"Vos troupeaux sont maintenant si voraces et sauvages qu'ils dévorent maintenant les hommes". L'Utopie (Thomas More, 1516).
Le roi de l'or blanc
République du Chili, 1901. Sur les vastes espaces de la Terre de Feu, un guanaco solitaire s'enfuit, bientôt remplacé par des hordes de moutons. Des hommes dressent des barrières de fils de fer barbelé. Un péon perd un bras, sectionné par le fil de fer qu’il tendait pour maintenir une immense clôture à travers la plaine. Il est abattu par le contremaître, le lieutenant Alexander MacLennan, avec pour épitaphe "Un manchot est un homme inutile".
José Menendez est venu inspecter le travail. Il est mécontent car il a entendu dire que des indiens avaient renversé des barrières et avaient mangé un troupeau entier de moutons. Il veut que le lieutenant Alexander MacLennan ouvre une voie sûre pour ses moutons jusqu'à l’Océan Atlantique
MacLennan déclare n'avoir besoin que d'un seul homme pour accomplir cette mission. Il choisit Segundo, un métis, le seul ayant fait preuve d'adresse au tir. Menendez lui impose aussi la présence de Bill, un Texan chasseur de Comanches.
Le métis
Ils rencontrent un capitaine argentin qui les met au défi de se montrer meilleur qu'eux. Segundo se montre plus adroit que le champion argentin; Bill est battu au bras de fer, MacLennan bat le capitaine à la boxe. Moreno, l’homme chargé d’établir la frontière entre l’Argentine et le Chili méprise ces occupations de soldats. I lpréfererait que l'État investisse dans l'intelligence des Indiens mais lui-même est ambigu dans ses rapports avec le jeune indien qui dort dans sa tente. Le trio, mis sur la piste des indiens, attaque lâchement un camp d’Indiens à l'aube. Segundo, de mère indienne et de père espagnol hait les colons qui l'emploient et a pitié pour les Indiens qu'ils massacrent mais se contente de tirer en l'air. Bill aiguise son couteau pour couper une oreille de chaque indien pour témoigner de leur mort. Alexander viole une indienne mourante avant de laisser sa place à Bill et d'exiger que Segundo en fasse autant. Celui-ci, prenant l'Indienne en pitié, l'étrangle.
La fin du monde
Bill, Alexander et Segundo arrivent face à l'océan atlantique et se baignent. Surgit de nulle part, le colonel Martin les contraint à accepter son hospitalité dans son camp pour la nuit. Il démasque facilement Alexander pour n'avoir jamais été lieutenant mais simple soldat. Il propose à Bill, rendu furieux d'avoir servi un simple soldat, de le suivre dans sa troupe d'aventuriers. Il est immédiatement abattu d'une balle dans la tête par le colonel Martin qui ne supporte pas une traîtrise envers un soldat britannique. Il propose en échange de la vie prise de fournir une indienne, Kiepja, pour continuer sa route. MacLennan est violé. Ils repartent avec Kiepja
Sept ans après. Le cochon rouge
Le président Pedro Montt veut célébrer le centenaire de la fondation du Chili et réconcilier ses peuples, créoles, colons et indiens. Pour nourrir le roman national à écrire, un parlementaire, Vicuña, descend de la capitale en Terre de Feu chez Menendez à Punta Arenas, dans sa demeure de grand bourgeois. Il vient enquêter sur les exactions commises sur ces derniers. « C'est que la laine tachée de sang perd de sa valeur », explique-t-il à José Menendez à qui il rend visite dans sa luxueuse demeure.
Il se rend également chez le métis Segundo dans sa modeste cabane, plus au nord, sur l’île de Chiloé. Pour qu'il lui raconte ce qu'il a vu et vécu avec Le cochon rouge. Fait croire qu’il n’est pas là raconte comment offert un banquet et saoulé le sindiens puis abattu près de 300 d'entre eux. Rose refuse de prendre le thé
La phrase extraite de Thomas More qui ouvre le filme dénonce un mode d'organisation économique capitaliste qui infiltre les industries lainières d'Angleterre ou de Roubaix en France jusqu’à ce bout de monde en Terre de feu ; la multiplication des troupeaux de moutons pour l'industrie lainière en Angleterre conduit à la concentration foncière au détriment des populations locales. Sur les terres apparemment vides de la Terre de feu sont installés depuis la nuit des temps des peuples nomades qui vivent de chasse et de cueillette et qui parfois volent un mouton. Intolérable pour José Menendez, figure légendaire de la colonisation en Terre de Feu, surnommé le roi de la Patagonie ou, ici, le roi de l'or blanc, la laine des moutons.
