Le très riche Cecil Fox puise dans la représentation de "Volpone", pièce de Ben Jonson, l'idée de se moquer de ceux qui, sous couvert de l'amitié, n'en veulent cependant qu'à son argent. Pour l'assister dans sa mystification, il engage un acteur en chômage, un peu gigolo, William McFly.
Fox feint d'être à l'agonie et invite à son chevet trois femmes qu'il a cru aimer et qui ont dit l'aimer. Flairant une belle affaire, Merle, une actrice, Dominique, une princesse, et madame Sheridan, une milliardaire texane, rivalisent de gentillesse pour le "mourant" et le couvrent de cadeaux. Elles surveillent aussi du coin de l'il les agissements de leurs rivales.
McFly, tout à son rôle de secrétaire confident, prend soin d'éviter les rencontres inopportunes et organise les visites des prétendantes à la succession. Il ne semble pas insensible au charme de Sarah Watkins, l'infirmière de madame Sheridan et l'invite ainsi le soir même dans un restaurant romantique et la ramène en gondole.
Au matin, madame Sheridan est retrouvée morte d'avoir avalé trop de tranquillisants. L'inspecteur Rizzi est appelé sur les lieux. Sarah Watkins soupçonne une machination. Elle sait que les tranquillisants qui ont tué madame Sheridan ne sont pas les siens, simples placebo pour calmer l'angoisse de celle-ci.
Elle ne révèle pourtant rien à l'inspecteur Rizzi mais craint que Fox ne soit la prochaine victime. Elle a en effet découvert que celui-ci se portait bien dans le jardin où elle l'a rencontré fumant et badinant.
Sarah soupçonne McFly. Mais, amoureuse de lui, elle va jusqu'à lui révéler qu'elle tient la preuve de sa culpabilité. Il y avait deux rouleaux de pièces de 25 cents dans le sac de madame Sheridan lorsqu'ils sont sortis le soir au restaurant qui ont disparu après sa mort. Or, il avait payé les consommations et la course en gondole avec de la monnaie. McFly objecte que cette monnaie pouvait être italienne ou française. Sarah, désespérée, avoue y avoir songé, l'avoir espéré. Mais le matin même, elle était allé dans sa chambre et avait découvert une pile de pièces de 25 cents. McFly lui demande de lui faire confiance et l'enferme.
Sarah parvient pourtant à s'échapper par le monte-charge secret de Fox. Elle découvre celui-ci en train de danser. Elle l'enjoint de se méfier de McFly et lui révèle la preuve de sa culpabilité. Fox parait en colère et s'éclipse une boite de chocolat sous le bras.
Au matin, McFly termine la pièce voulue par Fox et lit aux deux maîtresses survivantes le testament de Fox. Le testament laisse en blanc le nom de l'héritier et celui-ci pourra être complété par le seul McFly. Dominique et Merle se savent jouées et préparent leurs valises.
Devant l'inspecteur Rizzi, McFly révèle à Sarah les dessous de toute l'affaire. Fox avait monté sa sinistre farce pour récupérer l'argent de son épouse légitime. Il était ruiné comme le prouve l'état des pièces de son palais qu'il a minutieusement inspecté. Les meubles luxueux des pièces où s'est jouée sa comédie avaient été loués pour l'occasion. Fox s'est perdu en étant incapable de résister à la monnaie de 25 cents contenue dans le sac de madame Sheridan. Si Sarah a retrouvé les pièces en possession de McFly c'est qu'il les avait gagnées au poker contre Fox. Lorsque Sarah a révélé ses soupçons à Fox, celui-ci ne pouvait la tuer car elle en avait déjà fait par à McFly : il a donc décide de se suicider pour échapper à la justice.
Résonne alors, off, la voix d'outre-tombe de Fox qui demande à ce que l'on reconnaisse la grandeur de sa sortie. Il s'est en effet suicidé en avalant des chocolats empoisonnés dont le cur était rempli de la poudre d'or de la pendule de Dominique. Celle-ci révèle hélas qu'il ne s'agissait que d'une imitation et que Fox a ingurgité du sable doré pour son dernier repas.
Mais Fox se rengorge de nouveau lorsqu'il assiste à la manuvre de Sarah qui, sous un prétexte sentimental, fait mettre son nom sur le parchemin de comédie qui la désigne comme l'héritière de Fox.
