Le théâtre japonais à la fin du XIXe siècle. Les acteurs de kabuki constituent un corps de type féodal régi par un petit nombre de familles illustres. A Tokyo, Kikugorô Onoe V jouit d'une énorme popularité. Son talent est inégalé. Son fils, Kikunosuke VI devrait lui succéder. Bien que le jeu de celui-ci soit insuffisant, tous, par crainte, le louent. Aussi Kikunosuke ne croit-il pas utile de travailler. Il s'adonne aux plaisirs. Il remporte beaucoup de succès auprès des jeunes filles, mais ne se rend pas compte que ce succès est dû surtout à son nom.
C'est Otoku, la bonne de la famille, qui le lui fait comprendre, et l'incite à cultiver son art afin d'être digne de ce nom. Une amitié proche de l'amour va bientôt lier Kikunosuke et Otoku, mais la famille, scandalisée de cette relation, renvoie Otoku. Furieux de cette décision, et prenant le parti de la bonne, Kikunosuke part pour Osaka, où un parent, Tamizo Onoue, veut bien le protéger, et l'engage dans sa troupe. Otoku le rejoint bientôt, et ils commencent à vivre ensemble.
Pourtant, alors que les choses semblaient s'arranger, Tamizo meurt, et Kikunosuke, accusé de médiocrité par un acteur rival, est contraint de quitter son emploi. Il est obligé de suivre une troupe ambulante de seconde zone, toujours avec Otoku pour le soutenir dans les pires moments. Il devient aigri et paresseux, et boit. Un jour, un de ses cousins supplie sa famille d'accepter que Kikunosuke prenne sa place pour une représentation, et celui-ci obtient un triomphe dans un rôle d'oyama.
Il peut enfin retourner dans sa famille, qui lui pardonne, mais lui interdit d'emmener sa femme, de rang social inférieur. Après un instant de révolte devant cette attitude, il accepte son destin, et devient une grande vedette du Kabuki.
Les années passent. La troupe de Kikunosuke est à Osaka. La veille du spectacle, il fait le tour de la douve à bord d'un bateau orné de chôchins (lanternes en papier). Il apprend par une logeuse que son ancienne maîtresse est sur le point de mourir. Il se précipite à son chevet ; son père a autorisé leur mariage. Il la supplie de venir le voir jouer. Mais il est trop tard, elle ne peut qu'écouter les sons de la représentation de sa chambre. Elle mourra alors que Kikunosuke triomphe dans une parade nautique, passant en bateau sous ses fenêtres...
Le chef-d'œuvre de Mizoguchi avant la relative période de récession qui suit la défaite de 1945. Si le film s'inscrit dans la lignée de la tradition shinpa (productions sentimentales et mélodramatiques) et développe une thématique que le cinéaste reprendra souvent (une existence dévouée à l'art), il n'en recueille pas moins la quintessence de l'art de Mizoguchi. Celui-ci filme toujours d'assez loin pour que toute la scène se déroule dans un espace où les mouvements des personnages seront l'expression de leur sentiment. Ce sont les personnages qui sont à l'origine des mouvements d'appareils.
Le gros plan et le travelling-avant sont interdits, ils seraient une immixtion insupportable dans le jeu des personnages. Le champ-contrechamp est jugé artificiel. Il n'existe pas de hors champ car la démonstration des représentations intérieures est implacable : il n'y a pas d'hypothétique extérieur qui viendrait, un peu au hasard contrarier les héros, mais des projections brutales de leur intellect. Si un personnage exprime un désir, il est immédiatement mis en échec par une force contraire ou alors il se réalise et se matérialise dans le milieu de l'image. Enfin, si un personnage apparait dans le champ, c'est qu'il est concerné par l'action qui s'y passe. Le champ est un champ de forces qui construit ou déconstruit les rapports entre les personnages.
Ainsi lorsque Otoku, s'est résignée à vivre loin de Kikunosuke, elle voit dans un vieux journal que l'on parle de lui et, inconsciemment, l'appelle. Elle génère elle-même ces contes des chrysanthèmes tardifs que l'on voit à l'arrière plan. Splendides, ils sont aussi, comme toute image esthétisante chez Mizoguchi, un signe de danger. C'est Otoku qui appelle elle-même les malheurs sur elle. Inconsciemment, elle sait que la société ne permettra pas l'union qu'elle désire. Elle sait à quoi la conduira la réalisation de son désir. Surgit alors la réponse dans le plan : une veille femme vient l'avertir que Kikunosuke l'attend.
