Au tribunal de Cleveland s'ouvre le procès fictif de la ville contre Wall street. Sont réunis dans la salle d'audience le juge Thomas J. Pokorny qui arbitrera les débats, huit jurés choisis parmi un panel de gens disponibles, quelques spectateurs dont les voisins ou la famille sont impliqués dans ce procès dont Barbara Anderson égérie des manifestations populaires en ville, Josh Cohen et ses associés, avocats de la ville de Cleveland et Keith Fisher avocat des banques qui a bien voulu joué, tel un mercenaire habitués des procès bancaires, le rôle du défenseur de Wall street.
Le premier témoin est un policier de la ville qui a procédé à quelques expulsions dont celle d'une grand-mère dont il ne s'est pas remis. Il n'a plus supporté ce poste et fait désormais un travail administratif au commissariat.
Frederick Kushen va être expulsé dans quinze jours. Ayant déjà des problèmes pour rembourser les emprunts de sa première maison, il a pris le risque d'en acheter une seconde, espérant la rembourser avec les loyers de la première. Mais son locataire s'avérant défaillant, ce sont ses deux maisons qu'il va perdre dont celle qu'il occupe avec sa femme et les deux enfants de celle-ci. Keith Fisher a beau jeu de lui faire dire qu'il a eut les yeux plus gros que le ventre et que les banques ne sont nullement responsables de la prise de risque inconsidérée qu'il a prise pour s'enrichir. Son fils, appelé à témoigner, demande à Josh si son beau- père a encore une chance de rester dans leur maison. Josh sait que non et le lui montre.
La plus âgée des jurées explique à son mari que le procès examine la façon dont les gens vont pouvoir s'en tirer face aux emprunts.
Raymond Velez a acheté sa maison pour 26 000 dollars. Lorsqu'il a voulu augmenter son crédit à la consommation, sa banque lui a accordé un prêt de 14 000 dollars en se basant sur une estimation de sa maison de 40 000 dollars. Ce n'était pour elle qu'un jeu d'écriture lui permettant d'empocher un taux d'intérêt de 8,5 % très supérieur aux 5% d'un crédit normal. Raymond Velez, content d'obtenir son prêt, n'a pas compris qu'il devrait rembourser un "subprime", un taux augmenté, pour tenir compte du risque de non-remboursement que prenait la banque. Pire, lorsqu'il n'a plus été capable de rembourser, un courtier est venu lui proposer un nouveau prêt de 31 000 dollars basé sur une estimation de sa maison à 71 000 dollars mais avec un taux de 14 %. Josh s'indigne de l'argent qu'a dû débourser Raymond Velez mais Keith Fisher aura encore une foi le dernier mot en prouvant l'inconscience de Raymond Velez qui accepterait, encore aujourd'hui, un nouveau crédit à la consommation.
La plus jeune des jurées, une jeune femme noire qui élève ses deux enfants, s'indigne de la carence de l'état qui laisse les gens sans éducation à la merci de courtiers sans scrupules qui s'enrichissent en s'attaquant aux plus pauvres.
Keath Taylor est justement l'un de ces courtiers. Ex dealer, il s'est reconverti dans le placement de prêts lorqu'il a répondu à une femme faisant une demande au téléphone chez un "client" banquier. Son assurance en calcul mental et règle de trois, acquise en tant que vendeur de drogue, lui a valu d'être embauché pour cette activité bien plus lucrative. Ses proies, il les repérait au téléphone. Les banques ont fermé les yeux sur la très faible solvabilité des emprunteurs. Depuis, il a renoncé à ce travail.
Barbara Anderson le remercie de son témoignage courageux. On s'en prend toujours aux pauvres et aux noirs.
Le conseiller municipal, Robert Kole, élu du quartier Est, témoigne des coûts faramineux pour la ville de l'entretien des maisons et jardins abandonnés pour que la criminalité ne s'étende pas.
Michael Osinski, ingénieur informaticien et inventeur honteux du logiciel dont les banques se servirent pour mener la planète à la banqueroute explique le mécanisme de la titrisation.
Josh pense qu'il va gagner mais veut faire entendre encore un témoin
Peter Wallison, ex-conseiller de Ronald Reagan et chantre toujours convaincu de la dérégulation du marché, est interrogé par Kathleen Engel. Elle pointe le fait qu'il soit venu trois fois à Cleveland récemment sans venir voir la situation des quartiers Est.
Chez lui Josh est confiant. Il sait qu'au moins un des jurés (qui a demandé si les emprunteurs expulsés savaient lire) votera contre lui.
Délibération du jury. Il faut une majorité des trois-quarts c'est à dire six voix sur huit, pour obtenir un verdict dans un sens ou dans l'autre. Cinq sur huit. Les cinq hommes et femmes qui condamnent les banques sont bien d'accord que celles-ci ne sont pas les seules responsables. Mais il s'agit de protester contre une situation injuste. Désigner les banques comme coupables fera avancer les choses dans le bon sens. Les trois votants "non-coupable" s'en tiennent à la pure raison qui refuse de désigner un bouc émissaire facile face à une incurie généralisée.
