Chine, IX siècle. La dynastie Tang, fondatrice d’un âge d’or de l’histoire et de la puissance chinoise depuis plus d'un siècle, a créée des régions administratives et militaires pour se protéger des menaces extérieures et canaliser les rébellions internes. Mais les puissants gouverneurs des provinces font bientôt vaciller le pouvoir impérial. La province la plus puissante est celle de Weibo.
La princesse Jiaxin, nonne taoïste, veille aux intérêts supérieurs de l'empire. Elle est aidée par son experte en arts martiaux, Nie Yinniang, qu'elle charge ainsi d'assassiner un gouverneur arrivé au pouvoir en étant l'assassin de son père et de son frère. La seconde mission de Yinniang est d'assassiner le gouverneur rebelle d'une autre province. Mais après avoir observé ce gouverneur jouer délicatement avec ses fils et enlacer doucement le plus jeune dans son sommeil, elle renonce à le tuer. Elle s'en excuse auprès de Jiacheng qui lui reproche d'avoir l'âme moins inflexible que son épée. Elle la charge néanmoins d'une mission plus délicate encore : assassiner le gouverneur de la province de Weibo qui n'est autre que son cousin, Tian Ji'an.
La princesse nonne Jiaxin accompagne ainsi Yinniang chez sa mère lui indiquant que l'éducation qu'elle avait promise de lui donner est maintenant terminée. Yinniang en veut à sa mère de l'avoir ainsi abandonnée de longues années. Sa mère lui remet alors la moitié d'un bijou de jade et lui rappelle leur triste histoire. Tante paternelle de l'actuelle gouverneur, elle fut la demoiselle d'honneur de la princesse Jia-cheng, fille de l'empereur Daizong lorsque celle-ci avait accepté d'épouser Tian Xu, précédent gouverneur militaire de Weibo, afin de l'inciter à rester fidèle à l'empire. Jia-cheng avait adopté Tian-Ji'an, qui était le fils d'une concubine de son mari, et désirait le marier à Yinniang car elle appréciait plus que tout ces deux enfants. Tian Xu en avait décidé autrement et marié son fils avec Lady Yuan, la fille du général Yi Yuan, chef de la province voisine de Mingzhou afin de faire de cette province une alliée. Dans sa tristesse, Jia-cheng avait offert à Tian-Ji'an et Yinniang chacun la moitié du bijou de jade qu'elle avait elle-même reçu en gage de sa rupture avec la cour impériale pour son mariage arrangé. Souvent, elle chantait la complainte de l'oiseau bleu, muet à force de solitude, qui, lorsqu’on lui présenta l’image de son reflet, chanta son désarroi jusqu’à trépas. Ainsi mourut-elle peu de temps après cette décision appliquée à Yinniang. Pour la protéger de la colère de la concubine de Tian-Ji'an, les parents de Yinniang la confièrent à la sœur jumelle de Jiacheng, la princesse nonne taoïste, Jiaxin qui en fit un guerrière accomplie. Yinniang pleure sur son triste destin et même le bain splendide qu'on lui prépare ne la tire pas de sa mélancolie.
Tian Ji'an écoute ses conseillers émettre divers avis sur une éventuelle provocation vis à vis de l'empire. Lorsque Tian Xing ose prétendre qu'il serait dangereux de provoquer sciemment la colère de l'empereur, Tian-Ji'an se met en colère et le condamne à l'exil. Le soir, il trouve du réconfort chez Huji, sa concubine favorite. Yinniang les surprend dans leurs tendres confidences et s'avance, sans arme, vers son cousin. Celui-ci, surpris, attaque cet intrus mais Yinniang est bien plus vive et même lorsqu'il la rattrape sur le toit, Tian-Ji'an a le dessous. En rentrant dans la chambre, il voit le bijou de jade que lui a laissé sa cousine. Il comprend son identité et sait qu'il sera bientôt tué par elle.
Le lendemain, il convoque Nie Feng, son prévôt, père de Yinniang afin de conduire Tian Xing en exil, aux confins de l'empire. Il lui recommande la plus grande prudence : le dernier conseiller qu'il a ainsi exilé est tombé dans une embuscade et est mort enterré vivant. La première concubine a des doutes sur les règles de Huji et l'un de ses conseillers lui confirme qu'elle les simule avec du sang de poulet. Sur ses ordres, ce même conseiller va ensuite consulter le sorcier alchimiste Kong Konger afin de rattraper le cortège de Tian Xing. Le cortège des hommes en noir ainsi missionnés a vite fait de rejoindre la troupe de soldats du gouverneur, de les décimer, de blesser le prévôt d'un flèche et de commencer à enterrer vivant Tian Xing. C'est alors que survient, courageusement, un polisseur de miroirs cherchant de l'eau pure dans la rivière. Armé de son seul bâton, il parvient à perturber la tache des hommes en noir. Sur le point d'être capturé, il est sauvé par Yinniang qui tue les soldats de la première concubine. Elle ramène son père blessé dans le village que connait bien le polisseur de miroirs.
