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La femme du boulanger

1938

Avec : Raimu (Aimable Castanier), Ginette Leclerc (Aurélie Castanier), Robert Vattier (Le curé), Robert Bassac (L'instituteur), Fernand Charpin (Le marquis Castan de Venelles), Edouard Delmont (Maillefer), Charles Blavette (Antonin), Marcel Maupi (Barnabé), Maximilienne (Mademoiselle Angèle), Alida Rouffe (Céleste, la bonne du curé). 2h05.

Le boulanger Aimable Castenet vient s'installer dans le petit village provençal de Sainte Cécile où depuis des générations, les habitants entretiennent des rancunes aussi mesquines que stupides. Dès sa première fournée, Aimable fait la conquête de tous. Jamais ils n'ont mangé de pain aussi bon. Aurélie, sa très jeune femme, se tient à la caisse, silencieuse, les yeux modestement baissés. Mais une nuit, Aurélie s'enfuit avec Dominique, le berger du marquis de Monelles. A partir de ce moment, Aimable, désespéré, ne songe plus qu'à s'ennivrer, perd la tête et songe même à se pendre. Rien, ni personne ne peut le décider à se remettre devant le fournil. Le village manque de pain... Alors toutes les familles oublient leur haine et leur rancune, l'instituteur et le curé vont jusqu'à faire la paix. Tous sans exception se mettent à la recherche de la boulangère et la ramène à son bon vieux mari qui l'accueille, sans oser lui faire de reproches, de crainte de la voir s'enfuir de nouveau. Dès lors la vie redevient paisible dans ce village qui, désormais, ne manquera pas de pain.

Seul film de Pagnol, où Raimu ait vraiment le rôle central : toute l'intrigue gravite autour de lui et lui donne l'occasion de livrer la plus variée et la plus audacieuse de ses compositions ; voir la longue scène d'ivrognerie où il rit, chante en italien, dit des obscénités (on écarte les enfants), s'effondre en larmes et s'endort en évoquant avec lyrisme l'odeur des bras de sa femme

Aussi bien dans la construction de l'intrigue que dans l'écriture des dialogues et l'interprétation, Pagnol est le champion de "l'un et du multiple", de la description de l'individu et du groupe reliés entre eux par des liens vrais et profonds. Autour de Raimu vit ici tout un peuple de personanges et d'acteurs qui sont, dans le propos de l'auteur, aussi important que lui.

Chez Pagnol, l'ironie et la compassion, la précision et le pittoresque du trait, en un mot le réalisme, servent à cerner l'individu. Quand il s'agit du groupe et de sa solidarité cachée (laquelle représente autant que les malheurs du boulanger, le vrai sujet du film), Pagnol se laisse aller à la rêverie, au lyrisme peut-être même à l'utopie. Y a-t-il eu jamais, ailleurs que dans son imagination, communauté aussi unie, aussi organiquement solidaire, aussi unanime dans ses réactions que le village du boulanger ?

Cette dualité de niveaux et de tons donne à ses films leur richesse particulière. Le dynamisme, la nervosité piquante de l'humour, le relief concret des films de Pagnol viennent en grande partie de ses rassemblements d'hommes et de femmes où, selon le contenu de la scène, un acteur et un personnage secondaire, ont soudain leur grand moment. Ainsi l'irrésistible Delmont, dans le rôle du pêcheur Maillefer qui ne peut répondre à une question ou donner un renseignement sans raconter toute sa journée en commençant par ses premières impressions au réveil. Il faudra que le boulanger, exaspéré d'attendre, l'étrangle à moitié pour qu'il accouche de ce qu'il avait à dire.

Un caractère, une manie, un trait humain et notamment ce besoin ressenti par les plus humbles d'avoir leur importance au sein du groupe sont fixés là avec une prodigieuse maestria, en quelques minutes d'intense jubilation, typique de cette petite comédie humaine que contient chaque film de Pagnol.

Jacques Lourcelles : dictionnaire du cinéma

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