La participation d'un ancien soldat de l'armée britannique et d'un Texan tueur de Comanches à ces événements indique que la barbarie et l'avidité manifestées au Chili n'ont rien d'exceptionnels et de particulier mais plutôt banal ; des atrocités similaires ont été commises contre les indigènes en Amérique du Nord et par les Britanniques dans tout leur empire colonial.
Les codes du western sont ainsi très présents: l'alternance de scènes d'actions, le jour, et de bivouacs propices aux discussions, la nuit, la musique qui n'est pas sans évoquer celle d'Ennio Morricone et les magnifiques paysages de la Cordillère des Andes qui n'ont rien à envier à l'Ouest américain. L'homme qui n'a pas d'étoile (King Vidor, 1955) mettait en scène les grandes prairies limitées par des barbelés. La porte du paradis (Michael Cimino, 1980) racontait une histoire vraie : le massacre de paysans polonais immigrants dans le Wyoming au tout début du XXe siecle par des tueurs à la solde de propriétaires fonciers, avec le feu vert des plus hautes autorités fédérales,
Jean-Luc Lacuve, le 2 février 2024
Compléments Dossier de presse et Wikipedia :
Il y a peu de choses sur Chili de cette période, alors qu’en Argentine, l’histoire du général Julio Argentino Roca, militaire et président du pays, qui a envoyé l’armée massacrer les autochtones, est connue. Au Chili, les massacres des indigènes, les Indiens Selk’nam, appelés Onas par les blancs du Chili, perpétrés par les éleveurs de Terre du Feu, soutenus indirectement par l’État chilien, ont été expurgés de l’histoire officielle. Ils sont toujours étouffés, passés sous silence.
Bill est américain et a lutté contre les Comanches ; MacLennan, lui, est issu de l’armée britannique. À l’époque, avant l’ouverture du canal de Panama en 1914, le seul passage pour aller de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique était cette région, la Terre de Feu, devenue un lieu d’entrée pour de nombreux étrangers, de nationalités différentes. Les propriétaires terriens et éleveurs de moutons avaient besoin de main d’œuvre, qu’ils importaient : c’est le cas de Bill, ayant déjà exercé ce métier en tant que cow-boy au Texas. Bill représente le Nouveau Monde et MacLennan, l’Ancien Monde. Le massacre des Indiens participe de la préservation de la chaîne économique de l’élevage et donc des intérêts des éleveurs. Tout ce qui peut tuer ou manger un mouton, qu’il s’agisse d’animaux sauvages, ou d’Indiens, doit être éliminé. Segundo, un métis de l’île de Chiloé, Mapuche par sa mère et Espagnol par son père, choisi parce qu’il connait le climat de la région. À Chiloé, terre Mapuche, il y a, à cette époque, une forte population métissée, car l’île a été la dernière colonie espagnole au Chili, la dernière région à avoir été rattachée à la jeune nation... À Chiloé, c’est l’Église qui a convaincu les indigènes de se détacher de la couronne d’Espagne pour se rapprocher de l’État chilien.
Le président Montt a existé, tout comme Menendez. La quasi-totalité des terres traversées dans le film appartiennent toujours à la famille Menendez, implantée dans la Patagonie chilienne et argentine. Plusieurs archives du générique de fin montrent cette famille et on y voit le vrai José Menéndez. MacLennan, qui apparait dans certaines photos, est devenu un mythe au Chili. En Terre du Feu, il y a des rues et des rivières à son nom. Moreno, l’homme chargé d’établir la frontière entre l’Argentine et le Chili, est lui aussi un personnage réel. On sait également qu’à la fin du XIXème siècle, le juge Waldo Seguel se rendit à Punta Arenas pour mener la première enquête sur les massacres d’indigènes. Peu préoccupé de neutralité, le Juge Seguel logea chez José Menéndez. Son enquête, premier processus judiciaire, mais qui n’a jamais abouti, a été mise au jour il y a une vingtaine d’années, quand deux anthropologues chiliens ont retrouvé et retranscrit les manuscrits originels de ce procès. Malgré des centaines de témoignages attestant des massacres et du harcèlement des Indiens, personne ne fut reconnu coupable. Les personnages du film proviennent de ce récit, de ces archives retrouvées récemment, et des témoignages et entretiens qu’elles contiennent.
