Donya, réfugiée afghane de 21 ans, ancienne traductrice pour l’armée américaine et expatriée au retour au pouvoir des talibans, vit désormais à Fremont, dans la banlieue de San Francisco. Elle rejoint quotidiennement cette ville pour travailler dans une petite fabrique familiale de fortune cookies (biscuits à message) tenue par un couple d’immigrés chinois. Le soir, elle dîne seule dans un petit restaurant de quartier où elle regarde un soap-opéra turc, avant de retrouver son studio, où elle peine à s’endormir. Elle souhaite ainsi obtenir un rendez-vous avec un psychiatre afin d’obtenir des somnifères. L'occasion se présente quand l’un de ses voisins lui laisse sa place. Mais le psychiatre, le docteur Anthony, ne l’entend pas ainsi, se réfugiant derrière le sérieux de sa pratique professionnelle. Donya fait néanmoins preuve de suffisamment de malice pour déjouer ses préventions. Il finit par se contenter de parler de lui et fournit à Donya ses précieux médicaments.
La routine de Donya est soudain bouleversée lorsque, après le décès brutal d'une employée, son patron lui confie la rédaction des messages de prédictions. Son désir s’éveille et elle décide d’envoyer un message spécial dans un des biscuits en laissant le destin agir. La femme de son patron découvre l'initiative de Donya et s'en offusque auprès de son mari qui souhaite nénmoins continuer d’empoyer Donya, lui trouvant le potentiel poétique d'une grande réactrice. Sa femme se venge en d’une part, faisant cher payer une tasse de café à Donya et surtout en l’envoyant à un rendez-vous galant aupres « du cerf « qui s'avère être un canular. En chemin, Donya s'arrête dans une station service où le jeune garagiste se montre particulièrement prévenant. Sur le chemin du retour, Donya s'arrête pour voir si cette relation pourrait être durable.
Fremont renoue avec le réalisme poètique des années 30 en France ou celui, moins noir, plus laconique et plus ironique d'Aki Kaurismaki dont il revendique la filiation.
Babak Jalali, cinéaste iranien travaillant à Londres, a été touché par le sort fait aux immigrés afghans en Iran où il sont souvent méprisés. Ainsi décide-t-il, depuis son second film, de prendre avec cette communauté le contrepied du misérabilisme dans lequel on enferme souvent les déracinés. L’exil aux Etats-Unis est source de souffrance pour Donya qui peine à s'endormir. Malgré sa mélancolie et sa solitude (les soirées devant le soap turc à la télévision du bar), elle fait preuve de beaucoup de malice et d'à-propos pour déjouer la fatuité du psychiatre, et ne cesse de montrer énergie, courage et créativité. Les autres personnages secondaires sont aussi très bien dessinés : les amies au travail, le voisin afghan machiste, le couple de propriétaires, le paternaliste patron du bar, le beau garagiste, humble et patient. Au total, le film est ainsi constamment surprenant et plein d'humour avec, pour climax, un cerf aussi gaguesque que poétique.
Jean-Luc Lacuve, le 10 septembre 2023.