Bienvenue à Gattaca

"Jérôme", chez lui, se nettoie méticuleusement allant jusqu'à faisant flamber dans un incinérateur ses restes corporels. Il se munit de poches d'urine et de sang et se colle de fausses empreintes digitales sur le doigt pour entrer au pôle spatial de Gattaca. Joseph, le directeur de la mission Titan, le félicite pour la propreté impeccable de son poste de travail et ses résultats au plan de vol pour atteindre ce satellite de Saturne : c'est certain il fera partie de la mission. Jérôme s'inquiète pourtant : des informations circulent comme quoi le comité de surveillance des missions veut la retarder. "Jérôme" est aussi félicité par le Dr Lamar lors de son examen d'urine pour contrôle de substances illicites, puis par sa collègue, Irene, qui admire son obstination à regarder chacun des douze décollages par jour de la base.

Jérôme Morrow nous apprend alors qu'il n'est pas celui qu'il prétend être. La "Riviera", c'est là qu'il a été conçu, non pas sur la côte d'azur française mais dans la voiture fabriquée à Detroit. Ses parents, Antonio et Marie Freeman, fidèles à l'élan de leur amour, avaient décidé de se passer des services de la science pour leur premier enfant, préférant laisser son avenir au hasard. Malheureusement, dès la naissance, son profil est calculé par un ordinateur qui, en quelques secondes et d'après une infime goutte de sang prélevée sur l'enfant, indique aux parents que l'espérance de vie de leur fils ne dépassera pas la trentaine puisqu'il est sujet à de graves problèmes cardiaques. En apprenant ces informations, le père, Antonio, choisit de le nommer non pas Anton mais Vincent. Commence alors pour les parents un parcours du combattant, car dans cette nouvelle société, même les écoles refusent l'admission d'enfants à risques, puisque non couverts par les assurances, dans leur enceinte. Le couple décide, sans surprise, de faire appel à la science pour leur deuxième enfant, Anton Freeman qui fait l'objet de filtrages génétiques afin qu'il le soit le meilleur du croisement génétique de ses parents. Le résultat est à la hauteur de leurs espérances. Durant l'enfance, les deux garçons n'auront de cesse de jouer aux frères de sang, de se comparer, et de se lancer des défis de natation. Au jeu de poule mouillée, Vincent perd toujours. Son aversion pour sa planète lui donne le gout des voyages dans l'espace. Adolescent, la sélection par les gènes est encore illégale mais largement pratiquée ce qui ne lui laisse aucune chance d'être pilote spatial. Un jour cependant, Vincent bat son grand frère au jeu de poule mouillée et le sauve de la noyade. À partir de ce jour Vincent sait qu'il est possible pour lui de réaliser ses rêves malgré son profil génétique déficient. Il quitte son foyer discrètement, et travaille comme homme de ménage. Il n'a pas d'autre choix : la sélection par les gènes est devenue légale. A Gattaca il est sous les ordres de Caesar. Ne pouvant contempler les cieux qu'à travers le plafond de verre de Gattaca, il décide alors d'enfreindre le système en devenant un "pirate génétique". Il fait appel à German un trafiquant pour accéder à son rêve. Moyennant 20 à 25 % de ses revenus futurs, il est mis en relation avec un "valide" déchu.

Jérôme Eugène Morrow, ancien champion de natation, était un élément prometteur ayant toutes les qualifications génétiques requises, mais, rongé par son échec (il n'obtint que des deuxièmes places), il voulut mettre un terme à ses jours en traversant une route au passage d'une voiture. Il survécut, mais perdit l'usage de ses jambes. L'accident ayant eu lieu à l'étranger, l'affaire ne s'ébruita pas. Paraplégique et alcoolique, il loue son corps et son identité à Vincent, lui fournit les échantillons biologiques pour les tests ADN (sang, urine, cheveux, peaux mortes, etc.) et prépare des poches de fluides en tous genres, afin de déjouer les nombreuses analyses auxquelles doivent se soumettre les employés de Gattaca. En échange, Vincent lui permet de garder le même niveau de vie qu'avant l'accident. Pour devenir Jérôme et pour contrer sa myopie, Vincent porte des lentilles de la bonne couleur, change sa coupe et couleur de cheveu, affine et nettoie chaque jour chaque parcelle de son corps, s'entraîne durement tant au niveau psychologique qu'au niveau physique. Il va jusqu'à subir une chirurgie orthopédique pour allonger ses tibias de 5 cm. Vincent réussit son entretien d'embauche avec le Docteur Lamar, grâce à une simple analyse d'urine, censée dépister les drogues et dans laquelle, pour une fois on ne trouve trace de l'alcool qu'ingurgite Jérôme

