Le premier plan d’Actua 1 est une vue depuis une fenêtre sur la manifestation en marche, sur la rue. N’apparaissent que deux morceaux de cette foule en large partie camouflée par une masse noire : le peuple est ainsi représenté en deux bandes verticales qui viennent trancher le cadre. Puis le rideau se lève et la masse se retrouve pleine, compacte. S’en suivent des morceaux des événements, brefs et vifs, parfois quasi-stroboscopiques. Des pavés sont jetés, on s’agite, on résiste, on s’affronte. Sur ces images, il y a deux voix : un homme et une femme, complétant leurs phrases, leur propos. "Si tu crois que les banderoles suffisent, tu te trompes. Si tu crois que les mots d’ordre suffisent, tu te trompes. Si tu crois, tu te trompes" ; "Ce qui vient au monde pour ne rien changer, ne mérite , ni égard, ni patience"
Après un long et lent travelling latéral sur un pont de Paris où des C.R.S. immobiles attendent les ordres, le film se termine par un carton : "La respiration se passe désormais du visa de censure".
Il sagit dun court métrage de 6 minutes tourné au cur des événements de mai 68. Il est constitué dun mélange de prises de vue en 35 mm tournées par Garrel et ses compagnons dalors ainsi que de captations en 16 mm des étudiants-cinéastes participants aux révoltes. Il ny aurait eu quune seule projection du film : en mai 1968, lors dune réunion étudiante à Nanterre.
Jusqu’en 2014, Actua 1 était déclaré, par Philippe Garrel lui-même, comme perdu. Le cinéaste a récemment retrouvé les négatifs qui restaurés par la cinémathèque Française ont été présentés au festival de courts métrages, Côté Court, le mercredi 11 juin 2014 à Pantin.
Philippe Garrel déclarait dans un entretien donné aux Cahiers du cinéma en novembre 2005, n°605 : "En 68, javais réalisé un film de trois minutes , Actua 1, avec Patrick Deval et Serge Bard. Cétait des actualités en 35 mm, des actualités révolutionnaires sur le mouvement du 22 mars, comme des contre-actualités Pathé. Le film reposait sur un mélange de plans quon tournait en 35 mm avec un Caméflex et de plans en 16 mm de cinéastes amateurs quon gonflait en 35. Mais jai perdu ce film. Dans Les amants réguliers, jai refait les mêmes plans, comme un peintre qui refait la toile quon lui a volée. Par exemple, le travelling sur les cars de C.R.S garés sur le pont. Je me suis aperçu quil était plus facile de se souvenir dun plan et de refaire ce plan que de se souvenir dun événement, qui subit des métamorphoses par la mémoire et le rêve mélangés. ( ) À lépoque, javais montré le film à Godard. Sil voyait Les amants réguliers, il pourrait reconnaître les plans retournés."
Source : Arnaud Hallet, revue Zinzolin.