En juillet 2018, le documentariste Rodolphe Marconi avait rencontré Cyrille sur une plage de l'Atlantique. Il s’était étonné de voir ce jeune homme rester au bord de l’eau sans se baigner et il avait appris de lui qu’il ne savait pas nager, qu'il vivait une ferme isolée au cœur de l’Auvergne et n'avait jamais vu la mer.
Quand le documentariste Rodolphe Marconi s’installe chez Cyrille pendant quatre mois, la liquidation menace. Le redressement judiciaire a déjà été prononcé et dans six mois, le 13 juin, tombera le jugement de la liquidation ou non. Cyrille a trente ans et a repris, à la mort de sa mère, l’exploitation familiale. Il se lève à 6 heures et ne se couche jamais avant minuit. Il travaille sans week-end et sans vacances. Il s’occupe patiemment de ses vaches, trait leur lait, baratte leur beurre. Avec ses 20 vaches, Cyrille ne peut faire face à toutes ses dépenses, même s’il est logé et nourri gratuitement par son père. Il n’est pas en mesure de se rémunérer lui-même. Pour s’en sortir, il lui faudrait posséder davantage de vaches. Or, par malheur, il y a une dizaine de décès dans son cheptel.
Les revenus générés par la vente du beurre ne suffit pas à couvrir les dépenses occasionnées par le remboursement de l’emprunt contracté pour l’acquisition d’une unité de stabulation de 200 000 euros.
Cyrille non seulement travaille du matin au soir, mais arrondit le salaire qu’il ne se verse pas en faisant le dimanche le service et la plonge du petit restaurant de la ville voisine. Il est homosexuel et n'a qu'un ami confident qui le soutient. Il ne parle que travail avec son père qui le loge lui et son frère atteint très jeune d'un trouble mental. Cyrille était proche de sa mère qui vient de mourir et dont il fleurit régulièrement la tombe.
Le 13 juin, le tribunal prononce la liquidation. Cyrille ira travailler à la ville, moins seul certainement.
On suit Cyrille pendant l’hiver et le printemps 2019. Sa solitude est poignante : "Certains jours, affirme-t-il, je ne parle qu’à mes vaches et à mon chien".
La caméra de Rodolphe Marconi rend grâce à la campagne bourbonnaise sans l’esthétiser et filme le quotidien du trvail : un vêlage au forceps, la mort d’une bête que Cyrille avait vu naître et à laquelle il était attachée, l’arrivée d’une femme mandatée par un huissier qui menace de saisir sa voiture, le marché où il vend ses plaquettes de beurre trois euros pièce… Cyrille est piégé dans des problèmes auxquels il ne trouve pas de solutions malgré l’aide bienveillante de deux bénévoles de l’association Solidarité paysanne. Aucune révolte, aucun désespoir de sa part. Il dit n’avoir jamais pensé au suicide. S’il pleure, ce sont des larmes de fatigue plus que de chagrin.
Rodolphe Marconi signe un portrait intime tout à fait singulier, touchant et lyrique sans verser dans le sentimentalisme, d'un jeune homme animé par la foi et vivant sa solitude, son dur travail et son homosexualité simplement.
Jean-Luc Lacuve, le 6 mars 2020