Devenu un "pirate génétique" ou "dé-gén-éré", Jérome/Vincent est entré comme élève astronaute à Gattaca et devenu, grâce à sa détermination, le meilleur navigateur spatial de la compagnie. Entre ses travaux, ses tests médicaux fréquents, ses sorties avec Eugène (nom désormais porté par Jérôme pour faciliter les choses, tandis que Vincent se fait appeler Jérôme), il a répandu des traces de sa fausse identité pour assurer sa sécurité.

Mais en cette semaine précédant l'envol pour Titan, le chef du comité des missions est assassiné. La police, dont Anton fait partie, ne tarde pas à chercher et scruter chaque fibre, squame ou cil pouvant se trouver sur les lieux, afin de déterminer l'identité du criminel. Les inspecteurs trouvent un cil, appartenant à un invalide qui faisait autrefois le ménage, Vincent, suspect car selon son analyse ADN il devait mourir à 30 ans, âge dépassé par cet échantillon. D'autres traces  de cet individu  (un cil et de la salive sur un gobelet) sont relevées.

Irène Cassini, la collègue de Jérôme/VIncent, qui malgré sa conception "parfaite" est atteinte de problèmes cardiaques, semble secrètement amoureuse de Jérôme, mais elle est timide à cause de son "imperfection" génétique. Elle croit que Jérôme/Vincent est trop parfait et qu'il va donc la rejeter. Elle fait en cachette un test d'ADN de Jérôme/Vincent (en lui volant un cheveu) et elle vérifie, qu'il est en effet génétiquement parfait (car le cheveu appartient en réalité à Jérôme). Elle lui avoue ce qu'elle a fait et lui donne à son tour un de ses cheveux, en lui disant que si après l'analyse il est toujours intéressé par elle, il sait où la trouver. Mais Jérôme/Vincent  laisse tomber le cheveu pour lui montrer qu'il n'attache aucune importance à la perfection génétique. Ils se mettent à sortir ensemble.

Continuant comme avant mais devant redoubler de précautions, Jérôme/Vincent poursuit et développe sa relation avec Irène, échappe à la Police grâce à sa double identité, puis aux tests de Lamar et des inspecteurs par de subtiles manœuvres. Anton, guidé par Irène, va chez Eugène/Jérôme pour vérifier son identité avec un test de sang, celle-ci ne reconnaît pas le Jérôme qu'elle aime (c'est-à-dire, Vincent), mais le vrai Jérôme. S'ensuit un face-à-face Irène-Eugène puis une scène d'explications tumultueuses entre Jérôme / Vincent qui arrive, et Irène à qui il avoue son secret et son nom, mais cette dernière fuit.

L'enquête aboutit, Joseph le chef de la mission Titan est arrêté par le détective Hugo. Son mobile : la fenêtre de lancement pour Titan n'est ouverte qu'une fois tous les 70 ans, or le directeur des missions voulait tout annuler ; en le tuant, il sauvait la mission. Le meurtrier n'avait dans son profil aucune trace de violence d'un point vue génétique. La recherche de l'"invalide" est abandonnée puisque inutile.

Anton reproche à Vincent son imposture après l'avoir reconnu. Il est jaloux et haineux de son frère qui, bien que prétendument inférieur, l'a surclassé. Il lui lance alors un défi comme lors de leur jeune temps, défi qu'il perd pour la deuxième fois, mais qui lui montre que Vincent est plus déterminé.Peu avant le départ, Vincent et Irène, réconciliés, se revoient. Il lui donne un cheveu pour un test ADN et prouver ses allégations passées, mais elle réagit comme lui auparavant, le cheveu s'envole. Puis il lui annonce qu'il part pour Titan. De retour chez Eugène/Jérôme,  Vincent se prépare à partir sur Titan. Tout en discutant, son ami Eugène/Jérôme montre toutes ses préparations et annonce ses "vacances".

