L'empire

2024

Avec : Lyna Khoudri (Line), Anamaria Vartolomei (Jane), Camille Cottin (La Reine), Fabrice Luchini (Belzébuth), Brandon Vlieghe (Jony), Julien Manier (Rudy), Bernard Pruvost(Van der Weyden), Philippe Jore (Carpentier). 1h50.

Line se réjouit au téléphone de faire du bronzage intégral dans une dune de la côte d'opale. En remontant vers le village, elle croise Jony, un pêcheur qui vient de remonter son bateau sur son tracteur et le ramène chez lui où il montre à sa mère sa maigre prise de crabes et de homards. Lou, sa femme dont il est divorcé, vient chercher leur bébé, Freddy, avec Rudy, son nouveau compagnon. Celui-ci lui prend le volant des mains pour faire sortir la voiture de sa route l'entrainant dans de multiples tonneaux. Rudy sort de la voiture et s'approche de Lou, agonisante, pour la décapiter d'un coup de sabre laser. Freddy sur son siège-enfant est indemne. Rudy se cogne volontairement la tête contre la portière pour simuler un évanouissement.

Jony à la tête des chevaliers protecteurs du Margat, montés sur leurs blancs destriers, signale que ce n'est là qu'une première attaque des 1, force du bien qui veulent empêcher le Margat, conçu par deux humains possédés, lui-même et la défunte Lou, de corrompre l'humanité.

Rudy, qui a bien du mal à échapper aux questions des amis de Lou, vient rendre compte à Jeanne, de sa mission. Il aimerait la suivre pour rencontrer la Reine du bien dans l'espace intergalactique. Mais seule Jeanne est habilitée à franchir la porte de l'espace, située au fond de la mer pour rejoindre le vaisseau amiral de la flotte. Face à la Reine, Jeanne promet de se battre pour élever les humains et pouvoir ainsi s'incarner en eux prochainement. Elle ne doit pas laisser les forces du mal gagner la bataille. Pour cela il lui faut reprendre La Margat avant qu'il ne distille le mal dans l'espèce humaine en grandissant.

De son côté, Rudy s'enfonce dans la forêt qui ouvre la porte intergalactique vers le royaume de Belzébuth. Celui-ci se réjouit d'une victoire promise d'avance : il suffit que le bien fasse un pas de côté pour que le mal pénètre les humains, alors il danse. Rudy, laborieusement entraîné par Jeanne, réussit à kidnapper le Margat mais celui-ci est vite repris par une expédition de ses chevaliers protecteurs. La Reine du bien décide d'aller voir sur place la situation. Elle s'incarne en madame la Maire et trouve attachante la femme qui lui raconte ses petits tracas de ménagère. Sur le marché elle apprend d'un de ses affiliés incarné en humain que Belzébuth s'est dérobé au combat dans l'espace. La bataille finale aura donc lieu à proximité de la terre.

En raccompagnant la Reine à son vaisseau, Jeanne est suivie par Jony qui lui fait admettre qu'ils sont physiquement attirés l'un par l'autre et qu'ils devraient bien profiter de leur corps d'humain pour faire l'amour; ce qu'elle accepte avec ferveur.

Les vaisseaux de la flotte du mal envahissent la terre du boulonnais s'attirant la réplique de ceux de la flotte du bien. Jony dirige le combat des O et Jeanne et Rudy celui des 1. Leurs deux vaissaux se détachent de leur armée respective, hésitant à engager les hostilités... quand ils sont pris dans la spirale du trou noir qui les engloutis tous. Sur terre, la tempête déchaîne  une tornade qui emporte la voiture du commandant et de Carpentier. Elle retombe à terre dans un fracas de tôles une fois terminée la bataille intergalactique. Carpentier ne doute pourtant pas qu'elle va démarrer.

analysePour mettre en scène  la couture entre le réel et le surnaturel, Dumont s’encombre cette fois d’un matériau trop dense en termes d'effets spéciaux, de personnages et de mythes. L’attirail de science-fiction mis en œuvre  pour creuser la lutte entre le bien et le mal retarde l’affrontement dans une surenchère kitsch et numérique tout en laissant apparaitre  une inutile réconciliation cousue de fil blanc par le sexe et l’amour. Heureusement, restent les terres du boulonnais dans laquelle la greffe de l’univers médiéval prend bien davantage.

Le survol des mythes

Pour Bruno Dumont, les odyssées spatiales type Guerre des étoiles, sont un grand spectacle très cinématographique où se jouent métaphoriquement les grandes questions métaphysiques irrésolues de l’humanité : la quête de l’Absolu, l’origine et la fin du monde, la lutte du Bien et du Mal, l’Apocalypse, l’Exil, l’Invasion, les mystères de la Vie, de l’Amour… Le tout avec des héros mythologiques et légendaires sous les dehors et les ressorts inépuisables des lieux et des temps, ceux du passé, du présent et de l’avenir.

Le coté feuilletonesque de ces sagas lui donne aussi l'idée de faire du film un préquel de La vie de Jésus (1999), drame réaliste sur la coexistence du Bien et du Mal, l’incarnation conjointe de ces deux forces dans la réalité ordinaire de l’existence de Freddy, homme ordinaire. L’empire, un quart de siècle plus tard, raconte par la mythologie, l’enfance de Freddy, l’origine de la présence des forces du Bien et du Mal sur Terre qui en fait le Margat, Bête de la Fin des Temps, progéniture de Belzébuth, Prince des Ténèbres, conçu par deux humains possédés, Jony et Lou, sa femme, dans un petit village côtier du Nord de la France.

L'opposition entre les vaisseaux spatiaux inspirés de la Sainte-Chapelle pour celui de la Reine et du palais royal de Caserte, dans la banlieue de Naples, pour celui de Belzebuth fonctionne bien. Mais tout l'attirail de vaisseaux clonés au numérique s'intègre assez mal avec la terre du boulonnais. Le magma noir et visqueux flottant au-dessus du sol, les trous noirs dans le ciel, le cabotinage de Lucchini, sensé venir du Faust de Murnau, ne font que retarder sans cesse la bataille annoncée du bien et du mal qui finit par se clore en eau de boudin dans un gigantesque orage cosmique qui les fait tous disparaitre. Même digression inutile, censée faire œuvre globale sans doute, avec le retour du Commandant et de Carpentier. S'il fallait une connotation futuriste peut être que l'humour de l’affrontement binaire des 0 (le mal) et des 1 (le bien) aurait suffit.

La couture entre un surnaturel assumé et l'ancrage réaliste et documentaire est laborieux avec la danse du sabre entre Jane et Rudy. L’intégration des éléments relevant de l’univers médiéval, venant cette fois de Jeanne est une greffe qui prend bien davantage avec les chevaliers protecteurs du Margat sur leur blancs destriers et surtout les servants, genoux à terre devant leurs suzerains. Belles coutures aussi avec la grand-mère au Margat (nom donné aux marmots dans le Boulonnais), réminiscence de la Vierge à l’enfant ou La Reine incarnée en Madame la maire écoutant la voisine partant aux courses ou bien encore Belzébuth en conférencier sur la plage.

Jean-Luc Lacuve, le 3 mars 2024.

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