Je vous ai toujours aimé

1946

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Genre : Mélodrame

(I've Always Loved You). Avec : Philip Dorn (Leopold Goronoff), Catherine McLeod (Myra Hassman), Bill Carter (George Sampter), Maria Ouspenskaya (Madame Goronoff), Felix Bressart (Frederick Hassman), Elizabeth Patterson (Mrs. Sampter), Vanessa Brown (Porky à 17 ans), Gloria Donovan (Porky à 5 ans), Lewis Howard (Michael Severin). 1h57.

Chez une riche mécène de Philadelphie, Leopold Goronoff parade. Maître que tous vénèrent, il écoute distraitement et sans ménagement jeunes gens et jeunes filles qui, accompagnés de leur professeur, viennent essayer de décrocher une bourse d'étude qu'il attribuera selon son bon vouloir. Il reconnaît dans l'assistance son vieux camarde et compatriote Frederick Hassman auquel il reproche d'avoir gâché son talent en devenant paysan depuis son arrivée en Amérique. S'enquièrant du motif de sa venue, il aperçoit sa jolie fille Myra dont il écoute le jeu au piano avec bienveillance.

Myra revenue dans sa campagne du new -Jersey retrouve George son ami d'enfance qui l'a toujours aimée. Arrive à l'improviste Goronoff qui annule uen tournée de concert à new York et en Europe pour servir de professeur à Myra. Au bout d'un mois, il a pu apprécier ses facultés à éloigner les gêneurs -son ancienne maîtresse. Il décide de l'emmener avec lui pour une tournée de concert à Prague et Rio de Janéro.

Goronoff présente Myra à sa mère qui apprécie la jeune femme et son incontestable talent musical. Elle semble même s'inquiéter des lettres que lui envoie George et compatit à l'annonce du décès de son père. Goronoff continue d'enseigner la musique à Myra qui souffre de ses perpétuelles aventures sans lendemain -auxquelles elle contribue en sabotant la sonate au clair de lune qu'il lui demande de jouer pour une belle blonde..à laquelle il promettra imprudemment le mariage.

Au bout de deux mois, Myra demande à Goronoff de jouer un concert dans une petite ville. Estimant qu'elle est prête, il lui promet Carnegie Hall.

Lors du concert de Carnegie Hall, Myra doit interpréter le second concerto de Rachmaninov. Elle joue bien, trop bien et va voler la vedette à Goronoff qui, de dépit, écrase son jeu sous l'orchestre. Myra fuit et retourne à Philadelphie.

A Philadelphie, George se déclare à elle et la demande en mariage. Myra accepte en le parvenant que si Goronoff revient la chercher, elle partira avec lui. Quelques temps plus tard, c'est madame Goronoff qui débarque, elle connaît la douleur de son fils mais voyant Gorge si amoureux de sa femme, elle décide de repartir. Elle écoute Myra jouer le même morceau que son fils interprète à new York sachant que c'est uen façon de l'appeler. Elle ignore cependant que cet appel est vital pour Goronoff qui, lorsque Myra cesse soudain de jouer, s'interrompt en plein concert.

Cinq ans plus tard, Mira et George jouent avec leur fille, Porky. Malgré les demandes pressantes de ces deux derniers, Myra ne veut pas renoncer à son vœu de ne plus jamais toucher à un piano. Au même moment, Goronoff s'aperçoit qu'il est amoureux de Myra mai sa mère lui révèle qu'elle est mariée et lui fait promettre de ne plus chercher à la revoir. Goronoff promet avec pour seul espoir que ce soit Myra qui vienne le voir. madame Goronoff meurt en écoutant son fils jouer

Porky a maintenant quinze ans. Son père et elle vont deux fois par jour à New York. Myra reçoit ainsi un soir Porky et un jeune homme, Severin, qui la reconnaît et s'avère être le chef du conservatoire. George avoue qu'il prépare depuis longtemps sa fille à la musique. Il est toutefois inquiet sur ces capacités à résister aux réactions du public et demande à sa femme de faire écouter le jeu de Porky à Goronoff. Myra finit par accepter.

Goronoff écoute distraitement Porky. Au concert, George attend le résultat de l'audition. Porky arrive seule. Le speaker annonce que Porky cède sa place à sa mère, Myra dont tout Carnegie Hall se souvient quinze ans après. Severin laisse sa place à Goronoff. A la fin du concert, Myra se lève pour embrasser George auquel elle déclare l'avoir toujours aimé.

Admirable mélodrame présenté sur F3 en septembre 2006 après son passage à Beaubourg en mars de la même année dans le cadre de la carte blanche donnée à Martin Scorsese :

"Borzage croyait profondément en l'amour passion, en l'amour comme état transcendant. On le voit, on le ressent film après film. Ce qui explique sûrement qu'il ne soit pas à la mode aujourd'hui. Il n'y a rien de "branché" dans L'Idole, Sur le velours ou Je vous ai toujours aimé, pour ne nommer que quelques titres favoris. Ils semblent très éloignés de la vie moderne. Ce qui veut dire qu'ils ne viennent pas à vous, il faut aller les chercher...Leur pouvoir spirituel tient à ce que pour Borzage, l'amour est sanctifié, préservé du monde extérieur. Il traverse toutes les barrières, et il est plus puissant que le mal... L'union spirituelle de Philip Dorn et Catherine McLeod est traduite par une série de grandioses mouvements d'appareil qui les associent chaque fois qu'ils jouent ensemble" (Martin Scorsese, préface de l'édition américaine du livre d'Hervé Dumont, Frank Borzage, Cinémathèque française, 1993)

L'union spirituelle de Myra et Leopold passe par leur besoin de jouer ensemble de la musique. Leopold refuse cette communion sous prétexte que les femmes n'ont pas leur place en musique. Il est heureux avec Myra à Philadelphie ou Rio tant qu'il est le maître, le professeur. Ce n'est qu'à la fin, après avoir reconnu des années plus tôt qu'il aimait Myra et lorsqu'il est trop tard, qu'il reconnaît le talent exceptionnel de la jeune femme.

La beauté de ce mélodrame provient de sa douceur. Ces deux êtres ont préservé leur domaine : l'un sera resté avec la musique et l'autre avec l'amour. Mais ils resteront déchirés pour n'avoir pu lier ces deux passions alors qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. C'est ce que prouve la très Borzegienne séquence ou Myra et Goronoff jouent ensemble, éloignés de centaines de kilomètres et s'arrêtent ensemble, elle pour en finir avec la musique, lui stoppé en plein concert.

La mise en scène du concert de Carnegie Hal, qui arrive un peu avant la mi-temps du film et dure plus d'un quart d'heure, exprime splendidement ce déchirement. Scorcese a certainement raison d'y voir une série grandiose de plans même si les mouvements d'appareils se résument à quelques travellings avant. L'important est bien la succession des angles de prise de vue qui rapprochent ou éloignent Myra et Goronoff. La dramaturgie est exprimée par trois groupes de spectateurs qui commentent le drame : les mélomanes avertis autour de George, le critique et madame Goronoff et les trois machinistes.