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La chasse

1959

(Jakten). Avec : Rolf Søder (Bjørn), Bente Børsum (Guri), Tor Stokke (Knut). 1h34.

Bjorn et Knut, deux amis proches, convoitent tous deux Guri. La belle épouse le premier, tandis que le second part à l'étranger pour oublier.

Quelques années plus tard, Knut revient, et un séjour de chasse dans la steppe norvégienne les réunit à nouveau. Les vieux démons se réveillent, le passé vient se mêler au présent, et la tension monte... A l’occasion d’une soirée de beuverie les deux hommes en viennent aux mains. Quant à Guri, elle souhaite avant tout être mère. Bjorn n'a pu accéder au désir de son épouse, celle-ci jette bientôt son dévolu sur Knut après qu’il se soit clairement proposé comme géniteur…

Erik Løchen fait rendre gorge à un drame sentimental classique, entre deux hommes et une femme, en multipliant les formes de distanciation. Il éclaire ainsi la généalogie mentale des actes du trio et invite son spectateur à une interrogation sur les fondements de son existence.

Voix off, regards caméra et changements de registre

Le récit est d’abord interrompu avec l’interpellation des personnages par une voix-off qui, par ailleurs, prend en charge de la narration. La voix off interrompt ainsi soudainement ses commentaires ou ses descriptions des événements Le narrateur omniscient s’adresse alors directement à Guri, Bjørn et Knut, les trois héros de La Chasse. La voix-off questionne aussi les figurants ainsi le gendarme qui n’apparait que quelques instants à l’écran.

Ainsi sollicités, les personnages tournent alors leurs yeux en direction de l’objectif, comme si le narrateur se trouvait derrière la caméra, et entament le dialogue avec eux dans des regards-caméra nettement plus distanciés que celui du modèle du genre, celui de Monika (Ingmar Bergman, 1953) avec le public.

L’entreprise d’inclusion du public dans La chasse est par ailleurs explicitement confirmée à la fin du film. À l’occasion d’une séquence à la tonalité ironique, Erik Løchen fait soudainement jaillir dans le cadre un groupe de personnages se désignant eux-mêmes comme le public. Et qui n’hésitent pas à prendre à partie directement Guri, mécontents que celle-ci n’ait pas révélé l’identité du père de l’enfant dont elle est enceinte.

Interrogations fondamentales

Le film dévoile par ailleurs des structures psychologiques archaïques. Rien de romantique en effet dans le trio amoureux disséqué par La chasse ! Pour Bjørn et Knut, Guri n’est au fond qu’une femme-objet dont la possession - avérée pour le premier, désirée pour le second - participe de l’affirmation d’une virilité rétrograde Guri est obsédée par le désir de maternité.

La présence d'’interprètes non professionnels, donne à certaines séquence un aspect documentaire qui contraste avec des séquences oniriques - donnant notamment accès à l’inconscient de Guri - ou à des flashes-backs, venant éclairer la généalogie mentale des actes de Bjørn comme de Knut. Il invite ainsi son spectateur à une interrogation sur les fondements de son existence. Une démarche qui n’est, par ailleurs, pas sans évoquer celle de son petit fils, Joaquim Trier dans Oslo, 31 août. Comme La Chasse, ce récit de la dernière journée d’un suicidé est aussi une magnifique source de réflexion sur ce qui (dé)fait une vie humaine.

Jean-Luc Lacuve, le 16 novembre 2019.

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