Au palais du gouverneur, Kong Konger jette un maléfice sur une figurine de papier représentant la concubine Huji. Lorsque celle-ci rentre dormir avec ses compagnes, elle est indisposée par une fumée et se repose sur un pilier d'où sort bientôt une épaisse fumée qui la tuerait si n'intervenait pas Yinniang. Interprétant mal le sens de son intervention ,Tian-Ji'an la provoque au combat et perd. Il renonce à lancer son armée contre elle quand Yinniang lui apprend que Huji est enceinte. Le gouverneur comprend alors que seule sa première concubine a pu fomenter cet empoisonnement gazeux. De colère, il menace de la tuer mais son jeune fils protège sa mère et il doit se contenter de briser quelques pots de fleurs. En revanche, Kong Konger est exécuté de plusieurs flèches.
Dans le bois de bouleaux, Yinniang affronte une mystérieuse guerrière au masque d'or qui n'est autre que la première concubine venue achever elle-même ce que ses hommes en noir n'avaient pu faire. Les deux femmes arrêtent le combat assez vite : l'une voyant son masque se scinder en deux et l'autre étant blessée au dos. C'est le polisseur de miroir qui se fait un plaisir de soigner le dos de Yinniang. Celle-ci se rend alors chez la princesse nonne Jiaxin et lui avoue qu'elle a renoncé à tuer son cousin. Elle considére qu'il s'agit là d'une mauvaise stratégie : régnera alors le prince héritier qui prendra ses ordres auprès de la première concubine, hostile à l'empereur. Jiaxin, en colère d'être désavouée une seconde fois par sa disciple, la combat. Yinniang d'un coup de poignard lacère son costume lui montrant sa supériorité.
Yinniang rejoint alors le village où son père se repose à la plus grande joie du polisseur de miroir, heureux de retrouver celle qu'il aime et de l'accompagner au palais du gouverneur.
The Assassin est inspiré d'un court récit de la fin du 9e siècle écrit par Pei Xing intitulé "Nie Yinniang", du nom de son héroïne, et qui est le titre original du film. L'intrigue est ici très ramassée demandant au spectateur d'en découvrir le sens pour mieux apprécier la splendeur du cadre.
Une intrigue subtilement complexe
Une grande partie des rapports entre personnages est racontée par la mère de l'héroïne lorsqu'elle lui remet le bijou de jade. L'intrigue laisse cependant peu explicite le rôle de la première concubine du gouverneur. Celle-ci, profitant du caractère ombrageux de son mari, cherche à le pousser la révolte contre l'empire. Elle utilise la magie noire et vient tenter de poursuivre la mission inaboutie de ses hommes pour tuer le plus sage conseiller de son mari. Par ailleurs jalouse de son pouvoir, elle n'hésite pas demander à son alchimiste de tuer sa rivale. Ce beau rôle de méchante contre laquelle se heurte Yinniang est contrebalancé par le rôle de la princesse nonne. La hauteur de vue dont se targue celle-ci n'est pourtant pas garante d'efficacité politique : assassiner Tian Ji'an, l'ombrageux gouverneur de la province de Weibo, aboutirait au règne du prince héritier qui prendra ses ordres auprès de la première concubine, hostile à l'empire.
Il s'agit donc bien d'un parcours initiatique que doit accomplir Yinniang pour trouver sa propre voie. Elle sonde ainsi son cœur à la recherche d'une vérité qui lui fait refuser de tuer immédiatement son cousin au nom de l'amour qu'elle a sans doute encore pour lui. Puis, chemin faisant, elle ne semble pas insensible aux talents du polisseur de miroir, ce qui lui ouvre un autre avenir dont rendent comptent les plans de la fin, si apaisés.
Scruter pour découvrir la vérité et profiter de la beauté
La mise en scène ne cesse de valoriser les aspects changeants de la vérité du cœur et de la morale. Yinniang scrute, du haut des combles ou cachée derrière des voilages en mouvement, les émotions de ceux qu'elle doit tuer. C'est dans leurs relations aux autres (enfants, confidente) qu'elle découvre leur vraie nature. Ainsi, la princesse nonne, pour éviter ces états d'âmes, lui conseille, de manière aussi efficace que cruelle, de commencer par tuer les proches de ses victimes. Sans aide, la victime sombre dans une colère destructrice. A contrario, suffit-il d'une phrase : "Huji est enceinte" pour que le gouverneur cesse son action machinale et se tourne vers la vraie coupable.
Ce discernement se retrouve dans les courtes scènes de wu xia pian (film de sabre). Ce genre traditionnel et des plus populaires est ici épuré vers l'essentiel : la compréhension de qui domine l'autre pour délivrer un message de mort, d'attente ou de reconnaissance de la valeur guerrière de chacun. Les instants de repos (le bain, le soin de la blessure dans le dos, la chanson de l'oiseau bleu) magnifient les tissus, les boiseries, soieries, et autres matières (jade, bronze, laque). Cet art de vivre chinois est redoublé par son cadre : les bruissements de la nature environnante, les escarpements des montagnes, un buisson perdu au milieu d’une plaine, le petit village des paysans si calme et paisible.
Au sein de la nature immuable, l'homme s'agite souvent pour rien disait Ozu auquel Hou avait rendu hommage dans Le café Lumière (2004). Sans doute est-ce pour cela que l'intrigue est rendue volontairement elliptique. Il n'en demeure pas moins que c'est seulement en scrutant la nature humaine et la nature dans toute sa splendeur que l'on parvient à cet accord avec le monde. The Assassin, où chaque plan est l'attente d'un signe ou la révélation d'un signe, invite, telle une calligraphie alternant les pleins et les vides, à une subtile lecture d'un monde chinois au summum de son raffinement.
Jean-Luc Lacuve, le 13/03/2016