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No country for old men

2007

Genre : Film noir

(Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme). D'après le roman de Cormac McCarthy. Avec : Josh Brolin (Llewelyn Moss), Tommy Lee Jones (Ed Tom Bell), Javier Bardem (Chigurh), Stephen Root (Wells), Kelly MacDonald (Carla Jean Moss). 2h02.

Les vastes pleines du Texas au petit matin. La voix off du shérif, Ed Tom Bell, s'attriste d'avoir dû dénoncer un jeune gars qui aurait pu être condamné pour meurtre passionnel mais qu'il a conduit à la chaise électrique en répétant ses propos sur son envie de meurtre gratuit. C'était lui ou une nouvelle victime innocente, il n'avait pas le choix. Mais qu'est-il obligé de porter un revolver ! Certains shérif n'en ont jamais eu besoin. Mais que faire face à l'histoire de cet homme qu'il va nous raconter ?

Un homme est arrêté. Il est conduit au poste. Là, il étrangle autant qu'il égorge avec ses menottes l'agent de police qui lui tournait le dos. Le terrible assassin lave le sang de ses poignets meurtris et, empruntant la voiture de police, il fait s'arrêter un conducteur sur le bas coté et le tue d'un jet d'air comprimé sorti d'une étrange bouteille dont il ne se sépare pas.

Llewelyn chasse les biches. Il en blesse une et suit sa trace au sang qu'elle laisse. Il croise bientôt une autre piste sanglante. Il aboutit devant une scène de carnage. Hommes et chiens se sont entretués. Reste un camion d'héroïne et un mexicain blessé à mort qui lui demande de l'eau et auquel il répond séchement qu'il n'en a pas. Il est bien plus préoccupé de savoir où se trouve le dernier survivant du carnage. Il le trouve bientôt, mort au pied d'un arbre, avec plus de 2 millions de dollars en liquide....

Le film se construit sur trois trajectoires, deux abstraites et étrangement calmes, qui viennent enserrer celle de Llewelyn Moss, Rambo entraîné et précis, mais impuissant face aux forces métaphysiques.

La fable du vieil homme

Le film se donne dès l'abord comme une fable. Ed Tom Bell, le vieux shérif raconte sa nostalgie d'un temps ou tout était paisible. Il se terminera pareillement sur la narration de deux de ses rêves. Dans le premier, il avait vu son père qui lui reprochait d'avoir dépensé de l'argent. Dans le second, il le croisait de nouveau sur une route de montagne près du col. Son père portait une corne d'abondance dans laquelle brûlait un feu qui la faisait ressembler à la lune. Son père s'éloignait.

Cette volonté de se situer dans la fable, Ed Tom Bell la poursuivra durant tout le film. Comme absent de l'enquête qu'il mène, il distille des remarques humoristiques à son jeune collègue qui semble ne pas comprendre ce qui se passe pas plus que Carla Jean. Face à celle-ci, il aura de nouveau recourt à la métaphore : l'histoire de l'homme qui croyait avoir le dessus sur un taureau que l'on allait abattre mais dont la balle qu'il tira pour le tuer rebondit sur un os et vint le blesser au bras. Tout n'est pas perdu semble-t-il dire. Au seuil de la mort, Ed Tom Bell se raconte des histoires. Il refuse d'entendre le discours de son oncle sur la violence intrinsèque à l'Amérique dont un autre de ses oncles fut victime, abattu d'une balle au poumon en 1909.

Pas plus qu'on n'arrête le vieil homme entêté dans sa fable d'un monde apaisé, on n'arrête le mal absolu.

Le diable joue au hasard

Chigurh, incarnation du mal absolu aux résolutions inaltérables, est une figure inoubliable. Toujours sûr de lui, dédaignant la moindre expressivité, coupe au bol et comme insensible à la douleur, il semble las des pauvres explications que ses victimes tentent d'élaborer pour protéger leur vie. Il constate les traces noires laissées par les chaussures de sa première victime lorsqu'elle s'est débattue sur le sol. Il se moque tranquillement de la fausse assurance de Welles se contentant de l'abattre dans une sonnerie de téléphone et un regard sur ses bottes suffit à nous faire comprendre qu'il y a eu du sang répandu chez Carla Jean lorsqu'il est venu faire payer à celle-ci la présomption de son mari, mort sans avoir pensé à la protéger en priorité.

Rien ne semble devoir enrayer cette belle mécanique. Parfois contrairement à Dieu qui ne jouerait pas au hasard, il laisse une pièce décider du destin de ses victimes. Pareillement, seul le hasard d'un croisement routier peut le mettre en danger. Mais, même avec un os sorti du bras, il continue sa route.

Voyage au bout de l'enfer

Entre ces deux figures au rythme lent et inexorable, Llewelyn Moss est un Rambo décidé et actif.

