Trenque Lauquen

Devant une station service sans activité, Rafa téléphone à Clara, sa collègue de l’université de Buenos aires, au sujet de Laura qui ne donne plus de nouvelle alors qu'il ne lui restait plus qu'à finir sa thèse pour obtenir le poste qu'il avait proposé pour elle. En tant que directeur du département, il devra rendre des comptes à son retour pour savoir si la disparition de Laura signifie un refus de prise de poste. Devant la station, l'attend Ezequiel, silencieux, qu'il trouve un peu perdu. C’est un fonctionnaire de la mairie qui connait Laura et a accepté de le conduire alors que Laura lui avait "emprunté" sa voiture plusieurs jours qu'il a récupérée ici. Rafa a entendu dire que Laura aurait été aperçue non loin de là. Ils vont ainsi à Fortin Olavarria.

Partie 1.

I - La aventura (L’aventure). Sur la route, les deux hommes discutent. Ezequiel travaille au service des transports des matériaux à la mairie. Il conduisait Laura sur les terrains sur lesquels elle travaillait à constituer un herbier de toutes les plantes de la région qu'elle avait classifiées. Rafa interroge un premier épicier en se présentant comme le petit copain de Laura. Son interlocuteur lui indique un second village. Pendant que Rafa discute une deuxième fois vainement avec un épicier, Ezequiel découvre un papier sous l'essuie-glace du pare-brise de sa voiture. La troisième épicerie est fermée, les deux hommes font la sieste en attendant l’ouverture. Cette fois l'épicier déclare à Rafa que, pour trouver une plante qui lui manquait, Clara est allé à America où un homme, Abrante, fait pousser des orchidées. Pendant ce temps Ezequiel lit le papier : "Adieu, Adieu, je m’en vais, je m’en vais". Rafa revient à la voiture rassuré : Laura est allé à la recherche de la seule espèce qui lui manquait; elle a agi un peu follement comme tous les chercheurs obsédés par leur travail quitte à foutre leur vie en l’air. Ezequiel ne semble pas convaincu et rechigne à faire les 40 km jusqu'à America.

II - La partie d’Ezequiel. C’est dans son pick-up qu'Ezequiel vient chercher Laura dans le bâtiment de la station de radio où elle tient une chronique intitulée "Les femmes qui ont fait l ‘histoire". Ils vont à La Indiana, près de Treinta, et s'arrêtent pour déjeuner à l'auberge de La querencia. Ezequiel apprend que Laura a un copain qui rénove sa maison et lui demande sans cesse des conseils car ils y habiteront bientôt tous les deux. Ils parlent ensuite d’Anita Ekberg puis de Lady Godiva qui avait chevauché nue pour que son mari baisse les impôts. Ezequiel y voit plutôt un jeu érotique. Dans le champ de La Indiana, ils sont accueillis par Hugo et Rafa espère trouver la plante qui manque et qui ressemble à l’azahar de monte. Laura ne trouve pas la plante recherchée et propose de prendre la route 33 près de l’hacienda Martin Fierro. Ezequiel, qui est divorcé, embarque ses enfants. Mais ils ne découvrent qu'un porche de bâtisse, le reste a brûlé.
C’est devant la même bâtisse que passent maintenant Ezequiel et Rafa. Ezequiel se souvient : le soir dans un bar, Laura lui avait révélé être le seul témoin d’un petit mystère qu'elle avait découvert.

III Les lettres et les livres (La cartas y los libros)

Laura passait de nombreuses heures à la bibliothèque publique à la recherche de biographies et de documents pour rédiger sa chronique. Là, elle tomba sur un livre, Autobiographie d'une femme sexuellement émancipée d'Aleksandra Kolontái. Une première lectrice avait remarqué comme elle qu'à chaque accomplissement érotique le "je" était remplacé par le "nous". Intriguée elle remarqua de pages collées qui cachaient entre ces pages une lettre d'amour. Celle-ci se terminait par la promesse de l'envoi d'une autre lettre dans un autre livre qui parlerait des abeilles. La lettre, datée de 1962 était dressée à Carmen Zuna, mais la correspondance avait débuté avant avec le signataire des lettres, Paolo Bertino. La lettre se terminait par la promesse d’envoyer un nouveau livre ; livre des abeilles ; Laura devient obsédée par cette histoire et commence à reconstituer avec une précision scientifique l'échange de lettres entre Carmen Zuna, et son amant italien en cherchant dans les milliers de livres de la bibliothèque. Elle demande à Susi, la bibliothécaire, une recherche plus ciblée à travers la collection Martin Fierro et découvrent ainsi des lettres qui proviennent de villes d’Italie connues comme Rome ou Milan ou inconnues comme Quincinetto, Scalaro.

