En plein champ, un homme sur une mobylette parcourt de long en large et en diagonale des chemins aux pieds de petites montagnes. Il s'arrête devant une urne sous un arbre. A pied, il arrive devant le porche d'une maison. La maison est abandonnée. L'homme se dirige vers l'étang tout proche, visiblement malheureux. Il prend une barque. Il est appelé hors champ du nom de Witt par une voix féminine. Il ne voit qu'une couvée de canards filant sur l'eau. Il tombe à la renverse.
Witt revient à la surface, beaucoup plus jeune, tenant un canard tout mouillé par les pattes qu'il présente à Koi, une jeune fille de son âge. Koi ne sait pas nager et préfère que Witt la ramène chez lui, où le jeune homme est venu la présenter à ses parents.
Witt vit ici avec ses frères depuis son enfance avec pour seule voisine, une femme originale. Koi est peu encline à la vie rurale mais finit par se rendre à l'amour de Witt. Witt, vendeur d'assurances, lui demande d'assister à la cérémonie le récompensant comme meilleur vendeur à Bangkok ces prochains jours. Elle accepte et lui demande de faire une halte sur la tombe de son grand-père.
Witt et Koi vont au cimetière en mobylette. Ils prient devant la tombe du grand-père. Koi demande à Witt de lui faire une promesse. Celui-ci la regarde et pleure. A la sortie du cimetière, une femme et ses deux enfants rentrent en ville en bus.
Koi est institutrice et fait lire à ses jeunes élèves un poème sur la promesse amoureuse. Chez elle, elle élève seule une petite fille et un garçon plus âgé qui rêve de faire une école d'art à Bangkok.
Les allers retours de la mobylette, durant dix bonnes minutes qui ouvrent le film inquiètent. Est-ce cela l'éternité promise ? Est-ce cette lenteur ? Est-ce ce masque de douleur qui défigure le visage de Witt âgé ? Il s'agit pourtant là probablement d'une fausse piste.
Au trois-quarts du film, comme chez Apichatpong Weerasethakul, le sens bascule et révèle que l'éternité promise n'a justement pas eu lieu, que l'éternelle beauté promise, s'est transformée en tristesse du quotidien. Basculement magnifique que cette arrivée devant la façade d'un cimetière bien trop belle pour être honnête. Dans cette morne campagne (ni trop laide, ni trop belle), surgit en effet devant Witt et Koi, venus en mobylette, une superbe façade fraîchement décorée de tigres et de fleurs. Les deux fiancés s'agenouillent devant la tombe du grand-père pour prier. Koi, saisie pour la première fois en gros plan, demande à Witt, pris lui aussi en gros plan de lui faire une promesse. Au lieu de celle-ci, Witt, pleure.
Le film bascule ainsi sur ce visage entre la jeunesse et l'âge adulte. Ce sont en effet trois personnes qui sortent du cimetière. On comprend progressivement qu'il s'agit de Koi, plus âgée et de ses deux enfants. La promesse qu'attendait Koi, c'est certainement celle qu'elle fait réciter à ses élèves et que Witt a dû lui faire au cimetière. L'amour éternel n'a pu avoir lieu ou s'est brisé sur la mort. Witt est-il mort de mort naturelle ? S'est-il suicidé ? La première séquence figure-t-elle son suicide ou n'est-elle que l'apparition de Witt en fantôme revenu sur les lieux du début de son amour avec Koi ?
Eternity constate la douleur sans la dramatiser comme il exalte ces moments de l'amour naissant dans de grands plans séquences, très dialogués, où les personnages, filmés d'assez loin ne cessent de bouger dans le cadre. La vie, l'amour sont là et même l'humour : les canards qui envahissent les couches sous les moustiquaires, la voisine bisexuelle. Seule la mort pouvait interrompre la réunion de ces deux êtres et se donner l'éternité alors que la vie est ici ressentie dans ces instants les plus simples. Ceux qui avaient convaincu Koi de rester à la campagne.
Jean-Luc Lacuve le 15/03/2011.
Avec : Rungkamjad Wanlop (Wit), Udomlertlak Namfon (Koi), Amnuay Prapas (Wit père), Jaturanrasmee Pattraporn (Koi mère). 2h05.