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Chaînes conjugales

1949

Voir : Photogrammes

(A Letter to Three Wives). Avec : Jeanne Crain (Deborah Bishop), Linda Darnell (Lora Mae Hollingsway), Ann Sothern (Rita Phipps), Kirk Douglas (George Phipps), Paul Douglas (Porter Hollingsway), Barbara Lawrence (Georgiana 'Babe' Finney), Jeffrey Lynn (Brad Bishop), Connie Gilchrist (Mrs. Ruby Finney), Florence Bates (Mrs. Manleigh), Hobart Cavanaugh (Mr. Manleigh). 1h43.

Trois amies, Deborah, Rita et Laura Mae, s'embarquent pour une croisière quand leur parvient une lettre d'une relation commune, Addie Ross : "Chères amies, je pars avec le mari de l'une d'entre vous." Le bateau a largué ses amarres. Dès lors, chacune des jeunes femmes va faire appel à sa mémoire pour déceler dans sa vie privée le signe révélateur de son infortune conjugale...

Deborah, venue de la campagne, s'est toujours sentie en état d'infériorité vis-à-vis des amis distingués de son mari, Brad.

Rita et George Phipps semblaient heureux. Pourtant, George qui considère son emploi d'enseignant comme un sacerdoce, a toujours détesté les milieux radiophoniques où Rita gagne sa vie en sacrifiant son talent.

Laura Mae, issue d'une famille pauvre, a réussi à se faire épouser par le riche Porter Hollingsway et veille jalousement à son bonheur. Au retour de l'excursion, les trois amies décident de se voir le soir même en compagnie de leurs maris.

À la dernière minute, chaque couple se retrouve au complet : Porter Hollingsway, las du caractère possessif de Laura Mae, avait fait une fugue en compagnie d'Addie Ross. Mais, pris de remords, il est revenu auprès de son épouse...

Chacune des trois femmes doit traverser une épreuve : comment s'habiller après l'uniforme militaire ? Comment progresser par le travail ? Comment échapper au soupçon d'arrivisme quand on est arrivé au mariage par une stratégie sexuelle ?

A chaque fois, le conflit est plus difficile à résoudre. Le premier n'en est pas vraiment un. Dans le second, le professeur finira par accepter les valeurs futiles de l'autre qui veut réussir son intégration sociale et gagner de l'argent. Le conflit majeur réside entre Porter et Laura Mae, qui s'admirent l'un et l'autre pour leur énergie face à la misère mais savent que pour arriver socialement, les sentiments sont secondaires et se soupçonnent donc toujours mutuellement.

Le film bénéficie d'un fort ancrage social et procède à une critique en règle de l'american-way-of-life et des rapports marchands qui règlent la vie en société. Les annonceurs seront bientôt les instituteurs de nos enfants. Et les dangers menacent lors des bals, lorsque l'on boit ou lorsque l'on reçoit. Chaînes conjugales pourrait donner l'impression de raconter trois mélodrames bourgeois futiles : les trois bergères finissent heureuses avec leur prince. Les personnages sont certes marqués par la place que la société leur donne mais ils savent aussi qu'il faut quitter ce seul positionnement pour accéder à une autre place supérieure. Toute vie qui se croit solide est basée sur le sable du temps.

Chaînes conjugales pratique ainsi une double auscultation du temps, thème omniprésent chez Mankiewicz. Une auscultation pour savoir quand est-ce que le mariage de chacune a pu déraper et pour connaître le moment où leur personnalité s'est révélée.

Chacune des trois femmes se demande ainsi quand son mariage a pris une voie bifurquante. Quand est-ce que, par rapport à Addie Ross - qui fait toujours le bon cadeau, le bon geste au bon moment- elle n'a pas été assez femme pour réussir son mariage.

Les hommes aussi sont fragiles. Mais eux, au moins savent qui ils sont, sauf peut-être le dernier, et la vie est ainsi plus facile pour eux. Les femmes au contraire doivent aussi accéder à la connaissance d'elle-même, à leur personnalité à travers l'épreuve que l'on leur donne à passer. Le seul homme qui ne se connaît pas est le "géant potentiel", le rustre, le trop apparemment viril Porter Hollingsway. Il n'est donc guère étonnant que ce soit lui qui ait été le plus tenté par un départ avec Addie. Brad est trop fade et George, trop solide.

Le plus tragique du film consiste en ce que le personnage le plus libre, Addie Ross reparte sans personne. A peine entrevue, bras et épaule dénudés avec une cigarette qui la désigne comme une femme phallique avec sa capacité à capter un homme, elle accentue la vie des autres. A la fin, elle casse son verre et s'en va. Addie Ross veut tout le pouvoir, elle n'est pas humaine et repart sans rien. Les autres cherchent le phallus, l'objet du désir et tentent de le garder, jusqu'au moment où ils en laissent une part à l'autre pour échapper à la solitude. Celle qui est libre est celle qui perd, les autres doivent supporter les chaînes conjugales (le titre américain qui désigne les trois femmes par leur statut d'épouse porte la même connotation).

Puisque la liberté conduit à la solitude, Mankiewicz magnifie le couple et le mariage Les trois femmes sont pourris d'envie à l'égard de l'insaisissable, bon cadeau au bon moment, mais finalement non culpabilité perpétuelle des femmes il veut les magnifier. Fermière militaire, instituteur avec réclame employée avec employeur, figures compliques mais le couple est compliqué. Le bonheur est toujours inquiétude mais inquiétude beaucoup plus pour les femmes. Elles n'ont aucun patrimoine sauf celui donné par le mariage, comment négocier une part de liberté sans que la virilité de leur mari soit niée (Mr. Manleigh), celles qui n'ont pas négocié leurs charmes à temps, la mère, la bonne, vivent seules.


Source : Jean Douchet et Dominique Cabrera, Bonus du DVD édité par Carlotta films et réalisé par Nicolas Ripoche.

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