Lors de leurs déplacements, Laura et Ezequiel lisent ces lettres. Paolo est subjugué par Carmen qui dépasse tout ce qu'il a connu jusque là avec sa femme et ses nombreuses maitresses : "Ton vagin Carmen est une carte à explorer. Mais Carmen se donne à un gaucho devant lui et leur relation se détériore. Ezequiel tente de découvrir qui est Carmen et finit par découvrir qu'il s'agit d'une institutrice remplaçante dont personne ne semble se souvenir.

Laura et Ezequiel, pris dans cette même quête obsessionnelle, entament une relation amoureuse et se projettent dans la peau des personnages qui finissent par se séparer. Carmen laissant comme dernier mot  "Adieu, Adieu, Je m'en vais je m'en vais".

Rafa a fini par comprendre qu'Ezequiel était son rival et celui-ci le laisse en plan un matin dans une auberge. Rafa rend visite à celle à la mairie de Trenque lauquen qui supervisait le travail de Laura. Elle l'avait trouvé d'abord charmante et efficace mais tout avait déraillé sur la fin. Elle avait voulu prolonger son séjour sans que le budget alloué ne le permette. Elle l'avait alors logé chez sa mère mais Laura ne l'avait ni remercié ni fait un cadeau. Enfin elle s'était enfuie sans rien dire avec la voiture d'Ezequiel. Elle fait comprendre à Rafa qu'il a sans doute perdu Laura comme enseignante et comme fiancée et le conduit jusqu'au bus de Buenos-Aires en lui parlant du mystérieux singe apparu puis disparu dans le lac. Il n'y aura pas d'argent pour prolonger le contrat de Laura; avec l'histoire du singe, le classement des fleurs n'intéresse plus personne

Partie 2.

I- La partie de Juliana.

Juliana anime une émission, "la mer des histoires" dans la station de radio qui doit commencer à 10h30. Les animateurs précédents ne font que peu de cas de l'horaire mais Juliana fait preuve de bonne humeur lors du début de son émission en présentant ses chroniqueurs notamment Laura pour Les femmes qui ont fait l'histoire. Ce matin-là, elle raconte l'histoire de Lady Godiva qui au XIIIe siècle épousa le roi son pays qui était alors détesté. Il voulait augmenter les  impôts mais sa femme lui demanda au contraire de les baisser. Ensuite, elle rejoint Ezequiel, qui a écouté la fin de l'émission dans son pick-up et la conduit à La Indiana en s'arrêtant pour déjeuner à l'auberge de La querencia.

II- La mer des histoires.

Ezequiel a demandé à Juliana de le rejoindre dans le café dans lequel il retrouvait Laura. Il lui explique tout des lettres cachées et de son amour pour Laura. Mais Julian sait déjà tout cela et l'entraîne dans le studio de l'émission de radio où elle lui fait écouter la confession de Laura.

Celle-ci évoque un fait étrange survenu dès les premiers jours de son arrivée. Une femme brune surgie de nulle part lui avait demandé si elle n'avait pas trouvé une fleur jaune à haute tige dans ses recherches botaniques. Plus tard, elle l'avait trouvée par hasard et la même femme avait surgi à l’improviste lui reposant la même question. Laura avait promis de lui en ramener, à sa demande, devant chez elle. Elle n'en su pas davantage car la jeune femme brune était accompagnée d'une autre femme avec qui elle parti.

III La partie d'Elisa Esperanza

Ce fut alors que se déclencha l'étrange affaire survenue à Trenque Lauquen : un être mystérieux, soit humain, soit animal, a été retrouvé dans un lac. Il sembla devenir agressif et fut étudié par une spécialiste du cerveau humain, Elisa qui rabroua les autorités politiques. Il fut bientôt convenu que l'être mystérieux était une sorte de crocodile. Elisa déclara qu’elle n'avait plus qu'à repartir alors que l'on apprit parallèlement la disparition de l'animal.

