C'est l'histoire d'un cinéaste qui souhaite adapter la pièce d'Edward Bond, "Dans la compagnie des hommes ". Il convoque les acteurs pour des essais et des répétitions qu'il filme en vidéo. Puis vient l'adaptation en 35 millimètres : Leonard est le fils adoptif de Jurrieu, un important dirigeant d'entreprise. C'est l'histoire de quelques hommes de pouvoir et de la guerre qu'ils se font. Leonard est plongé au cur d'un combat financier, qui oppose deux hommes d'affaires, son père adoptif, Jurrieu, qui contrôle un groupe industriel d'armement et Hammer, patron d'une grande chaîne de distribution internationale. Léonard devient l'instrument d'un stratagème orchestré par Hammer. Il plonge dans le piège, mais l'issue du complot échappe à toutes les prévisions des stratèges...
Critique de
Pierre Murat pour Télérama:
"
Dès son moyen métrage, La Vie des morts, on mesurait
le goût d'Arnaud Desplechin pour les histoires de famille. Et dès
La Sentinelle, son premier long métrage,
sa terreur devant ces organisations secrètes qui, sous la bienveillante
protection d'un univers pactisant avec le diable, manipulent les corps et
perdent les âmes.
Pas étonnant, donc, qu'il ait été fasciné par la pièce d'Edward Bond, La Compagnie des hommes, qui cumule ces deux thèmes. A la fois la lutte d'un jeune homme, Léo (Sami Bouajila, surprenant comme jamais), pour exister aux yeux de son père adoptif, haï parce que trop aimé (Jean-Paul Roussillon, excellent, comme toujours). Et aussi la peinture d'hommes d'affaires manipulant sans fin plus faible et plus naïf qu'eux, avec pour seule arme la brutalité et, pour les plus désespérés d'entre eux (comme William, interprété par Hippolyte Girardot), la honte d'une pureté perdue.
Les personnages de Bond sont des monstres froids. " Je ne me fais pas confiance à moi-même et je ne connais que la moitié de ce dont je suis capable ", dit l'un d'eux. Dans ce monde sans pitié ni pardon, on se trahit allègrement, mais " avec toute la méchanceté d'un coeur pur". Chez ces gens-là, la pire faute, c'est l'innocence. Cette noirceur absolue, Desplechin la traite avec une angoisse visible (son film est un thriller métaphysique) et une dérision absolue. D'où des épisodes apparemment incongrus (les récits plus ou moins mensongers de Jonas, le domestique de Léo et de son père) qui brisent constamment le récit. Et "parce que ça manque de filles" (dit-il lui-même dans le film), Desplechin introduit " chez le plus shakespearien des auteurs anglais contemporains " un personnage de Hamlet, à savoir Ophélie (qu'interprète une Anna Mouglalis pas très à l'aise). On passe donc d'Edward Bond à Shakespeare, des répétitions qui précèdent le tournage au film lui-même. Va-et-vient qui pourrait devenir vain s'il ne créait pas, à chaque instant, un trouble supplémentaire. Une incertitude de plus entre la vérité et le mensonge.
Avec rage, Desplechin reflète l'hystérie des personnages. Son audace paie. Il réussit à peu près tous ses paris : utiliser presque tout le temps la caméra à l'épaule, par exemple. Multiplier les ellipses brutales, à l'intérieur d'une même scène. Pour mieux prendre son temps, parfois, dans la lente progression de la cruauté. On songe à l'ultime duel entre Léo et Jonas, le maître et le serviteur, où l'un, moyennant finances, veut forcer l'autre à le tuer. Pure scène d'angoisse que Desplechin filme comme un ballet funèbre (un pas en avant, deux en arrière).
L'évacuation de tout ce qui est humain en l'homme aboutit alors à
une farce absurde et pitoyable où l'exécuteur rejette sur sa
future victime le Mal qu'il s'apprête à commettre. Extérieurement,
c'est donc un thriller sur le pouvoir et l'argent. Plus profondément,
une méditation sur les passions, les mensonges et les faiblesses des
morts vivants que nous sommes. Une fois encore, Arnaud Desplechin pose un
regard désolé sur des êtres qui dévorent les autres
sans s'apercevoir que c'est eux-mêmes qu'ils tuent.
"
Pierre Murat
Arte présente en avant-première ce film le mardi 27 janvier avant sa sortie en salle le lendemain, le mercredi 28 janvier.