que constater le fauteuil vide de son amant à la fin du spectacle.
1957 : Viktor compose et dirige la musique du film de Michel, son ami lorsqu'ils sont interrompus par l'arrivée de Zula. Elle est venue le rejoindre légalement en épousant un Italien. Après leurs retrouvailles amoureuses, la greffe ne prend pourtant pas. Zula maîtrise mal le français et les codes de conduite du Paris de l'époque: elle se retient à grand peine d'insulter Juliette et réprouve le portrait que Vicktor a fait d'elle auprès de Michel pour la rendre plus romanesque. Elle boit trop et est réticente à chanter en français les textes polonais de leurs chansons traduits librement par Juliette. Le petit succès qu'elle rencontre sur scène et un disque ne lui suffisent pas. Elle devient la maîtresse de Michel et c'est à lui qu'elle annonce son retour en Pologne sans avertir Viktor qui se rue comme un fou chez celui qui fut son ami. En vain.
1959 : Viktor tente d'obtenir un visa pour retourner en Pologne auprès du consulat. Mais le consul voudrait qu'il moucharde sur ses compatriotes. C'est ainsi dans un camp de prisonniers que Zula retrouve celui qui a franchi illégalement la frontière pour elle. Le crâne rasé, un doigt de chaque main sectionné, Viktor a été condamné à quinze ans de prison. Zula promet d'user de son influence pour le sortir de là.
1964 : Viktor rejoint Zula lors d'une tournée où elle la chanteuse d'un groupe folklorique mexicain. Elle a épousé Kaczmarek duquel elle a un enfant et qui a obtenu, en échange, la libération de Viktor. Zula et Viktor veulent fuir ensemble. Ils prennent des barbituriques dans la basilique à ciel ouvert à proximité du château en ruine qui vit leur rencontre. Seuls, avec une simple bougie devant eux, ils procèdent à la cérémonie du mariage. Ils sont désormais ensemble pour les siècles des siècles. C'est assis sur un banc qu'ils attendent la mort.
La séduction de l'image et de la musique est constante, à l'Est d'abord comme à l'Ouest. Le mélodrame tient à l'impossibilité pour les deux amants de trouver un espace commun où ils pourraient s'épanouir. Caressés par la caméra, mais séparés trop souvent par des ellipses, il ne leur restera plus qu'à quitter le champ au dernier plan. Autant de moyens plus ou moins discrets qui méritaient le prix de la mise en scène attribué à Cannes en 2018.
Séduction de l'image, de la musique et des amours contrariées
Toute la première partie est très belle; les chants populaires recueillis a capella et face caméra. La neige de l'hiver polonais; La splendeur de l'image, des décors (la basilique à la coupole à ciel ouvert et sa fresque du visage du Christ à moitié détruite), le premier spectacle des danses avec chant et orchestre; les amours de Vickor et Zula et notamment le saut dans l'eau en chantant de cette dernière se laissant dériver au fil du courant comme une Ophélie joyeuse. C'est ensuite la séduction du soleil de Zagreb, des bords de Seine à Paris et de ses décors de boites de jazz et des rues, la nuit.
En 1951, Zula qui recherche une certaine sécurité après des années difficiles, refuse de quitter la Pologne et se morfond dans un quotidien sans joie. Viktor aurait pu la comprendre et rester en Pologne. Mais ses velléités d'artiste lui font maintenir son choix personnel. Néanmoins son amour pour Zula reste intact. Leur rencontre par des seuls regards à Zagreb en montre la réciprocité et la chanson "maman ne veut pas que j'épouse mon petit chéri" chantée une première fois quelques années auparavant devient plus émouvante.
Quand Zula rejoint Viktor en France, elle ne se fait pas à un monde dont elle ne comprend pas les codes et qu'elle trouve dévirilisé. Le disque moitié en polonais et moitié en français lui semble "un bâtard".
Ellipses, champ et hors champ
Lé mélodrame des amours contrariées par l'histoire est rythmé par des ellipses marquées pour toutes les premières d'un plan noir de quelques secondes.
La caméra effleure souvent la nuque des personnages avant un mouvement lent qui découvre l'ensemble de la scène. Très belle aussi la position du trio devant la glace où se reflètent les jeunes danseurs tout à leur joie d'un premier spectacle réussi. Le plan dure suffisamment longtemps pour que l'on finisse par remarquer que Viktor ne regarde que Zula, perdue au milieu du plan, mais qui le regarde aussi fixement; c'est ce qu'un plan rapproché sur elle vient confirmer. A contrario, lors de la soirée à l'Eclipse, Viktor se rend compte trop tard du malaise de Zula.
Mélodrame sans drame, le malheur se matérialise ici par la seule sortie de champ. Ainsi Irena qui sort du champ après le premier succès du nouveau répertoire à la gloire de Staline et que l'on ne reverra plus. Et surtout dernier plan tragique où les amants, ayant pris les barbituriques qui vont bientôt les tuer, quittent le banc pour aller de l'autre côté du chemin sans que la caméra ne bouge et ne fixe plus alors que le banc, vide. Les amants ont choisi de regarder le meilleur côté... même s'ils en sont exclus.
Jean-Luc Lacuve le 1er novembre 2018.