Deux amis d’enfance s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences.
Après l'échec critique et public de Ma vie avec John F. Donovan, Xavier Dolan revient dans son Québec d'origine où se mêlent, français, anglais mais surtout du joual, le parler local. "Je veux que ce soit impressionniste et expressionniste" dit, à propos de son film, la cinéaste, sœur cadette de Rivette, qui est plutôt versé dans la musique classique. Un peu à part dans cette bande où la culture est quasi absente, ces deux personnages, montrés comme un peu agaçants pour les autres, n'en sont pas moins les plus proches représentants de Dolan qui semble bien vouloir mêler les deux tendances picturales que son personnage éberlué considère comme antinomiques.
Impressionnistes et très réussies sont les séquences amicales au sein de cette bande d'ados attardés qui jouissent des derniers mois avant l'éclatement de la communauté amicale, unie depuis le collège et que les impératifs de la vie d'adulte vont séparer. Tout aussi impressionniste dans son atmosphère crépusculaire, le compte à rebours du film, entamé deux semaines avant le départ pour l'Australie de Maxime.
Expressionnistes sont en revanche les grands moments lyriques du film. La longue séquence de nage de Matthias dans le lac qui succède au baiser. Puis, au bruit de l'orage, les garçons se précipitent pour rentrer le linge, point de départ d'un grand travelling latéral qui balaie la façade de la maison pour saisir Matthias et Maxime enlacés, leurs mains qui s'étreignent derrière la toile de plastique opaque. Une plante qui disparait du bureau d'avocats est comme la disparition d'une respiration possible pour Matthias.
L'ensemble du film possède un lyrisme contenu, loin de l'exubérance assumée des Amours imaginaires ou de Laurence anyways. Le thème du refoulement est en effet omniprésent. Maxime ne peut assumer la déchéance de sa mère à l'inverse du fils préféré, parti vivre sa vie ailleurs. Maxime refuse de voir qu'il est blessé; on découvre tardivement que si tous le regarde prendre son bus et dans le bus, ce n'est pas à cause de sa tache mais du sang qu'il ne voit pas couler de son front après que sa mère lui ait lancé la télécommande au visage. Sa tache de naissance l'empêche pareillement de vivre sa vie. Il espére toujours qu'elle disparaisse comme par miracle en la cachant de sa main. Empêché de vivre sa vie d'adulte, il regrette l'enfance, le dessin d'enfant signé Matt et Max d'une ferme rêvée. La venue de Maxime, à la fin, seule peut le sauver. Le départ pour l'Australie l'aurait laissé encore plus démuni (il ne parle pas la langue) pour refaire le même métier. La survenue de Matthias à la fin est un happy-end un peu convenu mais que la brièveté du plan empêche de verser dans la mièvrerie.
Lorsque Matthias énonce "Ta gueule, la tache" il trahit son refus de voir la complexité du sentiment qu'il a pour Maxime et la totale remise en cause de sa vie qu'il implique. Coincé entre une mère parfaite, Francine, aux copines aussi truculentes qu'elle et un père, parti du foyer, avocat qui a tracé le chemin pour lui, Matthias choisit de revenir vers Maxime. Un nouveau départ pour le personnage comme pour le metteur en scène, espérons-le.
Jean-Luc Lacuve, le 3 novembre 2019.