Ancien du Vietnam, colonel à la maigre retraite, il occupe ses loisirs à chasser. Il hésite à abattre la biche qui court devant lui. Pourtant, contrairement au jeune Nick du Voyage au bout de l'enfer, il appuie sur la gâchette. Sa campagne du Vietnam lui vaudra l'aide de Welles dans l'hôpital puis du garde-frontière qui lui permet le passage malgré sa tenue pour le moins négligée.

Entouré de cette solidarité guerrière, il ne peut pourtant pas échapper à son destin. Si son hyperactivité a pu le sauver durant la guerre, ici, ce ne peuvent être que des sursauts pour repousser l'échéance.

Certes, il a su faire corps avec le Rio Grande pour fuir les tueurs mexicains et abattre leur chien au tout dernier moment mais il est toujours encombré de sa conscience qui l'avait déjà réveillée au milieu de la nuit pour porter de l'eau à la dernière victime et mettre ainsi les tueurs sur sa trace.

Certes, dans une scène au suspens haletant, il attend Chigurh dans l'hôtel et parvient presque à s'en débarrasser. Mais les tueurs retrouvent sans peine sa trace au Mexique.

Poursuivi par Welles, Chigurh et les Mexicains, Llewelyn Moss continue de les défier. Il connaîtra une fin abrupte, vidée de toute légende. Il répond à la femme qui s'ennuie au bord de la piscine qu'il est souvent à la fenêtre pour attendre sa femme et, dit-il, observer ce qui pourrait advenir. C'est impossible lui répond celle-ci. Effectivement quelques bières plus loin, les Mexicains auront eu raison de son comportement trop humain.

Jean-Luc Lacuve le 6/2/2008

 

Cormac McCarthy emprunte le titre de son roman au premier vers du poème de Yaets, Sailing to Byzantium

Sailing to Byzantium (traduction de Yves Bonnefoy)
That is no country for old men. The young
In one another's arms, birds in the trees
- Those dying generations - at their song,
The salmon-falls, the mackerel-crowded seas,
Fish, flesh, or fowl, commend all summer long
Whatever is begotten, born, and dies.
Caught in that sensual music all neglect
Monuments of unageing intellect.
Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme.
Garçons et filles
A leur étreinte, et les oiseaux des arbres,
Ces profusions de la mort, à leur chant,
Les cataractes de saumons, les mers
Gonflées de saumons, tout, ce qui nage,
Vole, s’élance, tout, dans l’été sans fin
Célèbre concevoir, naître et mourir.
Prise dans la musique des sens, toute vie néglige
Les monuments de l’incoercible intellect.
 
An aged man is but a paltry thing,
A tattered coat upon a stick, unless
Soul clap its hands and sing, and louder sing
For every tatter in its mortal dress,
Nor is there singing school but studying
Monuments of its own magnificence;
And therefore I have sailed the seas and come
To the holy city of Byzantium.
L'homme qui a vieilli n'est qu'une loque,
Un manteau déchiré sur un bâton, à moins
Que l’âme ne batte des mains et ne chante, toujours plus fort,
A chaque accroc nouveau du vêtement mortel.
Or, il n’est pour le chant qu’une école, lire
Les monuments où l’âme a sa splendeur,
Et c’est pourquoi j’ai franchi les mers, et je suis venu
A la ville sainte, Byzance.
 
O sages standing in God's holy fire
As in the gold mosaic of a wall,
Come from the holy fire, perne in a gyre,
And be the singing-masters of my soul.
Consume my heart away; sick with desire
And fastened to a dying animal
It knows not what it is; and gather me
Into the artifice of eternity.
Ô vous sages debout dans le feu de Dieu
Comme dans l'or sacré d’une mosaïque,
Sortez du feu sacré, dans le tournoiement d’une gyre,
Et enseignez à mon âme le chant.
Mon cœur, lui, brûlez-le, dispersez-le : malade
De désir, attaché à la bête qui meurt,
Il ne sait ce qu’il est : rassemblez-moi
Dans ce haut artifice, l’éternel.
 
Once out of nature I shall never take
My bodily form from any natural thing,
But such a form as Grecian goldsmiths make
Of hammered gold and gold enamelling
To keep a drowsy Emperor awake;
Or set upon a golden bough to sing
To lords and ladies of Byzantium
Of what is past, or passing, or to come.
Jamais, quand retombée la nature, jamais
Je ne prendrai ma forme corporelle
A rien de la nature. Mais à quelque
Semblance comme en font les orfèvres grecs
D’or martelé, d’émail cloisonné d’or,
Pour tenir éveillé l’Empereur qui bâille
Ou la poser sur un rameau d’or, et qu’elle chante
Aux seigneurs et aux dames de Byzance
Ce qui fut, ce qui passe, ou va venir.
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