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Synonymes

2019

Avec : Tom Mercier (Yoav), Quentin Dolmaire (Emile), Louise Chevillotte (Caroline), Christophe Paou (Raphaël, le "photographe"), Uria Hayik (Yaron), Olivier Loustau (Michel), Yehuda Almagor (Le père de Yoav), Léa Drucker (La professeure d'instruction civique). 2h03.

Regardant les trottoirs plus que les bâtiments, Yoav, ancien soldat de Tsahal, débarque à Paris. Il trouve, là où on avait dû lui indiquer, la clé d'un grand appartement haussmannien près de la place saint Sulpice dans le 6e. Yoav est surpris de découvrir l'appartement complètement vide et souffre du froid qu'il y fait.

Yoav prend un bain rapide pour se réchauffer à l'eau à peine tiède. Mais, au moment de se sécher, il constate qu'on lui a volé ses affaires. Nu comme un ver, il se précipite en bas des escaliers mais ne peut pas même apercevoir son voleur. Il réclame en vain de l'aide en frappant aux portes des différents appartements de l'immeuble. Quand Emile et Caroline, un couple de jeunes bourgeois, se décident à sortir, armés d'un marteau, ils le découvrent inconscient dans la baignoire, transi de froid.

Emile et Caroline remontent Yoav dans leur appartement et Emile le frictionne dans leur grand lit. Yoav explique qu'on lui a tout volé. Il vient s'installer France, qu'il s'est choisi pour terre d'accueil espérant y finir ses jours pour être enterré au Père Lachaise. Emile lui donne alors affaires de toilettes, argent, téléphone, chemises et un grand manteau. Yoav donne à Emile son piercing de lèvres, le seul bien qu'il possédait encore.

Yoav rejoint alors un second appartement qu'on lui a prêté pour s'y installer. L'appartement est petit, miteux, avec un trou dans le mur que Yoav bouche avec ses chemises. Ses repas sont constitués de spaghettis mélangés de tomates concassées et de deux cuillérées de crème, le tout pour moins de 2 euros. Yoav refuse de parler hébreu avec ses compatriotes, notamment une ancienne petite amie avec laquelle il communique par Skype.

Yoav marche la nuit, dérobe des cartes postales de Kurt Cobain, Napoléon et Van Gogh et s'achète un dictionnaire de synonymes pour prononcer des litanies de mots en marchant tête baissée dans Paris. Des mots pour détester l'état d'Israël comme pour aimer les viennoiseries des boulangeries parisiennes.

Yoav voit souvent Emile avec lequel il partage de longues balades dans la nuit et se rend aussi souvent chez lui. Emile, fils d'un industriel très riche, a des prétentions d'écrivain mais peine à écrire. Il n'a jusqu'alors rédigé laborieusement que quarante-deux pages de Nuit d'inertie. C'est pourtant Yoav qui devant Emile et Caroline fait les récits les plus singuliers.

Yoav trouve du travail à l'ambassade d'Israël où il est chargé de la vidéo surveillance. Il est aussi pris en moto par Yaron, un dur de la sécurité israélienne. Yoav rencontre aussi Michel, un ami de la sécurité de l'ambassade qui cherche à en découdre. Pour vérifier que les Parisiens ne sont pas antisémites, il leur fredonne au visage, menaçant, l'hymne national israélien. Heureusement, cet air, proche du thème principal de La Moldau de Smetana, n'est sans doute pas compris. Michel accepte alors une bataille à mort avec des fascistes et se fera trainer derrière une voiture comme Hector derrière le char d'Achille.

Caroline vient rendre visite à Yoav chez lui. Ils font l'amour. Emile a donné rendez-vous à Yoav et à Caroline. Il leur annonce leur mariage, dès le lendemain s'ils le souhaitent. Yoav deviendra ainsi français. Yoav et Caroline s'enlacent. Par gratitude, Yoav donne ses histoires à Emile qui n'arrive pas à écrire tant sa vie est banale.

Même maintenant mariée, Caroline vit toujours dans le bel appartement d'Emile. Sous la pluie, les vigiles de l'ambassade font attendre les demandeurs de visa. Yoav leur ouvre grandes les portes. Il est renvoyé.

Yoav accepte de poser nu comme modèle. Le photographe exige qu'il se mette nu et prononce des mots obscènes dans des poses ponographiques. Dans une deuxième séance, il est confronté à une jeune palestinienne qui refuse de lui parler quand elle apprend qu'il est Israélien. Il s'enfuit et vient retrouver Emile en tenue de soldat et lui demande de reprendre ses histoires : ce qu'Emile accepte.

Yoav participe aux cours d'instruction civique pour être français. Il demande à ce que l'on mette plus forte la musique de La Marseillaise pour mieux la déclamer. Il est interloqué et admiratif du jeu de questions-réponses sur la liberté de la femme ou la France laïque.

Lorsqu'il va voir jouer Caroline au conservatoire, il fait scandale dans les loges en déclarant "Vous jouez de manière inadmissible une musique admissible". Il voudrait que le violoniste se batte pour défendre sa musique.

