Le feu follet

1963

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Avec : Maurice Ronet (Alain Leroy), Bernard Noël (Dubourg), Jean-Paul Moulinot (Docteur La Barbinais), René Dupuis (Charlie), Bernard Tiphaine (Milou), Jeanne Moreau (Eva), Yvonne Clech (Mlle Farnoux) Hubert Deschamps (D'Averseau), Mona Dol (Madame La Barbinais), Ursula Kubler (Fanny), Alain Mottet (Urcel), François Gragnon (François Minville), Romain Bouteille (Jérôme Minville) Jacques Sereys (Cyrille Lavaud), Alexandra Stewart (Solange), Claude Deschamps (Maria), Tony Taffin (Brancion), Henri Serre (Frédéric). 1h48.

Alain Leroy, dans une triste chambre d'hôtel de Rosny-Sous-Bois, vient de faire, sans grand désir, l'amour avec Lydia. Elle est une amie de sa femme, Dorothy, qui est restée à New York le laissant subir, sans y croire, durant quatre mois, une cure de désintoxication alcoolique dans une clinique de Versailles. Lydia demande à Alain de l'épouser lorsqu'il aura divorcé de Dorothy. Plus riche que sa femme, elle saura le garder. En sortant de l'hôtel, Alain qui n'a pas d'argent, laisse sa montre en pourboire à la jeune gardienne de l'hôtel. Dans un bar de Rosny où ils prennent un café, Dorothy fait un chèque de 10 000 francs pour Alain.

Dans le taxi qui les raccompagne à Versailles, Lydia explique à Alain, qui l'a supplié de rester près de lui, qu'elle doit rentrer ce jour même à New York pour réceptionner les vêtements de sa maison de couture. En la quittant, Alain lui dit qu'il ne pourra la suivre à New York ni l'épouser car elle deviendrait une nouvelle Dorothy.

Alain lit dans sa chambre de la clinique puis déjeune avec les pensionnaires du docteur La Babinais. Il remonte dans sa chambre, découpe un article de journal sur la mort d'un enfant, joue avec de petits objets, écoute les gymnopédies de Satie, se met sans succès à écrire et finit par jouer avec un revolver. Le docteur La Barbinais l'incite à renouer avec sa femme, à lui envoyer un télégramme suite à une première lettre de réconciliation. Alain s'endort toujours aussi angoissé, promettant de se tuer le lendemain.

C'est madame La Barbinais qui réveille Alain. Il est décidé à toucher son chèque dans une banque de Paris mais hésite sur la teneur du télégramme à envoyer à Dorothy. De rage, il déchire son journal et écrit un télégramme lapidaire pour New York qu'il remet à la femme de ménage.

Dans un bar, il demande à deux livreurs des Galeries Lafayette de le conduire à Paris. Il retire les 10 000 francs de son chèque dans une banque puis se rend dans l'hôtel du quai Voltaire où il avait autrefois sa chambre et y menait grande vie. Les gérantes ne peuvent s'empêcher de faire des remarques négatives sur son apparence dès qu'il a le dos tourné. Alain discute avec Charlie, le barman, afin de savoir ce que sont devenus ses anciens amis. Ils se sont rangés et les freres Minville sont en prison. C'est un jeune homme flamboyant qui le connu tout jeune qui a pris sa chambre.

Il rend alors visite à son ami Dubourg qui s'est marié avec Fanny, à deux enfants et un chat. Passionné par l'égyptologie, il espère écrire un grand livre sur le sujet et reproche à Alain de ne pas vouloir entrer dans la vie adulte. Alain refuse son soutien moral, agacé par son ton pontifiant. Par l'intermédiaire de Jeanne, il est conduit auprès de ses anciens complices, aujourd'hui drogués.

Il apprend que les frères Minville ne sont pas en prison mais au Flore, café de saint Germain, où il va les attendre. Jérôme et François continuent leur guerre d'Algérie dans l'OAS et Alain ne peut adhérer à ce combat qui lui parait perdu d'avance. Une fois ses anciens amis partis, Alain voit un verre de cognac laissé à la table voisine. Il le boit et se sent envahi de nausées qui le conduisent aux toilettes du café. Des homosexuels qui le connurent autrefois ne peuvent s'empêcher de remarquer son air cadavérique d'alcoolique.

Il pleut et Alain se rend place des Vosges dans une réception mondaine, chez Cyrille Lavaud. Alain fait la connaissance d'un intellectuel, Brancion, qui cherche à séduire Solange, la femme de Cyrille et qui fut sa maitresse. Brancion n'a pas aimé l'anecdote célèbre d'Alain qui dormit ivre sur la tombe du soldat inconnu. Alain lui avoue "ne pas vouloir, pas prendre, pas désirer". Il laisse s'éloigner Frédéric et Marina. Il s'enfuit accompagné de Milou, rencontré chez Charlie, avec lequel il échange des confidences

Le lendemain matin, Alain fait sa valise, défait les images accrochées sur les miroirs, et donne de l'argent à la femme de ménage pour qu'on ne le dérange pas avant midi. Il finit son livre. Solange l'appelle pour l'inviter à déjeuner. Elle le prend pour une force de la nature, ce que réfute Alain. "Solange me répond pour Dorothy" dit-il. Il s'était donné jusqu'au 23 juillet. C'est le matin du 7 juin. Alain prend son pistolet et se tire froidement un coup de revolver dans le cœur. Une citation de Dieu la Rochelle écrite sur un plan du visage d'Alain termine le film.

