Mexique, 1900, pendant le règne du dictateur Porfirio Diaz. Nazarin, humble prêtre vit dans "L'Auberge des héros", tenue par Chanfa une forte femme. Elle ne souhaite pas que l'on installe l'électricité car elle sait que c'est un confort au-dessus des moyens de ses clients. Généreuse, elle accepte de nourrir gratuitement Nazarin lorsque celui-ci se fait dérober le peu qu'il possédait.
Ayant accusé de ce vol la femme qui avait fait le ménage chez lui, Nazarin est pris à partie par ses trois "cousines", des prostituées. Il ne doit qu'à un riche gentilhomme qu'elles ne s'en prennent pas plus à lui. Le gentilhomme fait parler Nazarin sur sa condition de prêtre résidant parmi les pauvres, acceptant humiliation et pauvreté puisque telle semble être la volonté de Dieu. Il lui laisse un peu d'argent que Nazarin s'empresse de donner à un vieil aveugle acariâtre.
Habite également dans l'auberge, Beatriz, amoureuse de Pinto qui l'a séduite et qu'elle a essayé de retenir sexuellement avant qu'il ne l'abandonne pour partir ailleurs. Elle tente de se suicider sans conviction sous les yeux de Chanfa.
Andara, l'une des trois "cousines", la réconforte. Andara a vite fait de comprendre que la "cousine" accusée par Nazarin est une voleuse lorsqu'elle la voit parader avec des gros boutons de nacre qui lui ont été volés. Une rixe s'en suit.
Plus tard dans la nuit, Andara cherche refuge chez Nazarin car elle a tué sa cousine. Celui-ci la soigne jusqu'à ce qu'il doivent fuir après avoir été dénoncés par une cousine. Andara, en voulant masquer l'odeur de son parfum qui pourrait accuser Nazarin, fait un brasier dans la chambre de celui-ci. Les flammes finiront par détruire l'auberge.
Le lendemain, un prêtre plus haut placé recommande à Nazarin de fuir car il est accusé de l'incendie et de moeurs scandaleuses. l'évêque lui déconseille toutefois de s'en aller comme un pèlerin faisant l'aumône. C'est pourtant ce que fait Nazarin.
Nazarin provoque une rixe mortelle entre un contremaître et ses ouvriers après s'être fait embaucher en demandant un repas pour seul salaire.
Il arrive ensuite par hasard dans le village de Beatriz qui le reconnaît et lui demande de venir chez sa sur sauver sa nièce malade. Là Andara, Beatriz et toutes les femmes exigent de lui qu'il fasse un miracle. L'enfant guérit et Beatriz et Andara décident d'accompagner Nazarin dans son errance;
Celui-ci fait des remontrances à un colonel, essaie de sauver l'âme d'une femme condamnée par la peste mais échoue car elle refuse de cesser de penser à l'homme qu'elle aime. Dans le village où tout trois ont trouvé refuge, les gens médisent et la police ne tarde pas à les retrouver. Ujo, un nain qui voudrait vivre avec Andara, ne peut les empêcher d'être arrêtés.
Pinto voudrait récupérer Beatriz mais celle-ci, exaltée, veut suivre Nazarin en prison. En chemin, certains des prisonniers du convoi narguent Nazarin. Un parricide le corrige même dans le cachot, mais un criminel pilleur d'églises lui vient en aide. Lorsque Nazarin est écarté des autres prisonniers par l'intervention du clergé qui veut éviter une arrestation trop humiliante, Beatriz revient chez sa mère. Celle-ci lui fait comprendre qu'elle est amoureuse de Nazarin. Acceptant cette douloureuse vérité qui la renvoie à son désir charnel, Beatriz accepte de partir avec Pinto.
Andara accompagne les prisonniers et déforme déjà les paroles de Nazarin. Celui-ci marche sur la route. Béatriz, la tête appuyée sur l'épaule de Pinto ne le voit pas, lui non plus. Hagard, il entend des roulements de tambour qui évoquent plus probablement sa folie qu'une éventuelle condamnation à mort qui en ferait un martyr.
Dès 1947, Bunuel avait acheté les droits du roman Nazarin en Espagne et les avait revendus à un producteur, faute d'avoir trouvé assez d'argent pour réaliser tout de suite le film.
