1846. Glyn McLyntock conduit vers l'Oregon un convoi de colons dirigé par Jeremy Baile. Sur la piste, il sauve de la pendaison un certain Emerson Cole. Chacun sait que l'autre est recherché dans son propre État : Cole dans le Kansas et McLyntock dans le Missouri.
Les deux nouveaux amis déjouent une attaque des Cheyennes et le convoi parvient à bon port dans la petite localité de Portland. Après avoir acheté des vivres et du matériel au négociant Tom Hendricks, tous embarquent sur le "River Queen", commandé par le capitaine Mello, qui les dépose sur une terre fertile derrière le Mont Hood. Toutefois, blessée par une flèche au cours de l'attaque, Laura, l'une des filles de Jeremy, demeure à Portland en compagnie de Cole.
Une fois arrivés dans la vallée, les colons développent leur ville. Mais mi-octobre, alors que les premières neiges sont sur le point de tomber, la nourriture achetée pour 5 000 dollars à Hendrick n'est toujours pas livrée.
McLyntock et Baile retournent à Portland. Ils trouvent la ville transformée par la ruée vers l'or. Les biens alimentaires ont été frappés par l'inflation. Avec l'aide du capitaine Mello, McLyntock et Baile chargent le bateau à vapeur des biens que les colons avaient achetés au négociant. McLyntock va trouver Hendrick, devenu cupide, qui ne veut pas livrer les provisions dues. Grâce à l'intervention de Cole et de Trey Wilson, un joueur professionnel amoureux de Marjie, la sœur de Laura, McLyntock parvient à embarquer sur le "River Queen".
Hendrick part à la poursuite de McLyntock afin de récupérer les biens. McLyntock débarque sur les berges de la rivière, quelques kilomètres avant les rapides. Pour échapper aux hommes d'Hendrick à leurs trousses, McLyntock, leur tend une embuscade à la nuit tombée.
Pour charger le bateau à vapeur, McLyntock a recruté quelques ivrognes cupides qui dorénavant préféreraient vendre la cargaison aux mineurs tout proches plutôt que de conduire les vivres aux colons. Cole pense la même chose et lorsque les ivrognes passent à l'attaque, il en prend le commandement. Rossé, McLyntock est laissé seul derrière le convoi. Il menace Cole d'une vengeance qui n'aura pas de fin : " On se reverra. Tu me reverras, crois-moi. Chaque fois que tu seras prêt à t'endormir, tu fouilleras l'obscurité en te demandant si je n'y suis pas à l'affût en train de t'épier dans un coin. Une nuit, j'y serais précisément. On se reverra".
Laura, horrifiée par la traitrise de Cole, s'aperçoit que McLyntock les suit. Elle libère un cheval pour faciliter sa poursuite. L'un des ivrognes décide de tendre une embuscade à leur poursuivant. Mais bientôt tous ont conscience que c'est McLyntock qui est armé. Il parvient même à les empêcher d'avancer. Cole décide alors d'aller chercher l'aide des mineurs. Pendant ce temps, McLyntock a pris le contrôle du convoi et lui fait reprendre le chemin vers la vallée des colons. Lorsque Cole et les mineurs les rattrapent, il a mis ses hommes en position de l'autre coté de la rivière qui tirent sur les assaillants. Seul Cole parvient à l'arrière de son chariot. Un combat s'engage entre les deux anciens amis. McLyntock a le dessus ; Cole finit noyé dans la rivière.
Le convoi parvient enfin dans la vallée. Trey Wilson et Marjie ainsi que sa sœur Laura et McLyntock y vivront heureux parmi les colons maintenant que les vivres leur permettront de passer l'hiver
Les Affameurs est le premier film de Mann réalisé en Technicolor C'est le scénariste Chase qui choisit les lieux de tournage : le fleuve Columbia, le mont Hood, Timberline Lodge et la Sandy River. "C'est par la juxtaposition de la nature, des montagnes, des rivières, de la poussière que le drame s'intensifie », note Mann (Cahiers du cinéma n°190, mai 1967). « Cela fait longtemps que j'ai découvert l'importance des décors et des extérieurs. Ce sont eux qui vous donnent des idées. (...) La lutte des éléments entre eux ou contre les éléments donne de bons résultats. II faut que les acteurs et l'équipe technique luttent contre quelque chose. La neige est un élément très utile et permet d'obtenir beaucoup d'effets plastiques. Et puis il y a la respiration des chevaux et des acteurs, les difficultés du terrain, le combat pour vaincre ces difficultés. Dans un studio on ne peut rien obtenir de tel. D'ailleurs les acteurs aiment ce genre de tournage et la liberté est plus grande. La compagnie n'est pas là pour vous embêter et vous pouvez faire ce que vous voulez ». On notera toutefois que le tournage du 26 juillet au 13 septembre de l'année 1951 se prête mal au ressenti de l'hiver qui approche !!
