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Le mystère Jérôme Bosch

2016

(El Bosco. El jardín de los sueños). Avec : Miquel Barceló, Guo-Qiang Cai, William Christie, Michel Onfray, Salman Rushdie, Orhan Pamuk. 1h29.

Une citation d'Andrei Tarkovski ouvre le film. Selon le réalisateur russe, en regardant une œuvre d'art, on retrouve l'émotion de l'artiste et on en comprend alors le sens. Un intervenant dira aussi, qu'en regardant ce tableau, c’est soi-même que l’on observe. D'où la fascination pour Le jardin des délices, qu'éprouvent les millions de visiteurs qui viennent l'observer au musée du Prado.

C'est de la même fascination dont rendent compte ceux que José Luis López-Linares a invité devant Le jardin des délices: des historiens de l’art (Reindert L. Falkenburg), des psychanalystes, des écrivains (Salman Rushdie, Orhan Pamuk, Cees Nooteboom), des peintres dont quelques jeunes trisomiques, des musiciens (Leonardo García Alarcón), un philosophe (Michel Onfray), des chanteuses (Renée Fleming, Silvia Pérez Cruz). Devant une œuvre aussi fascinante qu’énigmatique, aux interprétations multiples, ils en cherchent le sens et rendent un hommage vibrant à Jérôme Bosch (El Bosco en espagnol) qui défie le temps  500 ans après sa disparition.

Jérôme Bosch était membre de la Fraternité de Notre Dame de sa ville natale de Hertogenbosch; nom dont il se servira pour son pseudonyme.  La confrérie a pour blason un cygne entouré d'épines. Le cygne, animal à la chair controversée, se retrouve dans certaines de ses œuvres.

Le parcours du tableau

On ignore quel était le titre initial de l'œuvre et si elle en possédait même un. Il apparait parfois sous le titre "La variété des plaisirs" ce qui parait plus correspondre au triptyque tant les délices supposés sont empreints de monstruosité. Le tableau a probablement été commandé à Jérôme Bosch en vue d’enseigner mais aussi alimenter des discussions entre les élites du Duché de Bourgogne et les Ducs de Baarle-Nassau à Bruxelles, au début du 16e siècle.

Le tableau appartient ensuite à Guillaume Ier d'Orange qui en hérite. Il le possède jusqu'à ce que le duc d'Albe, envoyé par la couronne espagnole pour confisquer son palais bruxellois et ses terres au début de la guerre de Quatre-Vingts Ans, s'en saisisse. Il l'emporte avec lui à son retour en Espagne. En 1591, le roi  Philippe II, le rachète lors de la succession du fils du duc d'Albe et le place au Palais de l'Escurial. En 1939, l'œuvre est déplacée vers le Musée du Prado qu'elle ne quittera plus à partir de là

La description du tableau

Volets fermés. C'est ainsi que ce présentait le panneau qui n'était ouvert que quelques jours par ans. En grisaille est représenté le monde après la chute des anges. A l'angle supérieur gauche du globe, un minuscule personnage, se tient assis, un livre à la main : c'est Dieu ayant créé le monde : À côté de lui, en haut du tableau, une phrase est écrite en fines lettres gothiques dorées : « Ipse dicit et facta sunt », sur le volet gauche, et « Ipse mandavit et creata sunt », sur le volet droit, soit le psaume 33,9 : « Car Il dit et la chose arrive ; Il ordonne et elle existe. »

Le panneau de gauche représente Adam et Ève en compagnie de Dieu dans le paradis terrestre. Le thème représente peut être le mariage de Dieu avec l'église Dieu  apparaissant sous les traits de Jésus tient d'une main le poignet d'Ève. À gauche, Adam semble comme dans un rêve devant ce symbole. À leurs pieds, au premier plan, une série d'animaux sort d'une petite mare : des animaux chimériques et animaux réels. Derrière eux, sur un second plan, un lac se déploie sur toute la largeur du tiers médian du panneau. En son centre s'élève une fontaine à la forme organique, peinte en rose, peut-être « la fontaine de la Connaissance ». Ici également, toute une faune cohabite parmi laquelle il est possible de rencontrer des animaux plus ou moins exotiques : vache, cygne et lapin ; éléphant et girafe ; lézard à trois têtes et licorne. Le dernier tiers supérieur du panneau forme le dernier plan : une chaîne de montagnes bleutées se détache sur une étroite de bande de ciel bleu clair non uniforme dans lequel volent quelques groupes d'oiseaux.