À Gattaca, juste avant le départ, Jérôme/Vincent doit subir une dernière analyse d'urine qui le prend au dépourvu. N'ayant rien pour fausser son identité, il accepte, fataliste, son échec. Son identité d'invalide au nom de Vincent est révélée aux yeux du Dr Lamar qui valide malgré tout le résultat au nom de Jérôme. Le docteur Lamar sait la vérité apparemment depuis longtemps, mais il a choisi de garder son secret, car son propre fils est dans une situation similaire à celle de Vincent et en ajoutant "À titre d'information pour l'avenir, les droitiers ne tiennent pas leur outil de la main gauche. Juste un petit détail." Il le laisse partir vers le couloir qui mène à la fusée.

Vincent monte dans la fusée qui décolle vers les étoiles tandis qu'Eugène/ Jérôme, se suicide dans son incinérateur domestique, où sa médaille d'argent vire à l'or grâce aux flammes. Pendant le décollage, Vincent trouve une mèche de cheveux de Jérôme et la conserve, afin de se souvenir de l'homme qui lui a permis de réaliser son rêve. 

Sans effets spéciaux ni gadgets, Andrew Niccol renouvelle avec éclat le film de science-fiction. La fable sur les dérives de la science se double d'un thriller mâtiné de drame psychanalytique, l'enquêteur étant le frère cadet de Vincent.

Un monde futuriste froid et déshumanisé

Bienvenue à Gattaca renouvelle le thème classique de l'individu révolté face à  une société du futur totalitaire : THX 1138 (George Lucas, 1971), Soleil vert (Richard Fleischer, 1973), Brazil (Terry Gilliam, 1985) ou plus tard, Matrix (A. et L. Wachowski 1999) et V pour vendetta (James McTeigue, 2005).

Mais, comme l'indique un carton, nous sommes "Dans un avenir pas très lointain". Les voitures ont des carrosseries rétro : une Citroën DS coupé française, une Studebaker Avanti américaine, ainsi que plusieurs Rover P6 britanniques. Seul le bruitage vient rappeler qu'elles sont dorénavant à propulsion électrique. Le pôle spacial de Gattaca est tourné dans le Centre municipal du comté de Marin, ouvrage réalisé par l'architecte américain Frank Lloyd Wright en 1957 à San Rafael (Californie). Le même bâtiment avait servi pour THX 1138. Bien plus que gadgets ou trucages, presque inexistants (décollage des fusées), c'est l'homogénité d'un casting parfait (Ulma Thurman encadrée par Ethan Hawke et Jude Law), la musique de Michael Nyman et un choix chromatique très sûr qui concourent à la beauté plastique du film.

Avant même le générique apparait une citation attribuée à Willard Gaylin, psychiatre et chercheur en bioéthique "Non seulement nous manipulons la nature mais elle nous pousse à le faire" comme si l'avenir allait prendre doucement le chemin indiqué par le film avec ses conséquences de plus en plus inflexibles: la discrimination eugéniste est d'abord interdite (durant l'enfance) puis pratiquée illégalement (l'adolescence), puis légale (lors de l'admission à Gattaca). Lors de la validation du test par le Dr Lamar  les séquences de lettres G, A, T et C apparaissent  sur l'écran d'ordinateur en référence aux bases azotées de  l'ADN. Les molécules d'ADN des cellules vivantes sont formées de deux brins enroulés l'un autour de l'autre pour former une double hélice. Chacun de ces brins est un polymère constitué de nucléotides, formés de bases azotées : adénine (A), cytosine (C), guanine (G) ou thymine (T).  Ce sont les lettres utilisées pour le nom de Gattaca.

Le dépassement de soi

Les valeurs du monde changent, passant de l'amour à la sécurité. "Un enfant conçu dans l'amour a plus de chance d'être heureux, c'est une chose que l'on ne dit plus" constate Vincent. Les enfants sont sélectionnés, si ce n'est par manipulation génétique, du moins par filtrage pour obtenir "le meilleur départ possible" à partir du bagage génétique des parents et obtenir le meilleur d'eux-mêmes.

Le poids qui pèse sur les enfants semble alors les anesthésier au point qu'ils ressemblent tous à des clones. A moins que ce poids ne les fasse craquer : Anton qui va trop loin à la nage; Jérôme trouvant insupportable de n'être que deuxième. "Même pour les êtres génétiquement supérieur, le succès n'est pas assuré", conclut Vincent.

Jean-Luc lacuve le 10/04/2016