Le père de Yoav vient lui rendre visite, inquiet de l'état de son fils. Yoav refuse de la voir mais se trouve confronté à lui lors dune brève rencontre, muette. Cela suffit pourtant peut-être. Fâché avec Caroline, Yoav décide de repartir pour Israël. Il voudrait dire au revoir à Emile mais il ne peut que tenter vainement de défoncer sa porte. Il part.

 Yoav est un guerrier. Dégouté par l'état d'Israël, il se bat pour trouver un autre pays à aimer mais surtout pour être lui-même. Il devra en passer par le chaos.

Le vain chemin de l'héroïsme

Yoav, nu comme un nouveau né, débarque chez Emile et Caroline, interprétés par deux acteurs provenant du cinéma d'auteur : Quentin Dolmaire, Paul dans Trois souvenirs de ma jeunesse (Arnaud Desplechin, 2015) et Louise Chevillotte, Ariane dans L'amant d'un jour (Philippe Garrel, 2017). Yoav les aime bien mais c'est lui qui les fascine en se distinguant par sa puissance corporelle, par son dépassement  du rôle sérieux et romantique de l'écrivain. Plus libre, il sera danseur des mots.

Yoav baisse la tête pour  ne pas subir la beauté toute faite de Paris, son tourisme de masse, mais amener un imprévu qui n'appartient qu'à son histoire. Il prononce alors des litanies de mots pour détester l'état d'Israël comme pour aimer les viennoiseries des boulangeries parisiennes. Il danse sur Pump up the jam de Technotronic en mordant une miche de pain avec sa partenaire. Mais surtout, il fait des récits singuliers : la mort du grand père terroriste condamné par les autorités britanniques, son père près de mourir gelé sur le fort militaire de la montagne; comment il échoua lors de son recrutement comme officier pour avoir pris pour une mitraillette et son chargeur qu'un enfant pointait vers sa tête ce qui n'était qu'un violon et son archet; comment il appris à jouer de la mitraillette en écoutant Pink Floyd; comment depuis ses quatre ans, il s'est identifié à Hector, héros troyen dans son combat malheureux contre Achille.

Yoav se donne à fond pour être plus français que français. Il aime l'héroïsme de la professeure d'éducation civique, osant la défense du coq gaulois, affirmant qu'en France "il 'y a pas de religion parce que Dieu n'existe pas" ou acceptant de mettre toujours plus fort le son de La Marseillaise pour mieux la déclamer, comme sur un champ de bataille.

Allant toujours plus loin, comme Michel précédemment, Yoav cherche le combat. Il ouvre large les portes de l'ambassade. Il insulte les musiciens qui jouent sans assez de conviction leur musique. Transparait cette exigence de se battre pour son art et non de le considérer comme un simple passe temps. Pratiquer le hautbois dans un conservatoire d'arrondissement c'est pour Caroline comme comme cultiver les pommes de terre. C'est, si elle n'était pas bourgeoise, l'activité qui lui ressemble le plus.

En passer par le chaos pour renaitre

Progresivement Yoav se définit lui-même et pas spécialement par rapport à un pays que l'on déteste ou que l'on aime. Il accepte le chaos, la défaite, mot interdit en Israël synonyme d'éradication du pays par ses voisins arabes. Malédiction d'Israël qui a la sensation que perdre une guerre c'est disparaitre.

Yoav trouve sa voie en refusant tout autant la victoire que la défaite. Il accepte de poser nu comme modèle et de se soumettre aux exigences du photographe qui lui demande de prononcer des mots obscènes, un doigt dans l'anus. Lors de la seconde séance, Yoav se rend compte de ses limites : il n'ose encore parler avec la jeune palestinienne qui refuse elle-même le dialogue. Il s'enfuit, ridicule dans son costume militaire décoré de médailles.  Du coup, il reprend ses histoires et s'en va renaitre une troisième fois.

Emile et Yoav, fascinés l'un par l'autre, avaient envisagé de mourir cœur contre cœur, une grenade dégoupillée entre eux deux. Sur le Concerto pour violoncelle d'Edward Elgar, Caroline avait joué avec l'interrupteur illuminant et éteignant la pièce avant de se décider à les laisser seuls. Chacun d'eux trouvera finalement sa voie. Emile, lassé de l'écriture, retrouve son destin de patron d'usine. C'est le  terrible gros plan sur le phare arrière de la grosse voiture qui vient remplir l'écran.

Yoav ne peut que se cogner contre la porte d'Emile sans réussir à l'ouvrir. L'héroïsme guerrier n'est plus de mise mais c'est loin d'être une défaite. Imprégné dorénavant des deux cultures, Yoav s'en retourne, riche de ses histoires auxquelles il devra donner une forme. Espérons pour lui qu'il ressuiera un aussi  bel autoportrait que Nadav Lapid avec ce film sauvage, énergique et combattant.

Jean-Luc Lacuve, le 27 mars 2019