Laura, ayant repéré Elisa en ville, l'a suivie jusqu’à sa maison isolée et lui remet la mystérieuse plante jaune. Elisa et sa compagne accueillent avec bienveillance Laura qui ne tarde pas à prendre ses habitudes chez elles. Laura a compris qu'elles ont recueilli secrètement l’être mystérieux mais d'un tacite accord, le sujet est évité. Laura les entend aménager une mystérieuse chambre qu'elle n'aura le droit de visiter que lorsqu’elle sera finie. C'est bientôt le cas mais Elisa prévient Laura par téléphone qu'elle a été dénoncée et qu'elle doit fuir avec sa compagne et l'être mystérieux, en grand danger. Elle lui demande de les aider. Laura devra d'abord passer chez elles chercher de l'herbe jaune avant les emmener loin en voiture sans porter de vêtements de couleur vive qui  pourraient effrayer l'être mystérieux. Laura découvre chez Elisa une chambre digne d'un jardin zoologique avec aménagements de fleurs, perchoirs, abris en bois  et cascades. Elle prend l'un des bocaux de plantes jaunes élevées sous atmosphère stérile. C’est pour porter secours à ces deux femmes que Laura vient demander sa voiture à Ezequiel.

Au moment d'arriver au rendez-vous, Laura reçoit un appel d'Elisa qui lui indique qu’il ne faut plus qu'elles cherchent à se voir. Désespérée, Laura rend la voiture dans une station service, et va enregistrer son aventure à la station de radio en priant Juliana de rester la seule dépositaire de sa parole. C'est celle-ci qu’écoute Ezequiel sous l'œil compatissant de Juliana. Laura a en effet décidé de s'éloigner dans la vaste campagne argentine, pour un destin inconnu.

Conçu en deux parties et douze chapitres, Trenque Lauquen croise les récits de ses différents personnages et cartographie une ville. De la découverte d’une ancienne correspondance amoureuse dans une bibliothèque à de mystérieuses apparitions près d’un lac, la pampa n’a pas encore révélé tous ses secrets. La forme évoque L'avventura d'Antonioni, Vertigo d'Hitchcock, ou Inland  Empire de David Lynch. Des disparitions, des mises en abîmes et une chronologie non linéaire créent une intense densité romanesque. Loin de la surnarration à l'œuvre dans les séries,  une large place est faite aux trajets silencieux en voiture ou aux marches au soleil couchant dans les champs ou dans la campagne argentine où se termine le film.

Le film adopte initialement le point de vue de Rafa, professeur à Buenos Aires. Il disparaît cependant à la fin de la première partie ayant compris que Laura lui a échappé. Ezequiel, qui semble d'abord un peu perdu, sait en fait des choses qu'ignore Rafa. Laura a partagé avec lui un secret. Lors de ses recherches sur des femmes importantes de l'histoire à la bibliothèque, en vue d'une chronique qu'elle tenait à la radio locale, elle a découvert des lettres cachées dans des ouvrages. Ces lettres provenaient d'une certaine Carmen Zuna, institutrice dans les années 1960. C'est sur ses traces que se sont lancés Laura et Ezequiel. S'ils ne l'ont pas retrouvée, ils se sont rapprochés de plus en plus l'un de l’autre, et connaissaient un début de relation amoureuse lorsque Laura a disparu.

Rafa comprend que la Laura qu'il a connue n'existe plus et qu'elle s'est engagée dans une aventure amoureuse et professionnelle dans laquelle il n'a plus sa place. Ezequiel croyait être en meilleure position. le parallèle entre l'ancienne histoire d’amour et la sienne soulignée par mise en abîme lorsque Ezequiel, songeant à l’histoire de la femme disparue, prête à l’amant de cette dernière ses propres traits ne pourvait toutefois que finir tragiquement. C'est ce que l'on ne comprend pas dès l'abord avec les mots de Laura qu'il retrouve sur son pare-brise : "adieu adieu, je m'en vais, je m'en vais"qui étaient ceux de Carmen Zuna. Les passages qui décrivent l’enquête menée par Ezequiel et Laura sont les plus obsédants du film emmenés par la Grande Valse brillante de Chopin. Ezequiel pourrait être là le Scotie de Vertigo.

Juliana lui révèlera que Laura voulait vivre avec Elisa et sa compagne, même au prix d'accepter des faits qui n'ont plus rien de scientifiques. Dans son final, Trenque Lauquen s’aventure sur le territoire du réalisme magique. Le récit intègre des éléments de fantastique tout en demeurant ancré dans un cadre réaliste, qui n’est pas bouleversé outre mesure par cette incursion de l’étrange.

Jean-Luc Lacuve, le 17 janvier 2024.