Son scénario terminé, Bunuel passe plusieurs mois à chercher l'acteur devant incarner son protagoniste principal, sans succès. C'est finalement le producteur du film qui appellera Bunuel et lui proposera Francisco Rabal, aperçu dans un film tourné au Mexique pour jouer Nazarin.
Nazarin est l'un des films les plus naturalistes et impitoyables de Bunuel. Le milieu réel, actuel, social, ici ironiquement dénommée "Auberge des héros", n'est que le médium d'un monde originaire qui se définit par un commencement radical, une ligne de plus grande pente, et une fin absolue.
Le lieu primordial est la chambre dépouillée de toute décoration de Nazarin. Celui-ci dévale la pente de sa générosité sans borne. Andara qu'il a recueillie et protégée finira par faire flamber la chambre... et toute l'auberge.
Dans "L'Auberge des héros" se mêlent les pulsions à la sainteté de Nazarin et celles sexuelles de Beatriz. L'un cherche à échapper au monde réel par le haut, l'autre voudrait éviter d'être happée par ses pulsions qui la font se convulser sur le sol. Les pulsions sexuelles de Beatriz la conduisent à la mort comme elle le ressent lorsque, dans une vision déformée par l'effet de l'alcool, elle se rêve en train de mordre jusqu'au sang la lèvre de Pinto et lui déclarant: "je te viderai de tout ton sang". Beatriz suit Nazarin en espérant échapper à son destin par l'extase mystique mais sa mère l'accusera d'être amoureuse de Nazarin, déclenchant une crise d'hystérie chez la jeune femme. Ramenée au sol encore une fois, elle ne peut qu'accepter de repartir avec son ancien amant.
Andara, souillée par l'existence réelle n'a pas cette chance, ses désirs sont immédiats : retrouver ses boutons de nacre, de l'alcool et de la chaleur humaine. Soumise à toutes les superstitions, elle ne voit pas que la seule vie acceptable pour elle est d'accepter l'amour du nain Ujo.
Bunuel, peu politiquement correct, emploie très souvent les nains et les infirmes à comme le symbole d'une sous-humanité à laquelle les contraint les gens dits normaux. Ici Ujo, un peu comme Beatriz dans ses crises d'hystérie, est lié au monde originaire en ce sens qu'il reste rattaché à la matérialité de la terre. Il lui faut ainsi du temps pour apparaître parmi la haute végétation lorsque le trio tente de fuir et, une fois arrêté, il ne pourra le suivre, s'écroulant de fatigue après quelques pas. A l'opposé, Ujo avait su se mettre en scène sur le parapet de la fontaine lors de sa première déclaration amoureuse comme il prendra soin la fois suivante où il déclare sa flamme de grimper sur le rebord de la fenêtre à l'aide des barreaux de la prison.
On a sans doute trop souvent dit que Bunuel n'accordait aucune circonstance atténuante à Nazarin pour sa conduite si manifestement en désaccord avec une saine compréhension de la réalité.
On voit mal en effet Bunuel se faire le chantre de l'acceptation de la réalité. En montrant Nazarin se sacrifiant pour les déshérités tout en sachant qu'il ne peut trouver, sur cette terre, qu'incompréhension, rebuffades, violences physiques et morales, Bunuel se contente, me semble-t-il, de montrer la vanité d'une telle situation qui ne peut conduire qu'à la folie.
La référence à un Don quichotte essayant de se construire une réalité idéale non par les armes mais par la foi est sans doute plus exacte. A la différence près que c'est ici la réalité qui se chargera de rendre fou Nazarin.
Si la symbolique de l'ananas que la marchande offre à Nazarin m'échappe celle de l'escargot qu'il ramasse le soir au coin du feu avec Beatriz et Andara renvoie peut-être au miracle de l'Incarnation. Si on en croit Daniel Arasse, l'escargot est présent dans les Annonciations car l'on croyait qu'il était fécondé par la rosée. Nazarin et Béatriz rêvent bien à cet instant d'échapper aux pulsions du monde dans un idéal de pureté.
Nazarin fait ainsi le tour des échecs de la sexualité (Beatriz condamnée à subir Pinto) du réel (Andara trimballée de prison en prison) et de l'aspiration à l'idéal (Nazarin probablement fou).
Jean-Luc Lacuve, le 18/04/2006.