Le boulevard du Temple, au temps de Louis Philippe, avec ses théâtres où se jouent chaque soir des mélodrames aux sanglants dénouements, a été surnommé "Le Boulevard du Crime". C'est là que le comédien Frédérick Lemaitre aborde la belle Garance, mais elle rejoint son ami Lacernaire, personnage inquiétant. Tandis qu'ils regardent la parade des Funambules. Lacenaire vole une montre et disparaît.
Garance va être accusée lorsque Baptiste Deburau, sous son maquillage de Pierrot, mime la scène. Garance en signe de reconnaissance lui jette une fleur. Baptiste aime Garance. Mais Nathalie, la fille du directeur du Théâtre aime Baptiste. Un soir, au cours d'une représentation, une violente bagarre éclate. Baptiste et Frédérick sauvent la situation et font un début triomphant. Ils fraternisent. Baptiste l'emmène loger dans son modeste hôtel "Le Grand Relais".
Au cours de ses vagabondages nocturnes, Baptiste rencontre Garance en compagnie de Lacenaire dans un immonde tripot. Il l'entraîne au "Grand Relais" pour disparaître aussitôt. C'est là qu'elle retrouve Frédérick... Et tandis que sur scène les trois protagonistes interprètent une pantomime où ils parodient les événements réels. Le comte de Montray vient chaque soir admirer Garance.
Quelques années plus tard, Frédérick Lemaitre est devenu l'un des Rois du Boulevard. Baptiste triomphe tous les soirs aux Funambules. Il s'est marié avec Nathalie dont il a un petit garçon, Frédérick le prévient que Garance vient chaque soir l'applaudir. Mais lorsqu'il se précipite dans sa loge, elle a disparu. Elle est rentrée chez son mari, le comte de Montray.
Frédérick remporte un immense succès dans Othello. Après le représentation, le comte se querelle avec Frédérick. Convaincu qu'il est son rival, mais Lacenaire soulève un rideau dévoilant aux yeux de tous Garance et Baptiste enlacés.
Les amants partent pour "Le Grand Relais". Le lendemain matin, le comte est assassiné par Lacenaire aux bains turcs, Nathalie retrouve les fugitifs. Garance s'en va seule sur le Boulevard du Crime, envahi de masques en ce jour de Carnaval, tandis que Baptiste tente vainement de la rejoindre.
Analyse de
Jacques
Lourcelles :
" Ce monument du cinéma français n'a jamais connu d'éclipse
auprès du public même durant la période assez longue (autour
des années 50-70) où il était de bon ton de mépriser
Carné.
On sait que l'idée du film s'imposa à Carné et à Prévert à la suite des discours enflammés que leur tenait Jean-Louis Barrault sur la personnalité de Debureau et sur certaines anecdotes de sa vie. Cependant Debureau n'est pas le personnage principal du film qui, à vrai dire, n'en comporte pas et préfère montrer l'entrelacs, le parcours croisés de plusieurs personnages, rêveurs ou somnambules qui traversent la réalité sur la pointe des pieds et même parfois à quelques centimètres au-dessus du sol.
Moitiés être de chair et de passion, moitiés fantômes, le monologue est leur moyen d'expression privilégié - Pour Baptiste monologue de gestes et d'attitudes. Enfermés dans leur propre destin comme des monades, ils ont du mal à communiquera avec autrui et surtout avec ceux qu'ils aiment. Tous ont une vocation et pour la plupart l'accomplissent, mais c'est alors qu'ils en découvrent la vanité, le caractère illusoire et frustrant. En même temps leur apparaît comme une évidence l'impossibilité de l'amour et du bonheur - tout du moins dans la durée.
Peut-être est-ce Lacenaire, celui des personnages que préférait Prévert, qui va le plus loin dans l'accomplissement de ses désirs, encore qu'il ait raté sa vocation littéraire et que d'une certaine façon Montray soit meilleur assassin que lui puisqu'il peut, grâce à son habileté à l'épée, trucider ses ennemis en parfait homme d'honneur. Seulement Montray voulait lui être aimé pour lui-même, et là sa quête restera vaine.
Comme toujours chez Carné quand il est inspiré, le classicisme minutieux et artisanal de son style fait du film une uvre d'équilibre. Equilibre entre les personnages réels et les personnages inventés, entre le caractère concret de chacun d'eux et leur mythique et théâtral onirisme ; équilibre entre les nécessaires méandres de l'intrigue qui a besoin de temps et de péripéties pour s'accomplir et la place considérable faite au dialogue, équilibre surtout entre l'intimisme et la fresque sociale, même si, en fin de compte, c'est l'intimisme, miroir étrange ; poétique et désespéré du cur des personnages qui a le dernier mot.
Cet équilibre et la richesse inouïe de la distribution, où
chacun des principaux acteurs trouve dans son personnage des échos
profonds de lui-même (religion de l'indépendance morale pour
Arletty, fascination du silence chez Jean-Louis Barrault, dandysme morbide
chez Louis Salou) rendent aujourd'hui le film aussi éloigné
de nous qu'un retable du Moyen âge.
"