Avec le sang des autres
1974

A 500 mètres du château d'Eugène Peugeot, à moins de deux kilomètres du château à Jean-Pierre Peugeot, s'agglutinent les cités misérables bâties à la fin du XIXeme siècle avec l'argent des travailleurs, ceux-ci achetant des parts d'une société immobilière et obtenant le logement par une annexe du contrat de travail.


Au début du XIXeme siècle, Peugeot comptait une dizaine de travailleurs. Maintenant près de 100 000 salariés sont exploités dans plus de 70 entreprises. Le narrateur est allé à l'école privée Peugeot, a fait école d'apprentissage Peugeot, du sport Peugeot et a enterré son père dans un cercueil Peugeot conduit dans un corbillard Peugeot.

La sortie d'usine se fait à 13h15 avec un départ des cars à 13h30. L'ouvrier est chez lui à 14hH30, douze heures après en être parti. Le travail en 3x8 ne lui permet que rarement de voir ses cinq enfants.

Une jeune gauchiste rousse, partie à seize ans de chez ses parents en attendant pleins de trucs de la vie, déclare maintenant ne plus rien attendre. Lorsqu'elle essayait de faire du théâtre et que cela ne marchait pas son père lui disait d'arrêter. Avec son mari, Christophe, c'est un peu pareil. C'est dingue la coupure qu'il y a entre nous, constate-t-elle. Elle a quitté ses parents pour fuir une situation dans laquelle elle se retrouve maintenant jusqu'au cou. Son mari attend le bonheur mais, le bonheur, on n'y croit plus de toutes façons. Par morceau, on y croit, c'est tout. E tu nous demandes ce que c'est le socialisme dit-elle à celui qui l'interroge, on ne sait même plus ce qu'on attend.


Peugeot organise la région autour de l'usine en évitant une dangereuse concentration prolétarienne par la construction de semis de petites citées. La chaîne des grands magasins Ravi, autrefois Ravitaillement Peugeot, approvisionne toujours les ouvriers. Il a fallu la grève des résidents de 1970 pour que des femmes aient le droit d'entrer au foyer des jeunes travailleurs. Pas de centre, pas de liaisons entre les quartiers : tout a été fait pour isoler, pour diviser.

Sur la chaîne, lorsqu'un ouvrier fait une suggestion d'amélioration, deux écrous identiques par exemple, il gagne du temps mais pas longtemps, quinze jours, avant qu'un chronométreur arrive

5h15 du matin : "Au bout, il n'y a rien" dit l'ouvrier. Trois ans d'ajustage, toujours premier à l'école et maintenant le gros doigt difficile à bouger : "j'ai du mal à toucher Dominique le soir, ça me fait mal aux mains" (...) Lorsque tu ne peux pas changer ta fille tellement tu as du mal à défaire les boutons, t'as envie de pleurer." Et puis "La trouille d'aller à la chaîne, la peur que je devienne muet (...) La peur de finir à 45 ans au balais. La moyenne de vie d'un OS est de 59 ans, avant l'âge de la retraite (...) Je lutterai pour que Peugeot ne m'arrache pas la peau des mains" dit-il.

Les chaînes de carrosserie sont certes mieux que chaînes voiture pour femme enceinte mais, se désole l'une d'elles, il faut toujours courir, toujours tout le temps demander la permission pour les toilettes. Elle règle les couvercles de vide-poches, souvent impossible à régler tant ils ont été déformés avant. Et tout le monde se fait engueuler. Dans un couple, souvent, l'un travaille la semaine A et l'autre la semaine B. La seule chose qu'ils se disent c'est :"J'tais fait chauffer les nouilles et cuire le bifteck". Ils ne s'aiment plus l'un et l'autre. Ils se tolèrent, ils se supportent.

La présentation d'un nouveau modèle Peugeot est un événement pour les patrons, mais mai 68 est un événement national pour tout le monde. Sochaux, le 11 juin 68 a connu les affrontements les plus violents : 150 blessés, plusieurs amputations, deux morts, Henri Blanchet, 49 ans, et Pierre Beylot, 24 ans, tués par balles.


Après 68, déclare un syndicalistes les patrons ont compris que les grèves venaient des chaînes finition et emboutissage. Ils ont embauché des immigrés et les ont placés sur les chaînes de manière "rationnelle" : un yougoslave, un français d'origine paysanne, un français de Montbéliard, un militant, un non militant, un marocain, un turc, un espagnol. Les immigrés n'ont pas d'autre choix que d'adhérer au CFT, syndicat maison. Chez Citroën tous els ouvriers sont à la CFT. Les hommes de la milice patronale venus de Sochaux pour investir l'usine de Saint Etienne mais à Sochaux, fin 74, il n'y a plus de délégués CFT.

Le 22 avril 72 lors de la campagne pour le référendum sur l'entrée de l'Angleterre dans le marché commun, René est tabassé par la milice et reste 45 jours à l'hôpital et un an sans travailler. Peugeot l'a licencié au bout de trois mois de maladie. Un an après il n'a pu être réintégré que grâce à l'action de la CGT et de l'inspection du travail.

 

Une descente aux enfers. La chaîne chez Peugeot. Son direct et image simple, assourdissante image. C'est là l'essentiel de l'empire Peugeot : l'exploitation à outrance du travail humain ; et en dehors, cela continue. Ville, magasins, supermarchés, bus, distractions, vacances, logement, la ville elle-même : horizon Peugeot. On parcourt le circuit, tout est ramené à la famille Peugeot.

 

Test du DVD

Montparnasse, février 2006. Format : 1.37. 2DVD-13 films. 45 €

DVD 1 : BESANÇON (2h32)
DVD 2 : SOCHAUX (3h02)

 

 

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de Bruno Muel (Groupe Medvekine Sochaux). 0h56.

Voir : Photogrammes
 
dvd chez Carlotta Films
Genre : Documentaire
Thème : Ouvriers