Au-delà du raccordement de proche en proche, le problème est celui d'une connexion généralisée des morceaux d'espace. Quatre procédés concourent à cet effet, qui définissent autant une métaphysique qu'une technique :
Dans les trois rencontres entre Otoku et Kikunosuke, la modification du mode de filmage induit la transformation psychique du personnage.
La première rencontre est filmée en contre-plongée comme depuis une fosse d'orchestre et sous l'influence de la peinture sur rouleau. Ils ne marchent jamais côte à côte, la caméra s'arrête lorsque les personnages font une pause pour se parler. La caméra découpe le dialogue sans faire de montage et donne ainsi plus de poids a certains mots. Le couple se trouve mais s'évite en même temps.
Lors de la deuxième rencontre, Otoku porte un sac dans les mains qui rappelle le bébé qu'elle portait dans la précédente scène. La légère contre-plongée de face correspond au moment où Otoku réconforte le comédien qui doute de son talent.
La troisième rencontre est d'abord construite sur la profondeur de champs où Otoku est éloignée de la lumière de la porte et semble avancer vers le sacrifice. Lorsque Kikunosuke parait, il emporte le couple dans un mouvement latéral rythmé par les arrêts de Otoku
La connexion généralisée des morceaux d'espace est particulière évident dans les deux recherches d'Otoku par Kikunosuke. Dans la première, chez les artisans, l'acteur à l'arrière plan du décor. Les boutiques jouent comme des panneaux coulissants, lien qui sépare, lie et disjoint en même temps, comme des photogrammes assemblés. Rappel de la première recherche, lors de recherche à la gare. Incroyable convention du décor. On a arraché le premier panneau du train pour pouvoir montrer les compartiments et l'acteur au fond. Discontinuité cadre dans le cadre d'une image a une autre. Le personnage est fragmenté avec un basculement lorsque l'on est dans le train, où l'on retrouve, lignes et profondeur de champs et où Mizoguchi se souvient des plafonds chers à John Ford.
Lorsque Kikunosuke va quitter le clan familial, fausse composition en triangle un personnage est hors champs Mizoguchi refuse de le montrer car refuse le montage. Supplique hors cadre voix off regard, basculement par le panoramique de la scène panoramique lent qui découvre le patron change toute la perspective. La mère entre dans le plan et donne le mouvement de camera, mouvement à contretemps désynchronisation de la temporalité qui renforce la tension et le drame.
Lors de la scène initiale panoramique descendant puis figure en éventail, déplié vers la droite puis replié vers la gauche. Pas de plan de coupe sur l'acteur laissé chez son père. Refus du montage pour renforcer l'entrée de champs de l'acteur qui n'est plus dans le rythme mais décalé et déphasé. Ce sont les extrêmes du plan qui décident de sa tension.
Barrière nous prive de l'intimité médisante. Une femme arrive pour dire que l'acteur est à côte alors que l'on dit du mal de lui. La camera part en accélère sans s'appuyer sur la marche du personnage mais sur le désir de voir du spectateur. La rencontre des deux personnages se fait dans le même plan sans montage. Le montage vient après et nécessite un temps d'accommodation pour comprendre où se situe la caméra par rapport au plan précédent.
Retrouvailles pas de plan subjectif pour marquer la rencontre. Mizoguchi a horreur du face à face, de la subjectivité. Il préfère montrer de l'extérieur.
Raccord en trompe l'il. Le personnage principal sort du cadre et c'est un autre que l'on récupère descendant l'escalier. L'acteur précédant entre ensuite dans le cadre à retardement. Mizoguchi insiste sur la notoriété de la vedette au premier plan. L'acteur se sent terriblement seul. Horreur du plan de coupe du champ contrechamp, de la simultanéité de deux actions. Mizoguchi a un art inégalé de perdre les personnages puis de le faire entrer dans le champ
Séquence de réminiscence du temps de la naissance de leur amour au trajet domestique de Otoku répond le trajet exprimant le désir pour l'acteur de retrouver ce moment. La caméra n'obéit pas à l'acteur mais va chercher l'acteur c'est une scène de mélancolie, il se souvient de la scène avec la pastèque. La marche vers le souvenir est ponctuée, l'enfant est là mais cette fois il a grandi, le mouvement de caméra évoque le souvenir de la scène à deux avec un contre champ similaire. La boule de pain découpée au premier plan rappelle la pastèque.
Sources :