Des photographie en noir et blanc de la plage de Boa Viagem, de l'avenue qui la longe, de plus en plus envahie de hautes tours, de la ville de Recife en plongée, où les maisons traditionnelles sont de moins en moins nombreuses.
Partie 1 : Les cheveux de Clara. 1980.
La nuit, Clara est venue faire écouter sur la plage de Boa Viagem de la musique à son frère, Martin, et sa nouvelle compagne, Julia. Elle est aussi accompagnée de ses enfants. Elle rejoint bientôt le domicile conjugal où l'attend son mari, Adalberto, et nombre de leurs amis venus souhaiter les 70 ans de tante Lucia. Les enfants ont préparé de beaux compliments mais tante Lucia se souvient surtout de ses étreintes sexuelles avec son amant de toujours, homme marié qui lui faisait l'amour sur la commode du salon. Adalberto est heureux d'exprimer tout son amour à sa femme après la très difficile période que vient de subir leur couple face au cancer de Clara, désormais sauvée mais dont les cheveux sont encore courts. La fête bat son plein dans le salon.
Dans cette même pièce, inondée de soleil, on distingue une télévision à écran plat alors que des rayonnages de disques vinyles tapissent les murs. Clara avec ses longs cheveux bruns a désormais 65 ans. Elle informe sa domestique, Ladjane, qu'elle part se baigner. Sur la plage, un panneau signale que des attaques de requins sont possibles. Roberval, le maitre-nageur, est heureux de veiller sur la sécurité de la célèbre Dona Clara et informe le zodiac de la sécurité de s'approcher à la hauteur de la résidence Aquarius.
Après sa baignade, Clara rejoint sa résidence Aquarius pour recevoir une journaliste et une photographe venue l'interroger comme célèbre critique musicale face à la modernité des supports numériques. Clara déclare se servir de MP3 mais être sensible à l'histoire contenue dans chaque support matériel qu'elle possède. Elle sort ainsi le ce dernier disque de John Lennon, sorti en 1980, venu des Etats-Unis et acheté à Recife et comportant un article de journal américain encore plein des espoirs du musicien avant sa fin tragique en décembre de la même année.
Alors qu'elle se repose l'après-midi, Clara reçoit la visite d'un promoteur immobilier, Geraldo Bonfim auquel elle propose naïvement de racheter l'appartement du dessus. Mais Geraldo est venu dans la ferme intention de racheter le sien, le seul qui lui manque maintenant dans la résidence pour la détruire et la remplacer par une tour de standing, à l'image de celles qui sont tout autour. Geraldo est accompagné de son petit-fils, Diego qui, sous des dehors affables, se montre très insistant pour proposer son projet de tour d'habitation qu'il a sobrement appelé "Le nouvel Aquarius".
Clara reçoit aussi la visite de son neveu, Antonio, auquel elle a transmis sa passion pour la musique et qu'elle considère un peu comme son fils. Il est heureux de lui annoncer que la jeune fille dont il est amoureux, va venir de Rio pour passer quelques jours chez lui. Elle lui conseille de lui faire écouter les chansons énergiques et fortes de Maria Bethânia. Antonio habite toujours chez ses parents, Martin et Julia. Celle-ci propose à Clara de se retrouver le samedi suivant dans une boite de nuit où elles pourront danser.
Partie 2 : L'amour de Clara.
Dans la boite de nuit, Julia, Clara et leurs copines qui s'y retrouvent habituellement rient de bon cœur face aux petits problèmes de leur existence. L'une d'elle parle d'un bel homme dont elle loue les services pour lui faire l'amour et propose à Clara de lui laisser ses coordonnées. Clara a cependant remarqué un beau sexagénaire que ses copines savent veuf et qui, justement, vient lui proposer de danser. Clara abandonne séance tenante ses copines et son téléphone pour danser avec son nouveau cavalier. Dans la voiture de celui-ci, les baisers vont bon train mais l'homme fait un blocage soudain quand Clara lui révèle qu'on lui a ôté un sein suite à son cancer. Il propose alors seulement de la ramener. Clara préfère prendre un taxi.
Clara et Ladjane voient avec inquiétude des ouvriers emmener des matelas dans les appartements vides de la résidence. Alors qu'elle s'apprête à prendre sa voiture, Clara voit le passage bloqué par le véhicule de Diego, venu discuter avec ses ouvriers. Clara comprend qu'entre elle et le jeune entrepreneur, décidé à mener à bien son premier projet immobilier, la guerre froide est déclarée.
