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Lolita

1962

Avec : James Mason (Humbert Humbert), Shelley Winters (Charlotte Haze), Sue Lyon (Dolores 'Lolita' Haze), Peter Sellers (Clare Quilty), Gary Cockrell (Dick Schiller), Jerry Stovin (John Farlow), Diana Decker (Jean Farlow), Lois Maxwell (L'infirmière Mary Lore), Cec Linder (Le physicien), Roland Brand (Bill Crest). 2h32.

Humbert Humbert pénètre chez l'écrivain Clare Quilty et le tue.

Intertitre : "Quatre ans plus tôt". Humbert Humbert, lecteur en littérature française, loue une chambre dans la maison de Charlotte Haze, matrone éprise de culture. C'est l'été dans la petite ville de Ramslade. Charlotte, veuve depuis sept ans, est tout de suite très attirée par Humbert, divorcé et homme séduisant. Elle lui fait une cour très pressante tandis que Humbert se montre beaucoup plus attiré par les charmes encore très juvéniles de sa fille, Lolita.

Humbert et Charlotte se marient, cette situation équivoque se poursuit quelque temps. Puis Charlotte apprend la vérité et se jette sous une voiture. Humbert va chercher Lolita dans son camp de vacances. Il lui cache d'abord la mort de sa mère. Ils passent la nuit dans un motel. Apprenant la mort de sa mère, Lolita se jette dans les bras d'Humbert. Ils mènent une vie commune, tout en préservant les apparences. Humbert est très jaloux et surveille les activités extrascolaires de Lolita (qui joue dans une pièce de théâtre). Humbert refuse qu'elle aille à une soirée d'acteurs. Ils se querellent. Ils décident alors de voyager à travers les États-Unis. Une mystérieuse voiture les suit. Ils tombent bientôt malades tous les deux. Humbert se retrouve tout seul à l'hôpital.

Quelques années plus tard, il rencontre Lolita : elle a vieilli et s'est endurcie. Devenue, mme Richard Schiller, elle est mariée à un homme très quelconque et est enceinte. Elle refuse de partir avec lui et lui révèle tout sur Clare Quilty et ses multiples visages (c'est avec lui qu'elle était partie). Humbert retrouve Quilty et le tue.

Le roman sulfureux, ironique, cynique et magnifique de Nabokov est refusé par quatre éditeurs américains qui redoutent la justice, alors sous l'emprise du maccarthysme. Lolita sera ainsi publié pour la première fois en langue anglaise... en France, en 1958. Lorsque Kubrick entreprend l'adaptation du roman avec un scénario proposé par Nabokov dont il ne se servira pas, il sait qu'en 1962, le code Hays s'effrite. Il pense d'abord pouvoir échapper en partie à la censure en tournant en Angleterre. Dolores n'a plus 12 ans comme dans le roman mais 14 et son interprère, Sue Lyon est âgée de 16 ans. Kubrick sait que le jeu de James Mason est assez ironique pour tenir à distance le rejet du thème de la pédophilie... qui est alors moins prégnant qu'aujourd'hui.

La spirale de l'échec.

Nabokov décrit avec ironie et cynisme l'aventure d'Humbert Humbert marqué à jamais par l'échec de son amour d'enfance pour Annabel Leigh et qui se pose désormais en victime malheureuse pour justifier son désir des petites filles. Nabokov le décrit, non comme un amant romantique mais, grâce au décalage ironique entre ce qu'il dit et ce que l'on devine, comme un vil prédateur. Jeux de séduction, répliques, regards, situations burlesques, Kubrick multiplie également les équivoques et les distanciations.

En ouvrant son film par un flash-back, la séquence du meurtre de Quilty par Humbert, Kubrick nous introduit directement dans le monde de la farce et de la folie. Il annonce son goût pour le mélange des genres, le grotesque et la parodie. Chez Kubrick, le grotesque renvoie à l'ironie et à l'humour noir du récit en même temps qu'il gomme la dimension sadienne du personnage dont la perverse démesure pousse à une transgression sexuelle permanente. Au final, Kubrick tire le récit vers la farce cruelle et cauchemardesque, support d'une réflexion personnelle sur la spirale de l'échec et le sentiment de solitude.

Clare Quilty, forcèment Quilty.

Clare Quilty (paronyme de guilty, coupable en anglais), occupe chez Kubrick une place de premier plan qu'il n'a pas dans le roman où le personnage, jamais décrit, n'apparait qu'en filigrane du récit à l'exception de la fin sanglante. L'hilarant, Peter Sellers compose un Quilty qui dépasse largement le statut de simple rival que lui attribue Nabokov. Mystérieux, menaçant et insaisissable, il est une sorte de double maléfique de Humbert Humbert, le persécutant d'une logorrhée ahurissante, chargée, contre toute attente, du discours moral du film. Homme aux multiples visages dont la présence sournoise plane sur l'ensemble du film, il incarne la mauvaise conscience du héros. Ses apparitions récurrentes, à la limite de la vraisemblance, portent à croire qu'il n'existe pas, qu'il est un fantoche grimaçant, fruit de l'imagination coupable d'Humbert, venu singer sa propre déviance. Ainsi quand Quilty se cache derrière un journal pour observer le comportement d'Humbert, il est le représentant d'une censure sociale qui espionne. De même, quand il aborde Humbert en se faisant passer pour un policier, il est le dépositaire de l'autorité, garant dérisoire d'une morale qu'il est le premier à bafouer. Une autorité qui représente ici le surmoi d'Humbert lui interdisant d'assouvir sa perversité.

Ainsi est-ce la crainte de perdre Lolita et le sentiment de culpabilité qui poussent Humbert à la possessivité, au délire hystérique (scène de l'hôpital), à la folie meurtrière. C'est encore sa jalousie morbide que le docteur Zemph, autre avatar de Quilty, détenteur d'une partie du discours morale sur l'éducation de Mme Starch, bat en brèche dans une scène mémorable et annonciatrice du psychotique docteur Folamour, deux ans plus tard.

Source :

Analyse de Philippe Leclercq dans 100 films du roman à l'écran.

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