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La vérité

2019

Avec : Catherine Deneuve (Fabienne), Juliette Binoche (Lumir), Ethan Hawke (Hank), Manon Clavel (Manon), Clémentine Grenier (Charlotte), Ludivine Sagnier (Amy à 38 ans), Alain Libolt (Luc), Christian Crahay (Jacques), Roger van Hool (Pierre), Laurent Capelluto (Le journaliste), Jackie Berroyer (Le chef du restaurant). 1h47.

Fabienne, actrice iconique du cinéma, assume avec une certaine autodérision l’interview qu’elle accorde à un journaliste. C'est alors qu'arrivent sa fille, Lumir, scénariste à New York, son mari, Hank, acteur de seconds rôles à Hollywood et Charlotte, leur fille de neuf ans. La publication des mémoires de Fabienne a en effet incité Lumir à revenir dans la maison de son enfance avec sa famille.

Mais les retrouvailles tournent vite à la confrontation. Lumir, qui n'a pas obtenu le manuscrit avant la publication, passe sa première nuit à lire les mémoires de sa mère : La vérité. Dès le matin, Lumir reproche à Fabienne de s'adjuger un rôle de mère parfaite alors qu'elle a été si peu présente, laissant le soin de son éducation à son amie, Sarah, dont elle ne dit mot dans son livre. Mais le plus aigri par ces mémoires, c'est le fidèle agent de Fabienne, Luc qui pendant des années a veillé sur elle au moins autant que sur sa carrière, lui ménageant ses rendez-vous et assumant tous ses caprices au quotidien. Révolté de n'être pas même mentionné dans le livre, il claque la porte et laisse désemparée Fabienne. Seule Lumir a la possibilité désormais de prendre soin de sa mère.

C'est donc Lumir qui accompagne Fabienne aux studios d'Épinay où elle joue dans un film de science-fiction où elle incarne la fille âgée d’une mère éternellement jeune. Manon, la jeune actrice qui tient paradoxalement le rôle de la mère qui ne vieillit tous les sept ans que d'un an, est une star en devenir que Fabienne jalouse. Sur le plateau tout le monde ment un peu pour jouer mieux : savoir se servir d'une mèche de cheveux comme indice du mensonge ; se servir de la mort d'un chien pour jouer la douleur de la perte du père.

Agacée de se savoir surclassée par Manon, Fabienne sort ses griffes chez elle. Ainsi lorsque sa fille l'accuse d'être responsable de la mort de Sarah pour lui avoir volé un rôle important, elle agresse Hank et l'incite à boire alors qu'il était abstinent depuis plusieurs mois pour décrocher un premier rôle.

Néanmoins Lumir aide sa mère à tenir son rôle jusqu'au bout. Un soir, Fabienne lui révèle qu'elle était toujours pleine d'amour pour elle. Elle avait ainsi bien assisté à la pièce que Lumir jouait enfant dans le rôle du lion craintif du Magicien d'Oz. Si elle n'était pas venue la voir après, c'était pour ne pas lui dire qu'elle était bien mauvaise actrice. Et puis, plus grave, Sarah lui avait volé l'amour de sa fille en étant plus présente qu'elle et elle avait appris à s'effacer.

Dès le lendemain, Fabienne demande à Luc, qui est revenu près d'elle après une soirée au restaurant où tous ont cherché à se réconcilier, d'obtenir qu'elle rejoue la scène de l'amour filiale tant elle a été bouleversée la veille.

Lumir s'en amuse et réconciliée avec les différentes facettes de sa mère s'en va vers New York en profitant des derniers soleils de l'automne parisien.

Difficile de définir la grâce qui émane des films de Kore-Eda. Peut-être s'agit-il des subtiles harmoniques qui résultent d'un accord. Ici l'accord Vérité-mensonges-oublis résonne en variations multiples, dramatiques et comiques, en différents lieux (Paris, Epinay-sur-Seine), temps (l'enfance et l'âge adulte et la vieillesse), générations et milieux (privé et professionnel) pour se résoudre dans les chaudes couleurs de l'automne.

Vérité et tout-contre vérités

Fabienne, à l'égoïsme à toute épreuve, a décidé dans ses mémoires de raconter sa vérité, celle qui correspond à ce qu'elle aurait aimé être, celle où disparaîtrait ce qu'elle a raté. Au fil des ans, elle s'est retranchée dans une méchanceté protectrice des inquisitions. Aux autres, aux hommes surtout, elle ne trouve qu'une seule qualité : celle d'amant de sa fille pour Hank, de bricoleur pour Pierre, de cuisinier pour Jacques. Les hommes sont des figures fantomatiques, hantant le second plan ou le hors-champ alors que les femmes manient le mensonge pour mieux faire éclater leur invention et leurs multiples facettes.

S'accumulent d'abord petits mensonges (50 000 exemplaires seulement et non 100 000) et plus gros : vol du rôle de sa vie auprès de sa meilleure amie en couchant avec le réalisateur et vol de l'amour maternel ; écriture par Lumir d'une scène d'excuses destinée à Luc, que finalement Fabienne ne prononcera pas. Le mensonge et la mauvaise foi deviennent pourtant le moteur de retrouvailles inattendues, une fois parvenu au cœur du traumatisme : Fabienne avait perdu son combat pour l'amour de sa fille face à Sarah. Elle avait dû s'en accommoder et tout reporter sur sa carrière. Cet amour filial enfin assumé, Fabienne en profite pour obtenir qu'elle rejoue cette scène du film où elle ne se trouvait pas à la hauteur. Elle est ainsi totalement elle-même en voulant le meilleur comme mère et comme actrice ; plaçant toutefois et, c'est nouveau, ses deux faces d'elle-même au même niveau. Lumir, loin de s'en offusquer, s'en amuse.

Printemps et automne

La figure de Sarah, ancienne amie de la mère, que Lumir a follement aimée, a cristallisé tous les souvenirs positifs de l’enfance. Son énergie et son ombre se matérialise autour de la jeune actrice jouée par Manon dont la voix grave réussit à bouleverser alors même qu’elle ne se déploie que dans un espace très confiné, celui du film dans le film.

Mais le principal signe du renouveau, c'est Charlotte, fine mouche qui voudrait être actrice. La petite fille observe avec philosophie la confrontation entre ces hommes un peu dépassés et ces femmes prisonnières de leur passé. Elle n'hésite pas à jouer une scène écrite par sa mère pour entrer dans les bonnes grâces de sa grand-mère. Si Lumir se décidera peut-être à devenir actrice, sa fille en a tous les talents. C'est aussi celui de Kore-Eda de faire aussi bien jouer une enfant alors que son compatriote Suwa y avait si dramatiquement échoué. Elle est nimbée de la puissance du conte, celui de la sorcière de la forêt, celui des transformations magiques : « Où est grand-père ? », Fabienne, séparée de son mari, lui répond qu’elle l’a puni et transformé en tortue – celle que l’on voit traverser le jardin. Et lorsque Pierre apparaît de façon tout à fait étrange, il faudra attendre son départ pour que la tortue revienne.

L’histoire se déroule à l’automne comme si tous les personnages sortaient nettoyés des douleurs trop vives et prêts à profiter des derniers rayons du soleil. Dans la séquence finale, Lumir, enfin fidèle à son patronyme, choisira sans doute elle aussi sa vérité comme une possibilité de trouver un bonheur qui n'a pas eu lieu mais qui a encore une chance d'advenir.

Jean-Luc Lacuve, le 11 janvier 2020

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