Ses enfants, Ana Paula qui vit seule avec un enfant en bas âge, Rodrigo et Tomas sont venus lui rendre visite. Tous souhaitent qu'elle vende l'appartement pour lequel on lui offre un bon prix et aille habiter une résidence de standing. Ana Paula se montre la moins encline à accepter l'entêtement de sa mère à laquelle elle repproche de les avoir abandonnés deux ans pour suivre la tournée de Gilberto Gil et écrire le livre qui l'a rendu célèbre. C'est son mari qui a élevé alors seul les enfants et dont le travail a permis l'enrichissement de la famille. Face à la rancœur de leur sœur, ses frères lui montrent la dédicace bien connue du livre où Clara demande pardon à ses enfants pour le temps qu'elle leur a volé pour écrire.
Le samedi soir, des jeunes gens envahissent la résidence. Une fête très bruyante dans l'appartement au-dessus de celui de Clara la perturbe jusque tard dans la nuit. Elle monte voir ce qui s'y passe et découvre une partouze filmée par le gardien de l'immeuble. Troublée, Clara fait venir le jeune gigolo dont lui a parlé son amie. Le matin, elle découvre avec horreur les déjections sur l'escalier montant vers l'appartement des fêtards de la veille.
Clara demande à Roberval s'il pourrait lui venir en aide en cas de besoin. Celui-ci accepte volontiers. Pendant qu'ils discutent, le fils d'un ancien voisin vient reprocher à Clara son entêtement à ne pas vendre alors que ceux qui, comme son père récemment décédé, l'ont fait sont en attente de sa décision pour percevoir la gosse somme promise par les entrepreneurs.
Heureusement, Clara reçoit de nouveau la visite d'Antonio et de sa jeune copine de Rio. Tout trois parcourent la plage de Boa Viagem pour se rendre chez Ladjane lui fêter son anniversaire dans un quartier pauvre mais préservé des appétits des promoteurs.
La nuit, Clara, se souvient de son étreinte avec son jeune gigolo et de son abandon. Elle avait omis de fermer la porte à clé après son départ. Cette fois, perturbée, elle va fermer à clé sa porte.
Partie 3 : Le cancer de Clara
Alors que Clara rentre de promener son petit-fils, elle peut difficilement pénétrer dans son appartement tant des fideles religieux sont venus en nombre assister à une cérémonie dans des appartements de la résidence.
Ladjane informe Clara que, pendant son absence, des ouvriers sont venus brûler les matelas de la résidence. Quand elles se rendant dans la cour, Diego arrive justement et se montre plus que jamais perfide avec Clara suggérant que son entêtement à résister à l'offre immobilière libérale vient de son origine métisse.
Chez Clara, Martin et Julia évoquent le souvenir de leur bonne d'autrefois, parfaite nounou mais qui finit par partir en volant les bijoux de la famille. Antonio et sa copine finissent par se réveiller et les rejoindre. La jeune fille leur passe un disque d'autrefois à la gloire de l'amour filiale.
En flânant en ville, Clara rencontre son ami, patron du journal de la ville qui lui montre l'article publié suite à son interview. Ils déjeunent ensemble et il lui révèle la complicité qui unit la société de Diego aux édiles économiques, politiques et religieux de la ville. Même lui est lié par sa famille aux Bonfim. Il lui indique néanmoins comment nuire à ceux qui veulent la contraindre à vendre. Avec Cleide, Clara part ainsi à la recherche de documents compromettants dans les archives municipales de la ville.
En revenant des courses, Clara reçoit la visite des anciens ouvriers de Diego qui la mettent en garde sur une manœuvre qu'ils ont été amené à faire dans les appartements du haut de la résidence sous la conduite de leur patron et dont ils ont maintenant honte vis à vis d'elle.
Clara a convié Antonio et Martin ainsi que Cleide pour l'assister avec Roberval dans la visite aux appartements du haut de la résidence. Ils les découvrent infestés de termites.
Clara se fait belle pour investir les bureaux de Bonfim avec les documents compromettants et la valise pleine des planches infestées de termites. Elle les dépose sur leur bureau tel un cancer qui va maintenant les ronger.