Le scénariste Borden Chase, l'acteur James Stewart et le réalisateur Anthony Mann ont déjà collaboré pour le film Winchester 73 (1950), premier des cinq films de vengeance du trio. Les affameurs (1952), le second sera ainsi suivi de L'appât (1953), Je suis un aventurier (1955) et L'homme de la plaine (1955). Il règne dans ces cinq films ainsi que dans L'homme de l'ouest (1958 avec Gary Cooper) une tonalité inquiète,
Le roman de Bill Gulick, Bend of the Snake, sort en 1950 aux États-Unis. Chase refuse d'abord de travailler sur l'adaptation du roman de Bill Gulick que Stewart a acquis en 1950 avec Universal-International. Il n'y voit aucun rôle pour l'acteur. Stewart avouera n'avoir lu que la jaquette de la couverture et s'être basé sur une opinion publique favorable. Finalement, Chase écrit une histoire différente du roman et ne gardera, pour des raisons juridiques, que les trois premiers mots du titre Bend of the… pour le titre du film en version originale. L'autorisation de l'auteur n'était pas nécessaire. Le scénario joue sur deux histoires qui vont finir par se confondre avec d'un côté la marche de pionniers dans les années 1840 en Oregon pour coloniser les territoires vierges, cultiver des terres et bâtir une ville et de l'autre une amitié contrariée. Le point de départ est presque le même que celui de Je suis un aventurier (1955) : un meneur de convoi qui compte enfin se caser mène une dernière caravane de fermiers vers l'Oregon. Trahi, il doit se venger pour conquérir l'amour d'une femme.
La violence est au centre d'un univers dominé par la présence étrange de James Stewart qui, au tournant de sa carrière, réinvente la figure d'un héros westernien en proie à la fatigue et au doute. Lors d'une interview pour les Cahiers du cinéma (n°190, mai 1967), Jean-Claude Missiaen demande à Mann : "Est-ce pour accentuer la faiblesse physique du personnage que Stewart est souvent blessé dans vos films ? (une balle dans la jambe dans L'Appât, une dans la main dans L'Homme de la plaine )" Mann lui explique que « c'est un point très important. Je crois que la force d'un personnage apparaît clairement au public dans une scène qui prouve l'existence de cette force. Dans Les Affameurs par exemple, quand, au sommet du Mont Hood, la caravane l'abandonne dans la neige, Jimmy se tourne vers son ennemi et lui dit : « Je te retrouverai, quoi qu'il arrive » ; et le public se rend alors compte qu'il le retrouvera parce que, quels que soient les obstacles dont il devra triompher, il fera face et le public désire qu'il le retrouve : à ce moment, il devient un personnage fort. Il en est de même dans Winchester 73, lorsqu'il dit : « J'aurai mon frère, quand bien même ce serait la dernière chose que je ferais ! » Oui, la force d'un personnage n'est pas dans sa manière de distribuer les uppercuts ou de faire saillir ses muscles : elle est dans sa personnalité, c'est la force de sa détermination »
Gilles Deleuze fait ainsi d'Anthony Mann le premier auteur de western représentatif de la petite forme de l'image-action. Suivront Bud Boetticher, Sam Peckinpah et Arthur Penn. Chez ces cinéastes, la violence devient l'impulsion principale, et y gagne autant d'intensité que de soudaineté. Non seulement le groupe fondamental a disparu au profit de groupes de rencontre de plus en plus hétéroclites et mélangés, mais ceux-ci en se multipliant, ont perdu la claire distinction qu'ils avaient encore chez Hawks : les hommes dans un même groupe, et d'un groupe à l'autre, ont tant de relations et des alliances si complexes qu'ils se distinguent à peine et que leurs oppositions se déplacent sans cesse. Entre le poursuivant et le poursuivi, entre la pomme saine et la pomme pourrie, la différence devient de plus en plus petite :
La loi de la petite différence dans l'action ne vaut que si elle induit des situations logiquement très différentes. A chaque instant l'action peut basculer, tourner dans une situation tout autre ou opposée. Rien n'est jamais gagné. Les défaillances, les doutes, la peur n'ont donc plus du tout le même sens que dans la représentation organique du western classique : ce ne sont plus les étapes même douloureuses qui comblent l'écart, par lesquelles le héros s'élève jusqu'aux exigences de la situation globale, actualise sa propre puissance et devient capable d'une si grande action. Car il n'y a plus du tout d'action grandiose, même si le héros a gardé d'extraordinaires qualités techniques. L’avidité transforme les hommes les plus généreux (Hendricks) en monstres d’égoïsme aux actes expéditifs. Jeremy Baile, le vieux colon, ne croit pas qu'un homme peut changer en bien. Il a des préjugés à l'encontre d'hommes comme McLyntock ou Cole. Mais, il apprend qu'il a tort. Les personnages Glyn McLyntock et Emerson Cole sont identiques et inséparables au début du film. Lorsque McLyntock noie Cole dans l'eau purificatrice de la rivière, il ensevelit son passé en refoulant sa part sauvage. Ainsi, il fait disparaître son ancienne personnalité qui n'est plus en rapport avec les nouvelles habitudes de vie qu'il a prises, notamment sous l'impulsion de Laura.