La charnière
1968

Un ouvrier : Je pense que le réalisateur est un incapable. Le réalisateur est un incapable s'il a tenté d'exprimer ce que ressentent les ouvriers. Et je pense plutôt, et je le dis crûment aussi qu'il y a simplement une exploitation des travailleurs de Rhodia par des gens qui, parait-il, luttent contre le capitalisme.

Un ouvrier : Je travaillais avant chez Rhodia, et c'est bien la vie des travailleurs de Rhodia. Congres de saint Brieux, c'est terrible comme ils vivent là bas. La vie actuelle des travailleurs de Rhodia, c'est terrible. Comme ils vivent, c'est terrible mais c'est terrible dans nos lycées aussi.

Un ouvrier : A aucun moment je crois, dans le film, un travailleur n'a soulevé le problème de la discipline dont on est victime à l'intérieur de l'usine. Souvent entendu parler de la température. La chaleur, le bruit sont évoqués mais pas la tension entre le pouvoir disciplinaire détenu par le patron et la tentative d'expression des ouvriers.


Une ouvrière : Et sur la condition des femmes ça n'apparaît pas dans le film. On a parfois à faire à des contremaîtres qui les sifflent. Le travail des femmes là dans votre film. C'est peut-être aussi une lacune. La condition des femmes au travail manque.

Un ouvrier : On parle de la difficulté de la vie des couples. Mais le couple en question il a choisi en totalité le travail et de mettre l'enfant en gardiennage. C'est un choix qu'ils ont fait que les deux travaillent. Ils ne vont pas se plaindre de ce choix..

Un ouvrier : Mais non, ce n'est pas un choix. On est obligé pour gagner sa vie. Ce n'est pas nous qui choisissons, on est orienté dès que l'on naît. Certains, après le film sont venus au syndicat pour adhérer. Si on sait en parler, le film permettra une évolution certaine de la classe ouvrière.

Un ouvrier : on le trouve pessimiste Tout le monde se plaint, pas un n'est content sauf celui qui dit : "On les aura". On a l'impression que c'est des esclaves qui n'ont aucune vie. les problèmes sont bien décrits et puis nos solutions parce qu'on a quand même des solutions, là, elles ne sont pas développées. On parait un peu seul alors qu'il y a un téléphone arabe. Le niveau de vie baisse alors que la productivité augmente, on aurait dû le montrer. Le besoin d'unité n'est pas montré. La généralisation de l'action par rapport aux patrons n'est pas assez exposée pas plus que les idées communistes. Ils mènent des grèves, on ne parle pas des positions idéologiques.

Georges Lièvremont : Pour la première fois, ou une des rares fois, les travailleurs sont apparus sur l'écran. Même s'il y a des aspects incomplets -qui nous semblent manquer- ça pose les problèmes, ça amènera forcement quelqu'un à s'emparer de ce qui manque et à l'expliquer. Pourquoi on ne se retrouve pas ? Moi je crois que, je le dis franchement, Chris est romantique, il a vu les travailleurs, l'organisation syndicale avec romantisme. Il y a ici une absence des organisations syndicales, la préparation de l'action, c'est les heures et les heures de discussion et c'est l'âme de la classe ouvrière cette organisation. C'est pour ça que nos compagnons semblent des mécontents, par faiblesse idéologique.


Chris Marker : On avait quand même constitué une activité parallèle, qui était celle d'un groupe de jeunes militants à qui on mettait entre les mains des caméras, des magnétophones, avec cette hypothèse qui, moi, m'apparaît toujours évidente : c'est que nous, on sera toujours au mieux des explorateurs bien intentionnés, plus ou moins sympathiques, mais de l'extérieur et que, de même que pour sa libération, la représentation et l'expression du cinéma de la classe ouvrière sera son oeuvre elle-même. Et que c'est quand les ouvriers auront entre les mains les appareils audiovisuels qu'ils nous montreront, à nous, les films sur la classe ouvrière, et sur ce qu'est une grève, et l'intérieur d'une usine. Mais on serait même dix mille fois plus malin, et moins romantiques, qu'on serait quand même limités par cette espèce de réalité cinématographique qu'on expérimente tout le temps, qu'on aille chez les pingouins ou chez les ouvriers, qu'évidemment on ne peut exprimer réellement que ce qu'on vit.

Le film que vous souhaitez mes enfants, c'est vous qui le ferez. L'audiovisuel est immédiatement à la disposition de tout le monde sans préparation technique. Pas besoin d'années d'études pour faire de l'audiovisuel. Ce n'est pas comme la langue écrite qui nécessite de longues années d'études. Pas besoin de sortir de l'IDHEC ou de Vaugirard, la preuve les films des groupes Medvedkine qui sont de qualité professionnelle.

Pol Cèbe : Que faire de cette séquence tournée en 68 devant les usines Yema ? Nous allions ajouter à ce film que nous critiquions avec passion parce que nous l'aimions avec passion, pourquoi, comment militer au quotidien. Mais c'est un boulot en plus après huit heures d'usines tant de chose à dire les moyens de les dire une nouvelle arme. Faire des films ce n'est pas seulement filmer, entasser des bobines de pellicule. On n'apprend pas à se servir d'une table de montage, à faire une interview synchrone en quelques heures; nous avons besoin des techniciens du cinéma et nous avons appris des choses. Par exemple que le militantisme n'est pas l'apanage de la classe ouvrière, que des opérateurs, des monteuses, des ingénieurs du son parmi les plus grands sont près à travailler avec nous pour des clopinettes. Ils sont venus et ensemble nous avons fait le film. Avant, ils étaient quelques-uns à penser qu'ils feraient le film pour nous. Avant, nous étions quelques-uns à penser que l'on ferait le film sans eux. Aujourd'hui, nous savons que le cinéma militant ne peut naître que de la collaboration de militants ouvriers et de cinéastes militants.


   

Bande son captée un soir d'avril 2008, écho d'un débat intense après la projection d'A bientôt j'espère

Jean-Luc Lacuve le 04/06/2010

Test du DVD

Montparnasse, février 2006. Format : 1.37. 2DVD-13 films. 45 €

DVD 1 : BESANÇON (2h32)
DVD 2 : SOCHAUX (3h02)

 

 

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Son seul. Enregistré et monté par Antoine Bonfanti avec ajout d'un texte écrit et lu par Pol Cèbe. 0h13.

 
dvd chez Carlotta Films
Genre : Documentaire