Panneau central : le jardin des délices. Il est difficile de discerner tous les motifs dans le panneau central tant abondent les détails : une multitude de personnages, dévorant de gigantesques fruits, côtoient un grand nombre d'animaux dans un décor verdoyant où se déploient points d'eau et tours-montagnes. Au premier plan, plus d'une centaine de personnages, hommes ou femmes, de peau blanche ou noire, tous nus, se mêlent dans des festins autour de fruits énormes (cerises, mûres, fraise et arbouses). L'acte sexuel est fortement sous-entendu et omniprésent ainsi la fellation à l'intérieur d'un fruit d'un homme tenant une paire de cerises alors qu'un bras féminin sort vers un gros poisson, symbole du sexe masculin.

Le panneau de droite, L'Enfer. Dans le tiers inférieur du panneau, un grand nombre de personnages subissent des tortures conduites par des êtres hybrides, composés d'un corps humain surmonté d'une tête d'animal (lapin, oiseau notamment). Le plus visible de ces êtres est un personnage à tête d'oiseau assis sur une chaise percée, dévorant un humain et en déféquant d'autres. Les scènes de torture se déroulent par l'intermédiaire d'instruments de musique ( vielle à roue, harpe, cithare, flûte, tambour, trompette et cornemuse).

Dans le tiers central, les personnages nus subissent des supplices : contrairement aux représentations traditionnelles d'alors où le feu domine, c'est ici le froid avec notamment l'eau d'un lac gelée. Des personnages nus y évoluent, chaussés de patins à glace. Dans tiers central deux éléments se détachent particulièrement : une lame de couteau enchâssée entre deux oreilles, figure que d'aucuns ont rapproché, de part leurs formes, à une verge et ses deux testicules ; et d'autre part, regardant le spectateur, un personnage sans bassin ni jambes, dont le buste évidé contient des personnages ripaillant, et dont les bras, semblant des troncs d'arbre, lui servent à se tenir debout, les mains enchâssées dans deux barques. Cet "l'Homme-arbre" se situe dans le centre du panneau.

 

Pour le réalisateur c'est en s'interrogeant sur les mystères d'une œuvre d'art qu'on a tout le loisir de s'interroger sur soi-même. D'où la fascination de millions de spectateurs pour Le jardin des délices aux interprétations multiples. Le travail d'interprétation personnel est bien plus intéressant que de trouver une explication définitive.

Le film déroule néanmoins un plan classique et pédagogique : qui était Jérôme Bosch ? Qui a commandé le tableau ? Pourquoi est-il aujourd'hui au Prado ? Suivent des explications diverses sur le panneau fermé puis sur chacun des trois panneaux du triptyque ouvert. A ces explications offertes par les historiens d'arts se mêlent le ressenti des diverses personnalités amenées à contempler le tableau.

Les regardants qui se révèlent peu

Pour entrer dans le mystère de son Jardin des délices José Luis López-Linares a invité  des célébrités devant le tableau. Seuls les historiens en faisant leur métier nous donnent des pistes sérieuses pour nous aider à interpréter ensuite nous-mêmes le tableau. Leonardo García Alarcón, musicien Renée Fleming soprano détaillent les instruments d'époque et exécute la partition peinte sur les fesses d'un supplicié de l'enfer. Les autres intervenants plaquent trop souvent leurs propres préoccupations sur le tableau. William Christie y parle de symphonie et de contrepoint. Michel Onfray, iconoclaste, part d'un postulat provocateur "Si il fallait détruire pas mal d’œuvres, il faudrait en détruire beaucoup, mais pas celle-là".

Les échappées du plan pédagogique

Le déroulé pédagogique et introspectif est interrompu par une visite au musée de Cluny et à ses célèbres tapisseries de La dame à la licorne. Des repentirs révélés par les rayons X montrent la disparition d'une grosse salamandre dans le panneau de l'enfer sans que l'on en tire grand chose. En revanche est bien montré comment le tableau  a inspiré Joaquim Patinir pour Charon traversant le Styx (1520) et  Salvador Dali qui dans Le grand masturbateur a utilisé un fragment du tableau.

Si au total, il est toujours agréable de passer 1h30 avec un tableau magnifique et complexe, il ne nous est offert que quelques rares pistes pour mieux le sentir et se l'approprier. La forme elle-même évoque les copier-coller de Wikipédia. La thèse tellement admise par la doxa: "Il vaut mieux se poser des questions que d'y répondre" permet de parcourir l'ensemble du tableau mais laisse sur la faim d'une vision plus personnelle... A vous de voir donc.

Jean-Luc Lacuve le 16/12/2016

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