"Ce film est une lettre d’amour à Paris… une célébration de la ville. J’avais une vingtaine d’heures tournées, j’en ai gardées deux et demie après en avoir éliminé dix-huit ou dix-sept. Évidemment, j’ai par la même occasion effacé un certain nombre de bons souvenirs et de bons amis."
"Tout ce que vous avez vu dans le film est réel. Les moments où l’on s’assied dans des cafés, dans des bars… Tout est vrai, car la caméra ne peut capter que ce qui est réel. Il en va de même pour la nostalgie. Certains d’entre nous vivons dans d’autres réalités, mais ces réalités-là sont elles aussi captées et réelles. Et quel ennui si l’on vivait tous dans la même réalité !
Les fantômes qui habitent les rues de Paris sont également dans le film, ils sont aussi réels. Je suis très ancré dans la réalité. Quand je filme, je ne pense pas à ce qui est dans l’esprit. Je ne pense pas être fou. Je suis très normal. Est-ce là un des signes de la folie ? La nostalgie est réelle, aussi réelle qu’une pomme ! On ne doit pas essayer de l’écarter car nous en avons tous besoin. Elle fait partie intégrante de la vie normale, des gens normaux. La nostalgie, c’est aussi le respect de ceux qui nous ont précédés, qui ont vécu avant nous, de ce qu’ils ont fait ; cela fait partie de moi, et c’est pour cette raison que dans le film, on boit à Proust, à Apollinaire… Ce sont eux qui nous ont faits, ce sont nos pères, ce sont nos mères. Paris m’a fait.
On portait des toasts à des grandes figures de la littérature et de la philosophie françaises. Les images de tous ces toasts existent encore et sont en ma possession.
J’ai filmé le musée du cinéma Henri Langlois quand il était encore ouvert mais aussi plus tard, quand il était vide, après l’incendie et sa fermeture. J’ai revisionné les premières images au moment de faire ce film, mais j’ai finalement décidé de ne pas les garder. J’avais le sentiment que montrer le musée vide en disait davantage sur ce qu’était l’endroit quand il abritait encore ses collections. Ce lieu était plein de films, de mémoire, de documentation. Le voir comme ça à l’écran dit à quel point il était habité et nous permet maintenant d’imaginer, de projeter ce qu’était autrefois cet espace. C’est presque criminel de l’avoir fermé, de l’avoir arraché à la cinémathèque et détruit.
En tant que diariste, qui travaille à la fois sur l’image et sur l’écriture, je ne sais jamais quel matériau je vais utiliser. Mais je ne jette jamais rien, tout matériau pourra un jour servir. Le son fait partie de la réalité. Ma camera l’enregistre. Quand j’utilisais la Bolex, j’avais aussi l’habitude d’emporter avec moi un petit enregistreur de son. Les caméras vidéo modernes permettent de capter directement la beauté des sons réels, les sons de la rue. Dans ce que vous avez vu, il y a tous les types de sons. J’aime les sons autant que les images, je ne peux pas les séparer.
Je n’ai pas le temps de penser au passé, je suis tellement occupé ! Certes, quand j’ai fait ce film sur Paris, j’ai été obligé de creuser dans ce passé, mais il est réel lui aussi. Je n’ai aucun intérêt pour le passé. Parfois il y a des gens qui me demandent : pourquoi êtes-vous un collectionneur, un archiviste, quelqu’un qui fait presque un travail d’anthologiste ? Mais ce n’est pas vrai, je ne fais pas du tout des collections ! Je ne garde pas tout, c’est plutôt que je ne jette rien. Les choses sont là et elles y restent. »
Source : le magazine du Jeu de paume