Une affaire de famille

2018

Genre : Drame social
Thème : Les exclus

Festival de Cannes 2018 (Manbiki kazoku). Avec : Lily Franky (Osamu Shibata), Sakura Andô (Nobuyo Shibata), Mayu Matsuoka (Aki Shibata), Kirin Kiki (Hatsue Shibata), Kairi Jyo (Shota Shibata), Miyu Sasaki (Juri Hojo), Kengo Kora (Takumi Maezono). 2h04.

Février. Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils, Shota, recueillent dans la rue une petite fille, Yuri, qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, Nobuyo, la femme d’Osamu, accepte de s’occuper d’elle lorsque, la raccompagnant devant chez elle, elle comprend que ses parents se dechirent et la maltraitent.

Shota, Osamu et Nobuyo vivent dans la maison de la grand-mère, Hatsue et la jeune et jolie Aki. Ce clan des Shibata a du mal à joindre les deux bouts d'où les rapines du père et du fils. Osamu est un journalier du bâtiment mais une blessure à la jambe l'immobilise chez lui quelque temps. Nobuyo travaille dans une laverie à trier et à repasser le linge. Aki travaille dans un peep-show. Hatsue tire ses revenus d'une pension délivrée à la suite de la mort de son ex-mari. Elle résiste à la pression d'un inspecteur des service sociaux,plus ou moins en cheville avec un promoteur, qui ignoret qu'elle vit avec son clan et à la présence de Shota auquel on a répété que l'école n'était que pour ceux qui ne sont pas capables d'étudier chez eux. En dépit de leur pauvreté, les membres de cette famille semblent heureux. Nobuyo s'entend bien avec ses collègues et le travail de la jolie Aki n'est pas trop difficile. Après un vol de cannes à pêche réussi, Shota accepte que Juri les accompagne dans leurs vols car son père lui fait comprendre qu'elle trouve ainsi sa place dans la famille. Elle devient sa petite sœur. Osamu aimerait que Shota l'appelle papa mais celui-ci s'y refuse encore, sachant qu'il a été retrouvé dans une voiture abandonnée.

Mais après deux mois,la télé révèle que Yuri, qui s'appelle en fait Juri, est recherchée par la police : sa disparition a entraîné l'arrestation de ses parents, soupçonnés de maltraitance et qui auraient pu faire disparaître la fillette. La famille part en expédition pour voler des vêtements pour Yuri, lui coupe les cheveux, l'appelle désormais Rin et brûle ses vieux vêtements.

Un vol de simples friandises chez un petit marchand se révèle problématique. Celui-ci repère le manège de Juri et reproche à Shota d'entraîner sa sœur à voler alors qu'elle est trop jeune. Shota commence alors à douter de ce que ses parents lui ont inculqué : "on peut voler dans un magasin puisque cela n'appartient encore à personne". Nobuyo tente de le rassurer en lui affirmant qu'on peut voler dans un magasin tant qu'il ne fait pas faillite. Mais comme il ne sait pas lire, Shota ne peut comprendre que la quincaillerie a fermé pour cause de deuil et pense en être responsable.

C'est l'été. Nobuyo et sa meilleure amie sont bientôt convoquées chez leur patron qui veut licencier l'une des deux. Elles ont les plus gros salaires de l'entreprise. Il les laisse lâchement décider entre elles qui devra se sacrifier. Comme l'amie de Nobuyo menace de révéler qu'elle élève clandestinement Juri, Nobuyo démissionne. Hatsue va dans la famille de son beau-fils qui lui donne d el'arent pour s'occuper de Aki, leur fille qui ne voulait plsu vivre chez eux. De son coté Aki est émue par son client n°4 et espère s'en faire aimer. Profitant que personne d'autre ne soit à la maison, Osamu et Nobuyo font l'amour ce qui ne leur arrive qu'exceptionnelement. Un amour ramène pourtant tout le monde à la maison.

Toute la famille va passer une belle journée de vacances sur la plage de Kamakura.

Hatsue meurt subitement et la famille décide de l'enterrer secrètement sous la maison. Ils pourront ainsi bénéficier de l'argent sur son compte bancaire. Juri essaie de nouveau de voler dans un supermarché. Shota voit qu'elle va de nouveau échouer ; il préfère détourner l'attention sur lui et commet exprès un vol maladroit. Il court mais se fait rattraper par les employés. Il saute d'un pont et se fracture la jambe.

Il est arrêté par la police et emmené à l'hôpital où il décline son identité. Osamu et Nobuyo viennent prendre de ses nouvelles mais fuient devant les questions de la police. Ils s'apprêtent à fuir définitivement dans la nuit mais ils sont arrêtés par la police.

Les services sociaux interviennent et, en interrogeant les membres de la famille, comprennent qu'elle n'en est pas une. Hatsue n'est pas la grand-mère d'Aki mais sa belle-grand-mère (Hatsue est l'ex-femme du grand-père d'Aki). Elle recevait du fils né de la seconde femme de son ex-mari, et de sa femme une pension pour élever Aki. Hatsue allait chercher chez eux à intervalles réguliers, dans un cérémonial convenu, une enveloppe de 30 000 yens ; le mari s'excusant que son père soit parti avec une autre femme, l'abandonnant. Aki s'avére déçue qu'Hatsue l'aie recueillie avec des arrières-pensées financières. L'argent ne servait toutefois qu'à alimenter une caisse noire cachée, un surplus à la petite pension de réversion de Hatsue. De leur côté, Nobuyo et d’Osamu sont liés par le meurtre du mari de la première. Ils avaient tenté de dissimuler le corps mais avaient été jugés en plaidant avec succès la légitime défense. Néanmoins l'enterrement clandestin de Hatsue, qui les avait admis avec elle pour partager les frais, vaudra cinq ans d'emprisonnement à Nobuyo qui a accepté d'assumer seule la culpabilité pour ne pas condamner Osamu qui a déjà un casier judiciaire.