Rizzi, goguenard, accepte d'être le témoin de ce dernier acte sachant que si Fox est ruiné, sa machination a réussi et que lui revient, même défunt, toute la fortune de sa femme légitime.
McFly comprend un peu tard qu'il vient de perdre l'occasion d'être riche. Néanmoins Fox ne peut rire très longtemps : Sarah demande McFly en mariage. Fox s'étrangle de honte de voir terminer une nouvelle fois dans la Venise qu'il s'est choisi sa mise en scène par l'image de deux amants, main dans la main, sur la place saint Marc.
Unanimement salué pour la virtuosité de son scénario, ce film a souvent été accusé de misanthropie ; une misanthropie qui aurait gagné Mankiewicz après l'échec de Cléopâtre.
Il est vrai que Fox ne cache pas son mépris pour ses anciennes amantes, prêtes à se vendre pour récupérer son héritage. Mais elles ne font après tout qu'exécuter une comédie semblable à la sienne pour éviter le naufrage de leur rêve doré. De plus Madame Sheridan se révèle extrêmement lucide et Fox, n'osant pas l'affronter, l'assassine avant de jouer la comédie devant elle.
Fox ne se prive pas non plus de mépriser Sarah, l'accusant dans la scène du jardin de n'avoir d'autres désirs que de porter des gaines inviolables et de manger du cresson. Pourtant il ne tarde pas à reconnaître une intelligence égale à la sienne lorsqu'elle découvre sa machination et cherche à en profiter.
Si misanthropie il devait y avoir, elle serait plutôt à rechercher dans la courte saynète dans l'intimité de l'inspecteur Rizzi. Celui-ci, d'abord cadré serré dans son salon avec ses deux filles en train de regarder un feuilleton américain Perry Mason se lève bientôt pour mener sa propre enquête. Le champ découvre alors ses filles et sa femme avec leur paquet de chips à leurs pieds ou cassant des noix et ne répondant pas a ses questions. De rage, il pointe son arme de service vers la télévision et hésite longuement avant de la ranger renonçant à faire exploser le poste.
Cette courte séquence, complètement indépendante du reste du film prouve, si besoin était que le sujet du film est le rapport du spectacle à la vie. Le but de la mise en scène est-il de tout contrôler, de maintenir son spectateur dans un état d'hébétude qui rendrait égal la pièce de Ben Jonson à un feuilleton américain ?
La réponse de Mankiewicz, loin d'être désabusée est toujours la même : la vie sort du spectacle lorsque l'on mêle intelligence et amour. Certes Guêpier pour trois abeilles ne se déploie pas sur les longues périodes de temps qui permettent généralement au cinéaste de montrer le rôle de l'introspection pour évaluer les choix de vie.
Ici la pièce se joue sur trois petits jours et l'amour et l'intelligence sont incarnés par une actrice sans glamour et un personnage qui ne semble ni brillant ni passionné. Mais la démonstration n'en acquiert que plus de poids. Sarah est à ce point obsédée par celui dont elle est tombée amoureuse que toutes ses déductions la ramènent à lui. Caque fois qu'elle pense, off, un raccord regard montre en parallèle McFly occupé à son inventaire des pièces vides du palais. Impossible de montrer plus clairement que si, consciemment Sarah pense, inconsciemment elle aime.
L'aveu de la preuve de sa culpabilité au coupable serait aussi totalement irréaliste dans un schéma policier classique, s'il n'avait été préparé par le reflet dans la glace de McFly alors que Sarah se retrouve seule le soir. Elle s'offre littéralement à son bourreau. Le premier geste de celui-ci, la saisissant par le bras, est d'abord interprété par le spectateur comme un geste de violence avant qu'on ne comprenne qu'il ne pense qu'à la protéger.
Fox aura aussi bien tord d'être outragé par l'image des amants sur la place saint Marc : ceux-ci continuent de se chamailler sur leur devenir, amour et intelligence continuant leur stimulant combat.
Jean-Luc Lacuve, le 1er mars 2006
Editeur : Wild Side Video, mars 2010. Master restauré. V. O. avec sous-titres français. Durée du film : 2h15. 15 €. |
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