Le verdict est donc un échec pour Josh. Keith Fischer peut sourire devant la non condamnation des banques.
Mais le combat continue. Un camion de CBS retransmet dans l'Amérique entière le questionnement de Barbara au président sur la situation profondément scandaleuse du quartier est de Cleveland. Le président Barak Obama est d'accord avec elle. Il promet de s'attaquer au problème.
Un carton nous annonce pourtant, qu'un an après, les saisies continuent.
Dans la rue, hommes et femmes de Cleveland, dépouillés de leur maison ont gardé leur dignité pour affirmer leur colère envers un système qui enrichi une minorité inconsciente et irresponsable sur le dos de milliers de pauvres gens. Leur visage sévère, face caméra, est une charge qui explosera un jour.
Le 11 janvier 2008, Josh Cohen et ses associés, avocats de la ville de Cleveland, avaient assigné en justice les 21 banques qu'ils jugent responsables des saisies immobilières qui dévastent leur ville. Jean-Stéphane Bron convainc alors des producteurs de financer un documentaire qui retracera ce procès comme un témoignage des rouages du système capitaliste contemporain. Mais les banques de Wall street, avec leurs multiples avocats, parviennent à repousser toujours l'ouverture d'une procédure.
Sachant très faibles les chances de voir un jour aboutir ce procès, Jean-Stéphane Bron transforme le documentaire classique d'un procès en documentaire de fabulation, genre défini par Gilles Deleuze comme étant un film joué par des personnes interprétant leur propre rôle sur une trame fictionnelle définie par le metteur en scène.
Trois semaines de présence à Cleveland et dix jours de tournages avec les témoins vont donner lieu à ce film qui est bien plus qu'un film de procès, bien plus qu'une exploitation chanceuse de la crise des subprimes qui intervient au début du tournage. Dans le dispositif très simple imaginé par Bron, c'est en effet non seulement la réalité des habitants de Cleveland qui entre dans le prétoire mais aussi l'économie et le politique. Cas concrets, explications économiques et réflexions politiques entrent en transe pour des "énoncés multiples et non consensuels" qui définissent le véritable film politique tel que l'entend Gilles Deleuze.
Un dispositif très simple qui recueille la complexité du monde.
Le film est composé d'une introduction, de sept témoignages dans la cour de justice entre lesquels les intervenants (jurés, témoins, Barbara et avocats) sont brièvement interviewé, d'une délibération du jury et d'une conclusion.
L'introduction explique avec l'aide de quelques photographies du quartier, l'option choisie par Bron lorsque le procès réel n'a pu avoir lieu. Le premier témoignage du policier s'accompagne aussi de photographies manifestement prises après coup. Ce début est peut-être le moment les plus faibles du film. Les photographies marquent comme un déficit à se saisir de la réalité, bien loin des performances réussies par Michel Moore avec ses mises en scènes de saisies dans Capitalism, a love story. Cependant, à la différence de l'Américain qui choisit une attaque joyeuse et pamphlétaire tout azimut contre le système capitaliste, Bron soigne la progression de ses témoignages successifs, du plus concret de l'exploitation capitaliste aux raisons les plus abstraites.
On passe ainsi de la saisie, aux causes de celle-ci vues au travers des gens expulsés puis d'un courtier rouage essentiel de la tragédie. Suivent, la vision qu'en à la ville, l'explication économique concrète due aux subprimes et à la titrisation puis les raisons politiques de cette tragédie : l'enfermement dans leur sphère théorique des dirigeants politiques.
Des subprimes à la banqueroute
Le déroulé des sept témoignages explique de A à Z, de façon particulièrement pédagogique, la façon dont les subprimes ont conduit à la banqueroute de plusieurs banque par le mécanisme de la titrisation.
Les subprimes sont le taux de crédit supplémentaire auquel sont tenus de rembourser ceux qui empruntent dans une situation particulièrement difficile. Ce taux leur est imposé par les banques en contrepartie du risque d'insolvabilité qu'elles prennent en leur faisant crédit. Ici Raymond Velez, content d'obtenir son prêt, n'a pas compris qu'il devrait rembourser un "subprime", un taux d'intérêt de 8,5 % très supérieur aux 5% d'un crédit normal sans parler de l'exorbitant 14% qu'il accepte sur son second prêt.
S'il est scandaleux de faire payer les plus fragiles davantage que ceux dont les bases financières sont plus saines, on notera pourtant qu'il s'agit là d'une possibilité offerte par le "rêve américain" de permettre à chacun de s'en sortir. Dans des conditions normales de vive croissance et d'emploi assuré, un taux d'intérêt supplémentaire de 3,5 % peut être une solution à court terme.