Le film tient ensemble le portrait d'une femme et le portrait d'une ville. Il fait de Clara l'incarnation de la résistance face à la complicité entre les corps économiques, politiques, journalistiques, administratifs et religieux qui abandonnent la ville de Recife aux appétits des promoteurs. Cette thématique linéaire, mélodique, ne va pas sans harmoniques, coups de forces brutaux, parfois fantastiques ou accords plus doux et ensoleillés, qui préservent Clara du désespoir qu'elle a parfois à lutter seule contre tous.
Recife face aux requins
Les images en noir et blanc du début montrent l'urbanisation croissante de la ville de Recife et plus particulièrement de son bord de mer. Croissance d'abord lente, horizontale, puis avec la multiplication des tours, verticale. Clara avec sa petite maison peinte en rose des années 80, devenue bleue en 2015 et entourée d'immenses tours qui l'oppressent est l'incarnation de la résistance. Elle ira jusqu'a repeindre en blanc la façade pour marquer sa volonté d'en reprendre possession. Cette stratégie est à son image : belle, nette et décidée. Elle peut apparaitre dérisoire face à la stratégie immonde et secrète des termites. Mais quand on a, comme elle, déjà eu le courage d'affronter le cancer, les requins de la plage, d'ouvrir la porte sur les corps enchevêtrés d'une partouze, et de fouiller dans les entrailles des archives municipales, on peut aussi décider d'affronter les toits zébrés de termites.
Aidé de Roberval, de son avocate, de son frère et de son neveu et des conseils du patron de son ancien journal, elle aura finalement raison de la société immobilière.
Clara est une fine connaisseuse de la géographie de sa ville. Elle identifie la frontière entre plage riche et plage pauvre par la frontière marquée par l'eau déversée par les égouts. Elle perpétue néanmoins les différences de classes du Brésil : Ladjane est à son service et leur complicité n'exclut pas un rapport de domination. Dans les quartiers riches, où les différences raciales sont plus policées, elles demeurent néanmoins latentes. Le jeune dealer en vélo joue de la confiance que l'on accorde aux petits blancs et Diego insinue que la rancœur de Clara est due à ses origines métisses. Le grand voile blanc accroché au haut de la tour la nuit comme symbole léger et conquérant des classes aisées se retrouve au matin enlaidissant et bloquant l'avenue, ramassé par deux agents de service.
Le portrait d'une résistante
Clara, n'est pas une femme particulièrement aimable. Elle tient debout face aux coups du sort par son amour indéfectible de la musique depuis les années 80 sur la plage, jusqu'aux conseils qu'elle prodigue à son neveu pour draguer ou aux explications qu'elle fournit encore aux journalistes. Pour cette passion, Clara a sacrifié une partie de la vie qu'elle aurait pu passer auprès de ses enfants.
Sa musique ne peut cependant rien face aux bruits de la fête chez ses voisins.bLes pulsions sexuelles de Clara viendront à son secours pour résister à cette brutalité. Comme Tante Lucia qui, lorsqu'on lui récitait des compliments convenus, se souvenait de ses étreintes sexuelles, Clara va puiser au fond d'elle-même la force vitale dont elle a besoin. Troublée par la partouze au-dessus de chez elle, elle appelle alors l'homme qui loue ses services sexuels. Elle s'en souviendra avec passion un peu plus tard même si elle est alors troublée par des problèmes concernant sa sécurité.
C'est celle-ci qui devient de moins en moins assurée au cours du film. Clara, avant que le film ne commence, a déjà défié son cancer comme elle défie les requins en allant se baigner sur la plage de Boa Viagem et peut se permettre des exercices de rire tant rien ne lui fait peur. Mais le cauchemar de son sein ensanglanté après le rappel de la voleuse noire montre à quel point elle est fragilisée.
Les titres des parties, Les cheveux de Clara, L'amour de Clara et Le cancer de Clara n'en sont ni les résumés ni les enjeux. Ils indiquent une façon particulière pour Clara d'affronter la vie : laisser repousser ses cheveux, être prête à aimer, donner le cancer à ses ennemis plutôt que de le subir pour elle ; cette façon qu'à Clara de ne jamais rien lâcher en dépit de ce qu'elle subit.
Jean-Luc Lacuve le 02/10/2016