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La noire de...

1966

Genre : Drame social

D'après Voltaïque, la nouvelle Ousmane Sembène. Avec : Mbissine Thérèse Diop (Diouana), Anne-Marie Jelinek (Madame), Momar Nar Sene (Le petit ami de Diouana), Robert Fontaine (Monsieur), Bernard Delbard, Nicole Donati, Raymond Lemeri (les invités), Ousmane Sembene (L'institueteur). 1h00.

Le paquebot qui relie Dakar à Nice entre dans le port. Diouana se demande si quelqu'un est venue l'accueillir; et effectivement Monsieur, son patron la conduit jusqu'à Antibes. Elle est venue de Dakar pour garder les trois enfants du couple et s'étonne de ne pas les voir et d'être bientôt confinée aux taches domestiques. De la France dont elle rêve depuis l'étage de l'immeuble, elle ne voit que l'étagement des maisons qui vont jusqu'a la mer. Madame  ne cesse de la harceler et l'affuble d'un tablier. Elle qui ne s'estime pas cuisinière doit préparer les repas, et faire tout le ménage. Lorsque les trois enfants reviennent de vacances, elle doit en plus les conduire et les ramener de l'école.

Elle est loin de la vie dont elle rêvait à Dakar; elle vivait alors avec son jeune frère et sa mère non loin de l'école publique. Comme beaucoup d'autres habitants elle souhaite trouver un travail. Elle fait donc le tour des habitations de la ville à la recherche d'un poste de femme de ménage ou de nourrice mais ne trouve que des refus. Elle rencontre un homme qui lui indique une place où elle pourrait peut-être trouver ce qu'elle recherche. Après de longs jours passés à attendre sous la chaleur écrasante avec d'autres femmes, "Madame" vient la trouver et lui propose de travailler pour elle et son mari en s'occupant de leurs enfants. Diouana est folle de joie. Le premier jour elle offre un masque à ses patrons et est satisfaite de son nouveau travail

A Antibes, ses patrons constatent qu'elle dépérit mais lui refuse des jours de vacances que Diouana, qui ne parle presque pas français, ne sait réclamer. Un jour, des amis sont invités à déjeuner et elle doit préparer un plat de riz pour eux et servir le café pendant qu'ils se rengorgent des avantages offerts aux colons.

Cette fois c'en est trop pour Diouana qui pense à tout ce qu'elle a perdu en quittant Dakar. L’homme qui l'avait guidé pour trouver une place était devenu son petit ami, une fois qu’il avait compris que c'est elle qui conduisait leur relation. Elle s’amusait d’être libre et de partir en France. Elle s'était donné à lui avant de partir. C'est avec joie quelle avait accepté de suivre ses patrons à Antibes, espérant découvrir la France.

Là enfermée, déshumanisée, sa tristesse grandissante est interprétée comme de la fainéantise par Madame. Monsieur veut lui donner son argent du mois qu'elle refuse, pensant bien davantage à récupérer le masque qu'elle avait offert en toute innocence. Un jour qu’ils rentrent d'une sortie, ses patrons découvrent que Diouana sans contact avec sa famille et ne trouvant plus aucun espoir dans sa situation, s'est suicidée dans la salle de bain.

Ce suicide est couvert par la presse et Madame et Monsieur décident de retourner à Dakar. Monsieur ramène la valise de Diouana à sa mère et lui offre l'argent gagné par sa fille. La mère n'en veut pas et famille et voisins voient s'éloigner Monsieur perclus de mauvaise conscience et inquiet d’être suivi par le jeune frère de Diouana qui porte le masque offert jadis.

La voix intérieure de Diouana renforce l'empathie immédiate ressentie pour elle, intelligente, libre et joyeuse. Les dialogues synchrones des patrons et invités marquent de prosaïsme leurs décisions et réflexions. Exploiteurs sans complexes, ils ne comprennent pas la vitalité brimée de leur employée que sa non maîtrise de la langue entraine dans une solitude névrotique.

Le masque offert comme cadeau dans le premier flash-back apparait la première fois dès l'entrée de Diouana comme un signe inquiétant, comme pas à sa place dans cet univers petit bourgeois. Il revient plusieurs fois comme motif d’une vérité qui échappe aux colons, si ce n'est pour être l'image de leur mauvaise conscience.

Le film est situé six ans après l'indépendance du Sénégal mais cela ne semble pas changer beaucoup choses pour Ousmane Sembene. les officiels qui sortent du palais présidentiel que croise Diouana semblent à mille lieu de ses préoccupation et elle scandalise son petit ami en se servant du mur de l'institution siglé de la devise du pays "Un peuple, un but, une foi" pour des exercices d'équilibrisme.

Jean-Luc Lacuve, le 17 octobre 2024

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