Par ailleurs, les sommes empruntées peuvent être considérables du fait, autre particularisme américain, qu'elles peuvent être globalisées et fondées sur la valeur de la maison, patrimoine auquel de nombreuses classes pauvres et moyennes sont fortement attachées. Michael Moore dans Capitalism, a love story, avait pointé cet appel inconsidéré à l'emprunt qu'avaient promu les banques pour faire face à la stagnation des salaires des classes moyennes. Les salaires n'augmentent pas mais, comme la croissance existe dans le pays, on fait croire aux Américains que leur maison prend de la valeur et on les incite à emprunter sur celle-ci par une hypothèque. S'ils n'arrivent plus à faire face, leur maison vaudra la somme convenue et, en la revendant, ils pourront éponger leur dette.
Raymond Velez a acheté sa maison pour 26 000 dollars. Lorsqu'il a voulu augmenter son crédit à la consommation, sa banque lui a accordé un prêt de 14 000 dollars en se basant sur une estimation de sa maison de 40 000 dollars. Lorsqu'il n'a plus été capable de rembourser, un courtier est venu lui proposer un nouveau prêt de 31 000 dollars basé sur une estimation de sa maison à 71 000.
Dans une séquence, on voit sa maison vendue aux enchères 30 000 dollars, ce qui n'est pas si mal compte tenu de la dépréciation de certains quartiers de Cleveland mais bien loin des 71 000 dollars évalués par le courtier. Avec le produit de la vente, il n'a en fait que de quoi éponger le capital dû et se retrouve, au mieux, sans rien, au pire avec les dettes dues aux remboursements des intérêts non effectués qui ont conduit à la saisie.
Cette spirale vers de la pauvreté est accélérée par les courtiers, sous-traitants des banques pour la prospection, rémunérés en fonction du montant du crédit et du taux d'emprunt comme le rapporte Keath Taylor. Les banques lui achètent le crédit qu'il a obtenu sans vérifier la solvabilité de l'emprunteur. Cette carence est aussi celle des autorités locales et fédérales qui ferment aussi les yeux.
D'individuel à locale la spirale infernale s'est étendue au monde entier par le mécanisme de la titrisation rendu possible par le logiciel inventé par Michael Osinski, ingénieur informaticien. celui-ci a d'abord inventé un logiciel permettant de normaliser tous les emprunts, auparavant remplis selon des formulaires tous différents. Grâce à ce logiciel, acquis progressivement par les plus grandes banques, il devenait facile de regrouper des milliers d'emprunts souscrits pour des montants différants, avec des taux et des durées différentes et de voir ce qu'ils rapporteraient à telle échéance. Accumulés en paquets de centaines d'emprunts avec des caractéristiques répondants à des demandes de risques et de gains variables, sont ainsi nés des titres financiers vendus entre banques.
Michael Osinski n'a pu ensuite que constater les profits exorbitants faits à partir d'emprunts subprimes... tant que les banques ont eut confiance dans le remboursement des prêts devenus progressivement impossible face à la situation faite aux emprunteurs qui, par ailleurs, ignorants quelle banque détenait leur prêt n'avaient plus les moyens de les renégocier.
La révolte des pauvres gens
Peter Wallison, ex-conseiller de Ronald Reagan est le chantre toujours convaincu de la dérégulation du marché : 5000 ans de civilisation sous contrôle étatique, dit-il, n'ont jamais apporté autant de prospérité que les 200 dernières années où fut inventée l'accumulation du capital. Si globalement l'affirmation n'est pas obligatoirement fausse, c'est faire peu de cas de tous ceux qui restent au bord du chemin et dont le capitalisme n'a rien à faire. Enfermé dans sa bulle de prospérité, Peter Wallison n'a pas confronté son discours à la misère des quartiers Est de Cleveland. Pour ceux-ci le combat continue et probablement par d'autres moyens que par l'utilisation des rouages des institutions existantes.
Bron a la grande chance d'obtenir en fin de procès, un verdict en forme d'échec d'une condamnation des banques. Les cinq hommes et femmes qui condamnent les banques sont bien d'accord que celles-ci ne sont pas les seules responsables. Mais il s'agit de protester contre une situation injuste. Désigner les banques comme coupables fera avancer les choses dans le bon sens. C'est une rébellion contre l'institution judiciaire instrumentalisée comme un outil de lutte de classe.
Pour autant, les trois votants "non-coupable" qui s'en tiennent à la pure raison qui refuse de désigner un bouc émissaire facile face à une incurie généralisée, ne font que perpétuer l'irresponsabilité sociale du capitalisme.
Ce procès de fiction n'a pas pour but de satisfaire à bon compte ceux qui dans le camp des opprimés pensent qu'il suffit de croire en l'état de la justice actuelle. La conclusion de Bron expose deux alternatives au-delà ou en déça de l'institution judiciaire. D'une part l'appel, réel cette fois, de Barbara au président Obama est une possibilité, sans doute longue, de voir le pouvoir politique contrebalancer le pouvoir économique. En cas d'échec, les figures révoltées de la fin sont un appel clair à changer le système grâce à la décharge d'une colère trop longtemps contenue.
Jean-Luc Lacuve le 23/08/2010