Adaptation du roman de Pierre Drieu La Rochelle de 1931, Le Feu Follet de Louis Malle en modernise certains aspects et en transpose d'autres dans le contexte de 1963. Les grands ensembles, sont très présents en arrière-plan du voyage vers Paris, les plans sur les billets de banques évoquent la stabilité monétaire des nouveaux francs. Françoise Hardy et Sylvie Vartan sont les idoles de l'enfant des Dubourg. Le suicide de Marylin Monroe occupe une place de choix dans les coupures de presse qu'Alain collectionne sur les morts absurdes. La musique d'Eric Satie, compositeur de l'époque du surréalisme, est aussi adaptée à la déambulation dans Paris. Elle enveloppe le personnage d'une douceur mélancolique et tragique qui accompagne sa chute. Drieu La Rochelle, après avoir eu des sympathies pour le communisme, bascule dans l'idéologie fasciste. Gilles, le personnage de son roman éponyme, s'engage du côté de Franco dans la guerre d'Espagne. Ici, Alain a des amis dans l'OAS.

L'adaptation est fidèle aux différentes péripéties et personnages du roman. Le film marque aussi clairement son origine littéraire avec la voix off de la première séquence. Elle disparait ensuite complètement du film. La littérature ne revient qu'au dernier plan avec la citation du livre inscrite sur le visage de Maurice Ronet.

Dans le livre original, Alain est un toxicomane et non un alcoolique et toute l'action se situe à Paris. L'hotel où Alain et Lydia font l'amour est situé rue Blanche et c'est à pied et non en taxi qu'ils se rendent à la clinique du docteur La Barbinais. Mais la grande différence entre le livre et le film est que le personnage de Drieu a décidé de mourir, alors que celui tenu magnifiquement par Maurice Ronet, se voit poussé dans une envie de mourir par ses anciens amis et les événements qu'il va vivre pendant cet ultime passage à Paris. Alain Leroy décide finalement de mettre fin à ses jours parce que depuis toujours en marge des gens qu'il croise et qu'il n'a jamais compris. Dans le film, l'alcool lui a servi à ne pas se voir changer et à ne pas voir la vie comme elle était vraiment, la cure de désintoxication finie, la réalité le rattrape, il ne peut le supporter. Sa fatigue psychologique l'enfonce dans sa vision tragique du destin. L'Alain du livre se suicide pour devenir un homme (comme Drieu et Rigaut). Pour Drieu la Rochelle, le suicide est "l'acte de ceux qui n'ont pu en accomplir d'autres". Le suicide efface les défauts, comble les lacunes. Il rachète jusqu'au manque de talent. Drieu avait en effet écrit L'adieu à Gonzague (1929) pour rendre hommage à son ami, Jacques Rigaut, qu'il avait décrit avec cruauté sous les traits de Gonzague dans nouvelle de 1923, La valise vide. Gonzague drogué et menant grande vie n'était guère capable que d'écrire quelques fragments de journaux. Pour l'auteur du livre, le suicide est l'acte noble par excellence : "la dernière noblesse qui me reste est de disparaître", ce qui n'intéresse pas particulièrement Louis Malle. L'Alain du film de Malle se tue pour ne pas vieillir, c'est du moins ce que déclarait Malle en 1964 :

A la fin du Feu follet, le personnage se tue. Mais moi, j'ai été très frappé par le roman de Drieu La Rochelle et l'ai suivi naturellement et c'était le récit d'un suicide. Mais ce qui m'a intéressé ce n'était pas tellement ça. C'est quelqu'un qui faisait le bilan de sa jeunesse et qui savait très bien que, finalement dans une vie d'homme, ce qui est important, ce qui est grave et ce qui est beau, c'est la jeunesse. Et que, pour le reste, on va vers sa fin. Apres la jeunesse, on va se dégrader, s'abimer et de devenir une chose d'un peu dégoûtant. Ce qui est important, ce n'est pas tant que l'on se mette une balle dans la tête ou le cœur. Ce qui est important, c'est cet accès de lucidité que quelque chose est passé qui ne se passera plus, qui est le phénomène flamboyant de la jeunesse. Et qu'il ne faut pas essayer de la perpétuer ou de croire que ce qui est important est ce qui arrive aux adultes après, parce que, à mon avis, ce n'est pas vrai".

Malle déplace la mort d'Alain d'une journée de novembre à une journée d'été. Drieu écrit : "On était en novembre, mais il ne faisait pas bien froid" (page 18) se conformant à la date du suicide de Jacques Rigaut, le 6 novembre 1929. Dans le film, la date du 23 juillet, inscrite sur le miroir de la chambre d'Alain, n'est ainsi probablement pas la date de son suicide. Inscrite dès le premier matin où il rentre de sa nuit avec Lydia, il y a peu de chance qu'elle désigne le surlendemain où il se tuera presque sans raison à la suite d'un dernier malentendu avec Solange au téléphone qu'il interprète comme une réponse à sa lettre à Dorothy. Le premier soir, il s'était couché en se promettant de se tuer le lendemain... ce qu'il ne fait finalement pas. Un calendrier dans le café du Flore indique le 6 juin, le jour le plus long, dans la tête de tous les spectateurs après le succès du film de Zanuck de 1962. L'action se déroule ainsi vraisemblablement du 5 juin au matin au 7 juin à midi. La date du 23 juillet étant alors peut-être la date qu'il s'est fixé pour une réponde de Dorothy à sa lettre. Ecrite le 23 mai, après quatre mois de cure, le 23 juillet représenterait la date fatidique de six mois de cure. Date qui pourrait décider de sa survie avec sa femme ou de son suicide. Comme tout échappe à Alain, son suicide aussi puisqu'il en devance l'appel, brutalement, sans prévenir.

Jean-Luc Lacuve le 10/01/2008

Test du DVD

Editeur : Arte Edition. Janvier 2008.