Le Chili vend son image de peuple multiethnique dans les boutiques des aéroports sous la forme de petites poupées Selk’nam ou d'objets faisant référence à ce peuple exterminé, mais le génocide des peuples premiers, la reconnaissance de la spoliation de leurs terres, la question Mapuche, sont toujours d'actualité au Chili. Elles furent débattues au moment de la rédaction du premier projet constitutionnel sous le gouvernement de Gabriel Boric, qui prévoyait dans ses premiers articles, « un État régional, plurinational et interculturel composé d’entités territoriales autonomes, dans un cadre d’équité et de solidarité entre elles, préservant ainsi l’unité et l’intégrité de l’État », en rupture avec le passé. Un nouveau projet rédigé par un groupe constituant très à droite, revenait sur ce présupposé a été rejeté. Le 7 mai 2023 a en effet marqué une victoire majeure du Parti Républicain d’extrême droite au Chili et de son leader, l’ultraconservateur José Antonio Kast, lors des élections de la nouvelle Assemblée constituante. Ironie du sort : Kast, virulent détracteur de la démarche et ouvertement nostalgique de Pinochet, est désormais chargé du processus d’élaboration de la nouvelle Constitution du pays. Le cinéma chilien s'empare néanmoins de cette histoire cachée et interroge. Patricio Guzman l'avait fait dans Le bouton de nacre (2015), magnifique documentaire sur les crimes commis en Terre de Feu, tant par la colonisation que par la dictature militaire qui avait parqué des opposants dans des camps de concentration sur l'île Dawson. Une séquence racontée aussi par le cinéaste chilien Miguel Littin.
Lors de leur arrivée, en 1520, les Espagnols rencontrèrent les Selknam au nord-est de la grande île de la Terre de Feu. Ce peuple était un rameau des « patagons » ou « Tehuelches » qui avaient pénétré dans l'île depuis le xive siècle, forçant ainsi les Yagans (ou yamanas) et les Kawéskar (ou Alakalufs) à se déplacer vers les côtes méridionales et occidentales.
Ils étaient chasseurs et cueilleurs et vivaient principalement du guanaco qu'ils chassaient avec de petits arcs et des flèches à pointe en pierre. En plus du guanaco, ils s'alimentaient de divers autres animaux : pinnipèdes, manchots, cétacés, mollusques, crustacés et cormorans. Ils consommaient aussi en abondance un champignon parasite du Nothofagus, le Cyttaria. De religion monothéiste, ils croyaient en leur dieu nommé Temaukel, avec une croyance pour une vie après la mort.
À partir de 1880, les estancieros ou propriétaires terriens d'estancia (ferme d'élevage), principalement d'origine britannique, commencèrent la colonisation des terres des Selknam. Celles-ci, qui étaient un espace libre pour ces chasseurs nomades, furent en grande partie clôturées par le développement de l'élevage des ovins. Beaucoup de Selknam brisèrent ces nouvelles clôtures afin de continuer à chasser librement pour se nourrir. Ils tuèrent des moutons importés, qu'ils appelèrent les « guanacos blancs ».
Bénéficiant de la passivité, si ce n'est de la complicité des gouvernements chilien et argentin, des éleveurs firent de la réaction des indigènes un prétexte pour s'organiser en milices ou recruter des tueurs à gage, afin de les chasser et les assassiner. Inférieurs en nombre, disposant seulement d'arcs et de couteaux, ces Amérindiens se défendaient malgré tout ; des colons se concertèrent alors et projetèrent l'extermination des hommes et la déportation dans des réserves d'une partie des femmes et des enfants selknam.
En 1905, il ne restait plus que 500 Selknam sur une population estimée à 4 000 en 1880. Quelques-uns furent pris en charge et survécurent auprès de missions salésiennes de Terre de Feu, où ils furent sujets à des épidémies à la suite de maladies contractées auprès des colons. Parmi les derniers Selknam, Ángela Loij est morte en 1974 ; Virginia Choquintel, une Ona vivant en banlieue de Buenos Aires, est décédée en 1999.
L'extermination des Selknam, longtemps ignorée ou occultée par l'histoire nationale, fut qualifiée de génocide en 2003 par une commission instituée par le gouvernement chilien, la « commission pour la vérité historique et un nouveau traitement des peuples indigènes », et des sénateurs chiliens proposèrent en 2007 de reconnaître officiellement le génocide.
Repères géographiques : le Chili s’étire sur près de 4 200 km de longueur pour seulement 200 km de largeur en moyenne. Le pays correspond en grande partie au versant occidental de la cordillère des Andes méridionales et dans sa partie australe, il annexe toute la chaîne montagneuse. Le pays connaît un volcanisme actif et une forte séismicité. Capitale : Santiago du Chili Superficie : 756 630 km2 Langue principale et officielle : espagnol Religions principales : catholique 88%, protestante 11% Population (2017) : 18 054 726 hab. Les peuples autochtones représentent de 5 à 8% de la population (selon les sources), les Mapuche constituent la communauté la plus importante suivie des peuples Aymara, Diaguita, Atacameño, Quechua, Rapanui, Kolla, Kawésqar, Yagán...
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