Des images d'archives de la propagande roumaine filmant la population d'Odessa tranquille applaudissant à la destruction de l'étoile rouge dressée au sommet de l'église par les Russes
Ioana Iacob, une jeune actrice, se présente ainsi que toute l'équipe du film qui tourne dans le Musée d'histoire de Bucarest. Elle joue le rôle de Mariana Marin, une jeune metteuse en scène, qui porte le même nom qu'une célèbre poétesse roumaine. Mais bien entendu, si elle l'admire, elle ne partage ni tout son talent ni toutes ses idées.
Une assistante vient lui dire que les acteurs sont arrivés. Le film commence. Il va s'agir pour des acteurs non professionnels que Mariana Marin a recrutés de rejouer dans un spectacle de rue un événement historique. Celui qui a conduit en 1941, l’armée roumaine à massacrer 20 000 Juifs à Odessa sous les ordres du Maréchal Antonescu. Celui-ci dans le sillage de l'armée allemande avait repoussé l'envahisseur russe au-delà des frontières de la grande Roumanie d'autrefois. Mais les lourdes pertes et un attentat du quartier général avaient conduit le maréchal à exécuter les réfugiés juifs exilés à Odessa.
Mariana fait jouer deux retraités venus pour passer le temps et gagner un peu d'argent. le mari n'est pas très convainquant en homme terrorisé alors que sa femme joue un peu mieux les supplications, s'inspirant de celles d'Elena Ceaușescu, lors de son procès et de son exécution le 25 décembre 1989. Les costumes sont choisis avec soin dans l'entrepôt et une première répétition de la scène de bataille pour la conquête d'Odessa a lieu en extérieur. Les volontaires pour jouer les allemands alliés aux roumains sont plus nombreux que ceux qui devront jouer les russes.
Chez elle, Mariana communique par Skype avec son amant et lui lit longuement un livre racontant comment des juifs ont été massacrés devant leurs enfants.
Le lendemain, lorsque l'orage menace, Mariana s'oppose au technicien des batailles qui veut un réalisme, simplement illustratif et hors de propos : si c'était de vraies armes, tous seraient déjà morts. Mariana veut faire une vraie mise en scène pour toucher le public, le faire réfléchir et éventuellement changer d'avis.
Survient alors Constantin Movilă, le responsable des subventions culturelles de la mairie. Il tente d'amoindrir la portée politique du spectacle avec des arguments successifs : ne pas traumatiser les enfants ; il ne faudrait pas faire oublier les crimes plus grands du communisme; ni les crimes du présent (Daesh) ; il la culpabilise d'être une artiste à l'abri des subventions qui refuse le spectacle qui divertit le public qui ne demande pas à être mis mal à l'aise.
Seul son ami, Traian, lui vient en aide, lui suggérant de faire semblant, de se plier à la censure pendant la répétition pour mieux jouer l'ensemble du spectacle le jour de la représentation publique. Mariana va chercher dans les livres des faits précis qui s'opposent aux idées toutes faites et réconciliatrices auxquelles la foule est prête à se soumettre. Une telle attitude n'est pas anodine puisque, lors du spectacle, alors qu'un juif sort pour s'échapper, les spectateurs le ramènent dans la troupe qui s'en va pour être brulé dans la grange.
Une jeune artiste se bat dans la Roumanie d’aujourd’hui pour dénoncer à travers un spectacle grand public la participation, toujours déniée, de son pays à l’Holocauste. Mariana Marin veut faire entendre une voix dissonante face à l’Histoire officielle, brodée de figures héroïques nationales, qui se déploie des sphères politiques à l’homme de la rue en discours stéréotypés, en phrases toutes faites, en citations ressassées qui fonctionnent comme autant de prêt-à-penser qui bâtissent «l’identité nationale roumaine».
«Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des Barbares » est une phrase prononcée par Mihai Antonescu au Conseil des Ministres en juillet 1941, dans une intervention lors de laquelle il proposait "l’affranchissement ethnique" et la purification de notre peuple", tout en justifiant idéologiquement le massacre de centaines de milliers de Juifs et de Tsiganes par l’armée roumaine à Odessa à l’automne de la même année par le Maréchal Antonescu, figure de l’homme fort, providentiel
Le film propose une mise en abyme entre théâtre, cinéma, images d'archives et musée (il se déroule dans le musée national militaire, le lieu de mémoire de la culture la plus nationaliste qui soit en Roumanie). C'est un film qui parle du poids du passé dans le présent et surtout de l'occultation du passé. Mais au delà de cette question historique cruciale, il parle plus généralement de la crise actuelle en Roumanie (et partout) autour de la question de la vérité : il évoque les enjeux corrosifs de l'idée de vérité relative. C'est en effet ce que le chargé de mission de la municipalité, qui distribue les subventions, ne cesse d'exiger de la metteuse en scène : "Puisque la municipalité vous subventionne, alors vous devez relativiser le passé". Il affirme ainsi "380 000 [Juifs tués par les Roumains], vous disiez ? Pile-poil ? Ce n’est pas trop ? Je savais qu’il y en avait eu moins. Vous avez peut-être compté à tort et à travers. Deux là, deux ici, deux là-bas…" Il voudrait un spectacle sur les crimes plus grands des autres, les communistes autrefois, Daesh aujourd'hui. Cette martyrologie compétitive (Michael Shafir) est une stratégie quasi-négationniste pour éviter les discussions sur ce sujet. Au-delà du fait, toujours grotesque, de comparer les tas de cadavres, dans la plupart des cas, c’est une stratégie pour éviter la discussion.
Le spectateur mis en position de s'interroger : quel est le sens des images d'archive initiales ? Qui est vraiment, Mariana Marin, qui semble avoir des rapports souvent difficiles avec les hommes. Ses figurants qui sont tout prêt de se révolter contre l'aspect anti-roumain auquel on leur demande participer ; avec Constantin Movilă qui tente d'amoindrir la portée politique du spectacle ; avec le conseiller technique de la reconstitution qui veut s'en tenir à un réalisme qui ne porte plus aucun sens ; avec son amant aviateur qui n'a guère envie d'assumer une paternité possible. Mariana semble assumer tranquillement sa solitude dans les trois séquences où elle se ressource dans sa baignoire, seule mais déterminée.
sources :