Le vent souffle dans la cour d'honneur

2013

1967. Images d'archives en noir et blanc d'Avignon, lieu de retrouvailles de Jean Fléchet (CNDP, 1967). Le public arrive par le train et envahit la ville. Sur Scène Maurice Béjart répète sur une musique de Pierre Henry.

 

Hiver 2012. Simon McBurney rend hommage au festival d'Avignon de ne pas être, comme tant d'autres festivals de théâtre, un supermarché se contentant de vendre un kilo de Bob Wilson et trois kilos de Mnouchkine.

Londres. Simon McBurney répète Le maitre et Marguerite de Boulgakov. Il explique aux acteurs que la quantité d'informations fournie dans le monde double de plus en plus vite. Les objets ont accès à l'information et bientôt les robots seront seuls capables de l'ingurgiter. Pour l'homme ce sera un monde sans ombre et donc sans lumière, sans plus bien ou mal.

Berlin. Thomas Ostermeier répète Un ennemi du peuple d'Ibsen. Sa première venue à Avignon en 2004 fut contemporaine pour lui de la fin de La baraque de Berlin. Il rêvait de la détruire sur la scène d'Avignon. Avignon fut un sommet. Il prit ensuite la direction de la Schönbrunn. Nicolas Klotz lui demande si fin 90-début 2000, le festival ne fut pas sauvé par une jeune génération de metteurs en scène et une nouvelle génaration de public venu aussi pour écouter philosophes et sociologues. Thomas Ostermeier est surtout attentif à ne pas se laisser prendre par la majesté du lieu et de se corrompre en reprenant de grands textes. Savoir que l'on fait parti de l'establishment que l'on est chef d'entreprise et croire que l'on a du courage.

 

Cesena. Romeo Castellucci répète The four seasons restaurant. Pour Catelluci, choisir c'est faire acte politique. Trop souvent, on est obligé de voir des images qu'on ne veut pas voir. Le système d'abonnement c'est le cimetière du théâtre. Faire un théâtre pour l'élite est devenu l'accusation favorite de la droite, comme une excuse pour censurer la nouveauté. Il défend la notion de petit acte déclencheur. Ainsi, dans la pièce, un prêtre se couvre le visage d'un voile noir. En cachant le visage, l'image, on coupe le contrat social. La fuite de l'image comme acte politique, pas une négation, une fuite, le visage métaphore de l'image mais l'image n'est pas l'être, la chose. Castellucci commence son spectacle en projetant une vidéo avec des informations de la NASA sur un trou noir. Grâce à ce trou noir, au vent interstellaire, on peut oser la poésie, on peut commencer de parler

Cartons : Si on est dans la métaphysique c'est depuis la nuit des temps. Si on est dans l'Histoire, c'est à venir. Si on est dans l'intime elle a déjà eu lieu.

 

Févier 2012 Frédéric Mitterrand ministre de la culture. Avignon est l'emblème de la France, "rassembler et unir" disait Vilar. Devant un feu de camp, la nuit sur la scène d'Avignon alors déserte, Vincent Beaudriller et Hortense Archambault exprime leur joie d'avoir obtenu au bout de dix ans d'efforts, une salle de répétition, La FabricA, à la mesure de la cour d'honneur. Qui plus est, les acteurs pourront être résidence dans un cloitre à proximité. La FabricA est à 900 mètres des remparts, 2000 mètres de la cour d'honneur, installée dans les quartiers populaires de Montclair et Champfleury où le public ne va que rarement au théâtre.


Mai 2012. Le groupe F inaugure les travaux de la FabricA. Les adolescents aiment les jeux de lumière, la bonne impression donnée par le quartier, l'histoire fantastique mais volume sonore trop important et trop de bruits avec les chiens qui aboient.

 

Arthur Nauzyciel imagine La Mouette dans la cour d'honneur. Il pensait d'abord qu'il fallait fermer Avignon, devenu trop institutionnel pour le rouvrir dans quinze ans quand il serait devenu moins intimidant et que l'on pourrait changer le regard et les habitudes. Il a monté Jan Karski (Mon nom est une fiction) de Yannick Haenel à l'été été 2011. Cela l'a construit comme homme, il se pense comme artiste avec La mouette. Qu'est ce qu'on fait d'une vie d'homme ? La mouette y répond : entre la naissance et la mort, l'important est le spirituel, l'art, s'échapper dans l'imaginaire et l'amour.

Extraits de La mouette à l'été 2012 puis Boris Charmatz chorégraphe, lors de conférence de presse de l'été 2011 qui présente Enfant.

Retour à 67. Dans la cour d'honneur projection de La chinoise de Jean-Luc Godard en avant-première mondiale. Off, Godard s'exprime sur le fait que l'on parle des vieux films de Chaplin et jamais des vieux romans de Balzac, sans doute parce qu'une copie, à peine projetée est marquée par des rayures. Il voudrait supprimer la distribution comme le fait Edouard Leclerc dans ses magasins. Le film présenté au public sans intermédiaire ne ferait ainsi pas l'objet d'un commerce. Godard déplore que sur 1 000 films faits par année dans le monde, le public n'en voit que sept ou huit.

