La duchesse des bas-fonds

1945

Genre : Mélodrame

(Kitty) Avec : Paulette Goddard (Kitty), Ray Milland (Sir Hugh Marcy), Patric Knowles (Brett, comte de Carstairs), Reginald Owen (Duc de Malmunster), Cecil Kellaway (Thomas Gainsborough), Constance Collier (Lady Susan Dowitt), Dennis Hoey (Jonathan Selby), Sara Allgood (Meg), Gordon Richards (Sir Joshua Reynolds), Michael Dyne (Le prince de Galles). 1h28

Kitty vit dans un taudis d'un quartier mal famé de Londres sous la dure férule de Meg qui ne lui donne à manger que si elle ramène de l'argent qu'elle acquiert comme elle peut.

Un jour, elle bouscule un gentleman sortant de son carrosse pour lui voler sa bourse. Le gentleman remarquant sa beauté, lui promet quelque argent si elle veut bien entrer dans sa maison, se laver et enfiler une robe de duchesse. Kitty est toute heureuse de poser ainsi pour le peintre Thomas Gainsborough. Surviennent bientôt deux amis du peintre Brett, comte de Carstairs et Hugh Marcy. Celui-ci fait au premier le pari de séduire la jeune femme. Etant resté toute la journée à l'attendre, qu'elle n'est pas sa déconvenue de voir sortir celle-ci dans ses haillons. Kitty a bien du mal à lui cacher sa misérable condition et ce d'autant plus qu'elle a perdu la pièce d'or donnée par Gainsborough et qu'elle craint de se faire battre en rentrant chez elle sans argent.

Hugh Marcy conduit Kitty chez sa tante, Lady Susan Dowittelle. La famille est ruinée, Hugh survit comme il peut alors que sa tante s'enfonce dans l'ivrognerie. Hugh parvient tout de même à faire embaucher Kitty comme servante auprès de sa tante.

Vient le jour du salon de peinture où le tableau de Kitty en duchesse fait sensation. Le Duc de Malmunster, un vieux libertin, s'enquiert de l'identité de la belle personne. Gainsborough est gêné mais Hugh déclare qu'il s'agit d'une aristocrate, parente de sa tante. Il voit là l'occasion de s'introduire auprès de la bonne société en espérant profiter de ses largesses.

Il charge ainsi sa tante d'éduquer Kitty pour en faire une aristocrate aux bonnes manières...

Sur une durée de moins d'une heure trente, le film bénéficie d'une étonnante et dynamique progression dramatique. Il semble d'abord être une nouvelle version de Pygmalion, la pièce de George Bernard Shaw. Lorsque, Kitty a épousé le duc de Malmunster, il se transforme en drame à suspens. L'identité de Kitty manque en effet bien d'être révélé lors de la scène du collier qui entraîne la vulgaire réplique de la duchesse qu'elle fait passer pour un trait d'esprit auprès du prince de Galles.

Ce suspens était déjà à l'oeuvre lors de son premier mariage avec Jonathan Selby qui se termine tragiquement par le suicide de la jeune bonne affolée d'avoir tué le mari de sa patronne pour la protéger des coups. Oscillant ainsi entre comédie et drame, le film se résout dans le mélodrame amoureux avec la belle séquence finale qui voit l'ultime tentative de Hugh pour récupérer Kitty qui s'en va épouser le comte de Carstairs.

La mise en scène de Mitchell Leisen rend grâce à la beauté de Paulette Godard, au charme de Ray Milland aux performances ironiques ou comiques des acteurs en alternant avec virtuosité plans larges et gros plans. La séquence de la mort du duc, amorcée par la montée de l'escalier monumental, la traversée du long couloir éclairé par les chandeliers des serviteurs puis l'émoi paternel injustifié et la mise en garde du médecin se résout dans un travelling arrière funèbre. Mitchell reprend en effet la même séquence des serviteurs aux chandeliers mais en l'éclairant de moins en moins pour finir dans la pénombre en haut de l'escalier où le duc va s'écrouler. Les serviteurs viennent alors en nombre constater dans un clair-obscur baroque la mort du duc.

Ce même escalier avait été déjà été remarquablement mis en scène lors de la séquence qui place Kitty au sommet de l'aristocratie anglaise pour sa présentation en tant que duchesse au prince de Galles. Il sera dévalé par Kitty à la fin lorsqu'elle renonce à toute ascension pour courir rejoindre Hugh.


Le film est également d'une remarquable précision sur la peinture de Thomas Gainsborough. Lors de la séance de pose de Kitty, on voit quelques-unes de ses toiles célèbres dans son atelier : Edward, second vicomte de Ligonier ou Les filles du peintre chassant les papillons.

Au salon, c'est le Garçon en bleu qui est exposé. Il suscite l'indignation de Reynolds qui expose sa théorie classique des couleurs. Elle doivent être chaudes au premier plan avec l'ocre de la terre puis, en passant par les jaunes et le vert, réserver le bleu, couleur froide, pour le ciel à l'arrière plan. Cette utilisation des couleurs renforce classiquement la perspective.

Reynolds, montré comme une vieille barbe avec son cornet qui pallie sa surdité, accuse Gainsborough de chercher le sensationnel. Celui-ci triomphe lorsque le Duc de Malmunster achète son tableau pour 100 livres, enthousiasmé par la couleur de l'habit... Gainsborough déchante bien vite lorsqu'il apprend que cet enthousiasme n'est dû qu'à l'accord que le duc trouve entre le bleu de l'habit et celui de la tapisserie de son appartement !

Paulette Godard d'abord en Madame Graham puis en Vicomtesse de Ligonier

La réussite du film est de transformer deux célèbres portraits de Gainsborough avec cette fois Paulette Godard comme modèle pour en faire deux des moments forts de sa mise en scène.

C'est d'abord la très belle Madame Graham qui sert de modèle au tableau qui suscite l'admiration de tous lors du salon. C'est ensuite Kitty en Vicomtesse de Ligonier qui fait prendre conscience à Hugh que Kitty n'est plus la miséreuse inculte qu'il a contribué à éduquer mais, comme le lui montre Gainsborough, une vraie aristocrate qui risque bien de lui échapper en épousant le comte de Carstairs.

Jean-Luc Lacuve le 10/09/2008