Depuis qu'il a été licencié il y a deux ans, Bertrand s'est installé dans la dépression, jouant à Candy crush sur son canapé sous l'œil peu amène de ses deux enfants. Heureusement, Claire, sa femme, l'aime et le réconforte le mieux qu'elle peut. Mais face à une société qui quoi que l'on fasse ne voudra jamais faire entrer un carré dans un rond, Bertrand échoue à retrouver goût à la vie.
Un jour qu'il accompagne sa fille à la piscine, Bertrand remarque une annonce pour se joindre à une équipe de natation synchronisée masculine. Il y a là Laurent, l’homme en colère, jamais satisfait dont le fils fait un blocage linguistique et que sa femme finit par quitter. Il y a Marcus, petit patron d'une entreprise de piscines qui croule sous les dettes. Il y a Simon, rockeur qui a produit vingt disques en vingt ans sans réussir un tube mais qui y croit encore et se décrédibilise ainsi aux yeux de de sa fille. Il y a Thierry, l’employé hypertimide de la piscine municipale qui se gave de sucreries et Avanish, un Sri-lankais qui ne parle pas un mot de français mais avec qui tout le monde est d'accord.
Tout ce petit monde de quinquas à la dérive est dirigé par Delphine, ex championne de natation synchronisée. Admiratrice des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, Delphine leur en lit des passages entre deux conseils donnés cigarette aux lèvres. Delphine, accro à l'amour romantique, est tout aussi fragile que la petite bande qu'elle dirige. Elle tombe dans l'alcoolisme quand ses rêves amoureux se déchirent. C'est ainsi Amanda, son ancienne coéquipière devenue paralysée, qui la remplace quand elle s'effondre. Affreusement autoritaire, Amanda dirige à coups de baguette fouettarde et d'ordres hargneux cette équipe de mâles qui s'est inscrite pour les championnats du monde en Suède.
Jusque là, la risée des membres et jeunes femmes supportrices de l'équipe de waterpolo, la petite bande d'hommes vite essoufflés, s'entraine sérieusement. Elle se dégote un pilier, capable de tenir trois minutes sous l'eau sans respirer, et bénéficie de la science de l'éclairage du copain de Simon. Elle va gagner ainsi le championnat du monde, gagnant surtout le respect du beau-frère et de la belle-sœur et des enfants de Simon et Bertrand et de la mère de Laurent.
Le plaisir pris au film tient en grande partie au fait de retrouver une bande d'acteurs dans leur rôle favori. Mathieu Amalric en dépressif comme chez Desplechin ; Guillaume Canet, beau mais chiant ; Benoît Poelvoorde en perdant magnifique, endossant un costume trop grand pour lui ; Jean-Hugues Anglade en looser aveugle sur son sort et Philippe Katherine en farfadet. Tant est si bien que l'on se retrouve en terre connue où la frontière entre acteur et personnage est poreuse, l'un et l'autre apparaissant à tour de rôles et se bonifiant l'un l'autre. C'est Gabin, Delon, Belmondo sans cabotinage excessif dans du bon cinéma populaire, un cinéma d'acteurs.
Qui plus est, le film est sans enjeu ; tout le monde ne peut qu'être d'accord avec le fait qu'il faut s'aimer soi-même et qu'un peu de reconnaissance, une médaille d'or dans un sport encore plus confidentiel que le curling, ne fait pas de mal. Sur des sujets aussi consensuels, la comédie peut se déployer sans arrière-pensée avec une vraie troupe d'acteurs.
Sans racoler avec le poujadisme assumé de Philippe Le Guay dans son Normandie Nue (2018), Gilles Lellouche refait à la française ce qu'avait réussi Peter Cattaneo avec The Full Monty (1997). L'anglais faisait s’effeuiller ses chômeurs-strip-teaseurs sur fond de démantèlement métallurgique et de libéralisme thatchérien. Ici c'est la France des petits cols blancs qui souffre avec quelques passages bien sentis : "S'aimer, pour un couple, c'est être fier de l'autre ; pas toujours mais souvent" ou cet extrait, lu in-extenso des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke :
"Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer, des heures durant, personne - c'est à cela qu'il faut parvenir. Être seul comme l'enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l'enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s'en affairent et que l'enfant ne comprend rien à ce qu'elles font. S'il n'est pas de communion entre les hommes et vous, essayez d'être prêt des choses : elles ne vous abandonneront pas. Il y a encore des nuits, il y a encore des vents qui agitent les arbres et courent sur les pays. Dans le monde des choses et celui des bêtes, tout est plein d'événements auxquels vous pouvez prendre part. Les enfants sont toujours comme l'enfant que vous fûtes : tristes et heureux; et si vous pensez à votre enfance, vous revivez parmi eux, parmi les enfants secrets. Les grandes personnes ne sont rien, leur dignité ne répond à rien".
Jean-Luc Lacuve, le 16 novembre 2018