Eté 2012. Christophe Honoré s'exprime à propos de sa pièce, Nouveau roman, donnée dans la cour du lycée saint Joseph. Honoré rend grâce au Nouveau roman et à la Nouvelle vague d'avoir interrogé la forme. Un artiste n'est pas un philosophe, quelqu'un qui a quelque chose à dire sur les grands sujets, qui serait touché par la grâce. Un artiste a à trouver sa propre forme. Si elle lui ressemble, elle est nouvelle puisque chaque individu est différent. L'après-guerre a démontré l'imposture du sujet. Nathalie Sarraute, juive, dénoncée pendant la guerre passe sa vie à raconter des histoires de fauteuils, d'échanges d'appartements. Elle n'invente pas des histoires sur une juive pendant la guerre

Thomas Ostermeier répétition générale d'Un ennemi du peuple d'Ibsen été 2012. Des cartons reprennent les surtitres (souvent très politiques : civilisation état de mort clinique) de la pièce jouée en allemand. Alain Badiou commente le spectacle qu'il trouve inscrit dans une tradition brechtienne poétisée. La division scène , salle fonctionne et le texte sembel écrit la veille avec un renvoi dos à dos des "piliers de la société" de droite et de la gauche mollassonne. C'est un théâtre direct, exposé et attentif aux détails. Une grande réussite.

Jean Vilar lors de l'été 67 présente le nécessaire passage de sa pièce Richard II en 47 à un répertoire contemporain. Vincent Beaudriller et Hortense Archambault ont repris ses principes : défendre la création et l'ouvrir au plus grand nombre en cherchant le soutien du secteur public, l'état et la ville. Vilar avait l'intuition de l'aspiration au changement. En présentant Pierre Henry et Béjart, La chinoise en avant première mondiale il proposait l'art le plus audacieux, le plus libre. Il eut le courage de casser un festival qui marchait bien et d'unir esthétique, public et politique. Jean-Jacques Lebel en 68, accusera Vilar de ne pas aller assez loin dans la libéralisation du désir.

Nicolas Bouchard dit être venue Didier-Georges Gabily été 1993, des cercueils de zinc et Enfonçures rendre sensible une pensée donc tout le corps est impliqué 2005 théâtre de texte ou pas de texte : gibiers du temps, violences, la pièce commence par le milieu l'individu n'est pas donné immédiatement, c'est une construction collective. Simon McBurney présente Le maitre et Marguerite de Boulgakov à l'été 2012. Nicolas Steman présente Les contrats du commerçant d'Elfriede Jalinek, été 2012 : échapper au monde de la valeur empoisonné par la langue des affaires, inventer un rituel de décontamination.

Aurélie Filippetti défend la politique culturelle, devenu une sorte de gros mot.

Valérie Dréville se souvient de son rôle de Doña Sept-Epées dans Le Soulier de satin monté par Vitez en 1987. Elle entrait sur scène au petit matin, elle voyait plus de la moitié du public, épuisé qui dormait. Cette aventure, vécue avec ferveur, c'est comme un rêve que l'on raconte. Elle raconte des scènes mais la part qui crée l'événement n'est pas dite.

Dieudonné Niangouna et Stanislas Nordey surtout veulent replacer la figure de l'acteur au centre par rapport au metteur en scène ; en faire des solistes solidaires. L'acteur s'élève et cela suffit; il ne faut pas le charger. Le décor aussi transporte. Donner la force à l'acteur en le plaçant au bon endroit. Dieudonné Niangouna voudrait garder les acteurs quinze jours avant la première dans la carrière. "Un bon théâtre ne serait-il pas un rêve qui emmerderait mes propres rêves ? s'interroge Stanislas Nordey. Qu'est ce qui vaut la peine d'être dit à 2 000 personnes ensemble ?"

Sous-titré Les utopies contemporaines du Festival d'Avignon, Le vent souffle dans la cour d'honneur rend hommage au travail de Vincent Beaudriller et Hortense Archambault qui ont su retrouver l'esprit de Jean Vilar : défendre la création et l'ouvrir au plus grand nombre en cherchant le soutien du secteur public, l'état et la ville. Ils ont su casser l'image d'un festival ronronnant pour prendre le risque d'inviter une nouvelle génération de metteurs en scène : Romeo Castellucci, Thomas Ostermeier, Simon McBurney, Arthur Nauzyciel, Christophe Honoré, Dieudonné Niangouna ou Stanislas Nordey. Chacun d'eux fait part de sa réflexion sur le rôle du spectacle vivant dans la société contemporaine.

Le film intègre images d'archives d'Avignon, lieu de retrouvailles de Jean Fléchet (CNDP, 1967) et donne la parole au public, figure célèbre comme Alain Badiou et autres secteurs enthousiastes ou peu habitués comme ceux des quartiers populaires où est implantée la FabricA. Il présente aussi quelques extraits des spectacles montés en 2011 et 2012 se clôturant par un dialogue entre Dieudonné Niangouna et Stanislas Nordey, artistes associés de l'édition de l'été 2013.

Jean-Luc Lacuve le 14/07/2013

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Coréalisé avec Elisabeth Perceval. Avec : Romeo Castellucci, Thomas Ostermeier, Simon McBurney, Arthur Nauzyciel, Christophe Honoré, Vincent Beaudriller et Hortense Archambault, Frédéric Mitterrand et Aurélie Filippetti, Valérie Dréville, Dieudonné Niangouna, Stanislas Nordey (Eux-mêmes). 1h35.

Genre : Documentaire sur l'art