Shota est placé dans un orphelinat. Il vient, accompagné d'Osamu, en prison voir Nobuyo. Celle-ci lui révèle qu'il n'a pas été enlevé dans une voiture abandonnée mais volé dans une voiture de marque, une voiture rouge dans un quartier chic. Avec ces indices, il pourra ainsi retrouver ses vrais parents. C'est en effet sous l'impulsion de Nobuyo, stérile, que Shota avait été enlevé.

Shota vient rendre visite à Osamu à sa sortie de l'école. L'accueil est chaleureux et Shota accepte de passer la nuit avec Osamu même si cela contrevient au règlement de l'école. Osamu ne nie pas qu'il avait l'intention d'abandonner Shota à hôpital pour fuir avant que la police ne les arrête. Shota ne lui en veut pas. Le matin,le bus ramène Shota à l'école. Osamu le poursuit pour un au revoir plus chaleureux. Shota le regarde et prononce enfin en silence et pour lui-même, pa-pa.

Juri est revenue chez sa mère toujours cyclothymique qui, ayant elle-même reçu des coups, va sans doute lui en administrer de nouveau. Juri part jouer seule sur le balcon, attendant toujours que son "frère" vienne la chercher.

Kore-Eda explore une nouvelle fois comment sont perçues au présent les déchirures du passé. Il décrit comment deux enfants, enlevés à leur famille, trouvent leur chemin. Shota et Juri se défont des liens du sang mais aussi, dans leur famille adoptive, d'une amoralité chaleureuse mais corruptrice.

Shota et Juri comme Keita ou Ryusei dans Tel père tel fils sont élevés dans une famille qui n'est pas celle de leurs parents biologiques. Comme les enfants de Nobody knows, ils se constituent une façon d'être en dehors des injonctions des adultes soumis à une pression sociale trop forte. Tout est pourtant extrêmement chaleureux dans la première partie du film qui décrit une vie de famille assez particulière où il est assumé d'enlever Juri pour son bien; où le vol est admis pour compléter les maigres revenus de la famille mais où les liens entre les différents membres de cette famille apparaissent de plus en plus mystérieux.

Le spectateur en sait alors un peu moins que les personnages mais assiste avec eux à leur prise de conscience. L'enlèvement de Juri laisse pressentir qu'il pourrait en avoir été de même pour Shota. Lorsque Shota trouve refuge dans une voiture abandonnée, Osama vient lui rappeler et nous apprendre qu'il a été trouvé dans une voiture semblable. Cette adoption n'est pourtant pas totalement assumée par Shota qui refuse d'appeler Osama papa

La seconde partie débute avec le vol raté de Juri et la prise de conscience progressive de Shota que ce qu'il accomplissait innocemment auparavant est peut-être mal. La rencontre avec le quincaillier qui reproche à Shota d'entraîner sa petite sœur à voler tout en lui offrant plus de friandises qu'elle n'en avait dérobée, est l'occasion de la première interrogation de Shota. Ce que lui a enseigné son père, parce que c'est la seule chose qu'il sache bien faire, est-ce bien de l'enseigner à sa petite sœur ? C'est le grain de sable qui vient enrayer la mécanique de la reproduction. Shota interroge alors la morale qu'il suivait tranquillement: "on peut voler dans un magasin puisque cela n'appartient encore à personne" ou "on peut voler dans un magasin tant qu'il ne fait pas faillite".

La troisième partie est entamée à la mort de Hatsue qui précipice la prise de conscience de Shota et son arrestation plus ou moins souhaitée. Il faudra attendre le dénouement pour que Nobuyo mette fin au mensonge et lui apprend, en même temps qu'à nous, qu'il a été enlevé dans une voiture de marque dans un quartier chic. Shota ne semble pourtant pas pressé de retrouver ses parents biologiques. C'est vers Osama qu'il revient pour une partie de pêche sur la rivière Sumida et l'explication entre eux est des plus franches. Elle n'est pas très glorieuse pour Osama qui lui avoue avoir abandonné Shota à l'hôpital. Mais elle permet aussi à Shota d'avouer qu'il souhaitait se faire arrêter tant il ne parvenait pas à trouver la réponse à ses questions.

Cette franchise, celle qui, en mineur, avait déjà eu lieu dans la mer avec l''éducation sexuelle sur la puberté, permet enfin de sortir du cercle vicié du mensonge qui corrodait la famille artificielle. Cette étape nouvelle permet enfin à Shota de prononcer, même silencieusement et pour lui-même, le nom de "papa".

Ont ainsi été révélés les secrets de chacun mais aussi leur humanité profonde et les liens forts qui se sont créés avec le temps dans cette famille amorale mais bienveillante. Elle est le lieu suffisamment chaleureux pour que se dégage désormais une conduite de vie pour chacun des enfants. Shota ira à l'école et sa passion livresque pour la pêche s'étendra à bien d'autres domaines. Juri sera plus forte vis à vis de sa mère avec l'espoir de voir, du haut de son balcon, revenir un jour son "grand frère".

Jean-Luc Lacuve, le 19 décembre 2018.