Villagio Coppola, sur le littoral du Nord de la campanie. Marcello, que tous appelle Marcè sur ce bord plage à l'abandon, est toiletteur pour chiens. Son empathie naturelle avec ces animaux lui permet de venir à bout de l'agressivité d'un pitbull tout comme son goût du travail bien fait l'amène à toiletter longuement de gros chiens mal entretenus par leurs maîtres. Marcè est parfois aidé par Alida, sa fille âgée d'une dizaine d'années, qui vit avec sa mère mais rêve aussi de partir en voyage pour faire de la plongée avec son père. Celui-ci n'a hélas à lui offrir que les fonds marins grisâtres et les poissons sans couleur du rivage proche.
Pour survivre, Marcè deale aussi un peu de coke mais il est mal préparé à ce travail. Simoncino dit Simo, une brute épaisse, ancien boxeur qui terrorise le quartier, lui extorque des doses sans même daigner être discret quand Alida est prèsente. Mais Marcè ne sait pas dire non à Simo qui s'en prend d'ailleurs aussi bien au propriétaire de la salle de jeu, quand il perd trop d'argent, qu'à celui et de la pizzeria du coin. Du coup, ces honnêtes gens envisagent de le faire abattre par un tueur à gages. Mais personne ne sait comment s'y prendre.
Simo oblige Marcè à le conduire, lui et son complice, dans une riche demeure qu'ils dévalisent. Ils ne lui laissent pour sa peine que de maigres babioles et un peu d'argent pour l'essence. Comme ils se sont vantés d'avoir brutalement congelé le caniche des propriétaires, Marcè prend le risque d'y retourner pour sauver le chien. Avec le maigre argent obtenu par ce vol auprès de son voisin Franco, l'acheteur d'or, il ne pourra payer le voyage de ses rêves à sa fille.
Marcè se laisse aussi entraîner par Simo à quémander de la coke auprès de deux dealers expérimentés qui prennent peur en le voyant ainsi accompagné. Ils se font effectivement rudement tabassés. S'en suit une virée en boite où Marcé se contente de rails de coke et d'admirer sans y toucher les jolies hôtesses déshabillées. En rentrant, des motards tirent sur Simo et le blessent à l'épaule. Marcè le ramène chez sa mère. Simo exige qu'il lui retire la balle et qu'il ramasse la poudre de coke que sa mère, excédée, a jeté par terre. Marcè se console en participant à des concours de toilettage où, avec les conseils de sa fille, il parvient péniblement à obtenir un 3e prix.
Marcè se montre enfin incapable d'empêcher l'irréparable : le cambriolage de son voisin exigé par Simo puis le refus de le dénoncer en espérant recevoir sa part du butin. Après un an de prison, où en dépit de ses allégations, Marcè n'a rien appris, il revient en espérant quelques chose de Simo. Velléitaire, il frappe sa moto et subit en représailles un tabassage en règle. Du coup, même la plongée avec sa fille ne lui apporte plus de plaisir. Tentant une ultime fois de reconquérir sa dignité, il tend un piège à Simo espérant le contraindre à lui demander pardon. Peine perdue : la brute va réussir à sortir de la cage dans laquelle Marcè l'a enfermé. Pour sauver sa peau, Marcè est contraint de le tuer. Alors qu'il tente de brûler le corps sur la plage, il croit entendre ses anciens amis et espère que son crime pourra le racheter à leurs yeux. Mais au petit matin dans l'aire de jeu pour enfants circulaire où il ramène Simo, personne n'est là pour le voir. Marcè n'existe définitivement plus.
Le film peut se découper en trois parties : la série des petites humiliations; la trahison de Simo qui conduit Marcè en prison ; la tentative de celui-ci de reconquérir sa dignité. Même si cette dernière partie prête à différentes interprétations, le message est celui de l'impossible espoir lorsque l'on réside dans des lieux où une Camorra dégénérée fait la loi.
Scénario d'une vengeance ou d'une reconquête avortée ?
Même le dossier de presse est ambigu. Son synopsis se conclut par : "Il fait alors l’apprentissage de la trahison et de l’abandon, avant d’imaginer une vengeance féroce..." Ici l'idée de vengeance préméditée prédomine sur celle de reconquête de la dignité et ferait pencher le film vers le triptyque classique d'un film noir au personnage faible : humiliations, trahison, vengeance. En revanche, la retranscription de l'interview de Matteo Garonne se conclue ainsi : "le personnage que je voulais raconter : un homme qui, dans la tentative de se racheter après une vie d’humiliations, a l’illusion de s’être libéré, et avec lui son quartier et peut-être même le monde. Mais ce dernier demeure toujours inchangé, et presque indifférent".
Le thème d'une vengeance, fut-elle ratée, est moins désespérant qu'un dernier et inutile effort pour changer le cours des choses. La tonalité très noire et angoissante du film incite à s'en tenir à cette dernière option ainsi que la littéralité de ce qui est dit par les personnages.
Certes, l'année de prison fait l'objet d'une ellipse. Les adeptes de la vengeance diront que Simo a tiré les leçons de la prison et a décidé d'une vengeance féroce consistant à torturer Simon dans sa cage. Mais rien ne vient le confirmer. Marcè est tout au plus velléitaire (les coups sur la moto) mais semble n'avoir prémédité que d'enfermer Simo dans la cage. Pourquoi alors ne pas le croire quand il dit ne vouloir exiger qu'une demande de pardon de la part de son ancien complice ? Marcè ne semble pas avoir compris que Simo, brute épaisse exercera toujours sans vergogne le droit du plus fort. Et c'est ce qui le perd : sa tentative de casser la cage oblige d'abord Marcé à l'assomer violemment, puis sa ruse d'être évanoui conduit Marcé à descendre le chariot élévateur et ainsi à l'étrangler. Il faut qu'il soit étranglé par la chaîne pour qu'il libère la pression exercée sur Marcé qui s'est laissé une nouvelle fois piéger.
Cet avant-dernier échec conduit à un plus grand encore : celui du vain espoir de Marcé de se racheter en revendiquant le crime. Le dernier plan montre que personne n'est là pour le voir, métaphore d'un rachat qui lui sera refusé par ses anciens amis. Ils ne pourront jamais lui pardonner sa trahison initiale.
Urbanisme et société
Le fait divers dont Garonne s'est inspiré se déroulait dans les années 80 sur la côte romaine. Garonne l'a déplacé sur les lieux des écrits de Roberto Saviano sur la mafia, le littoral du Nord de la Campanie dans une commune liée à Castelvolturno, appelée Parco del Saraceno à Pinetamare, connu sous le nom de Villagio Coppola
L'architecture du lieu est à l'image de la désolation morale des personnages : fonds sous-marins grisâtres, magasins aux tristes façades, immeubles mal entretenus et insistance sur l'aire de jeu circulaire sans aucun enfant. La brute épaisse de Simo parcourt sur sa moto l'allée bétonnée toute droite conduisant de la ville à la mer, détruisant ainsi symboliquement le fragile équilibre de Marcè.
Jean-Luc Lacuve, le 12 juillet 2018