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Little Boy

2025

Avec : James Benning, Yusef Ferguson, Yuan Gao, Johnan Jahromi, Nathan Meier, Nelson De Los Santos, Alessandro Streccioni, Calum Walter. 1h14.

Le film est composé à partir de dix maquettes, des modèles peu onéreux et disponibles dans le commerce. La plupart sont des éléments de décors destinés à agrémenter des circuits de train miniatures. Ici, nous voyons consécutivement la construction d’un élément de maquette, puis une image fixe de l’objet fini – soit, comme toujours, la structure avant l’image. Sur le recto, les mains affairées à leur minutieux labeur travaillent en musique ; sur le verso, un discours historique accompagne la présentation du modèle réduit. Le tout s’ordonne chronologiquement, depuis la reproduction en jouet d'un squelette de tyrannosaure, espèce datant d’il y a 81 millions d’années jusqu'à un modèle réduit de la bombe atomique.

"Maybe I’m still a little boy" répondait James Benning, soixante-sept ans à l’époque, à une spectatrice parisienne qui l’interrogeait en 2009 sur la raison de l’obsession ferroviaire manifestée par RR, composé de dizaines de plans de trains traversant des paysages nord-américains. Il l’est toujours à quatre-vingt trois ans, même si ce nouveau film, Grand prix du cinéma du réel 2025, ne montre ni wagons ni locomotives mais une préoccupation politique plus nettement marquée.

A little boy

Dans sa manière de faire écho aux passe-temps de l’enfance, Little boy est le compagnon d’American Dreams (lost and found) (1984), dont il reprend la structure en recto-verso jadis appliquée à des cartes de collection sur le baseball.

Il faisait alors coïncider dans le même espace musique et voix, image et lecture d’un journal intime, ce qui rendait indéchiffrable le film dans son instantanéité, d’autant plus pour un spectateur non-américain qui ne pouvait pas saisir toutes les références. Il ne s’agissait pas de comprendre tout ce qui pouvait se passer à l’écran, mais de replonger le spectateur dans une époque, avec des musiques et des allocutions allant de 1951 à 1972. On pouvait voir la figure du joueur de baseball des Milwaukee Braves, Hank Aaron, évoluer par le biais de ces cartes imprimées à son effigie. Idem pour les musiques (Johnnie Ray, Elvis Presley, Frank Sinatra...) ou bien pour les discours prononcés par Malcolm X, Angela Davis, Nixon... Cet amas de données était également parcouru par les paroles extraites du journal intime d’Arthur Bremer – un habitant de Milwaukee qui a tenté d’assassiner Georges Wallace, candidat démocrate à la présidence américaine. Les trois hommes qui revenaient le plus dans le film (Benning, Aaron et Bremer) étaient donc tous originaires de la même ville mais aux trajectoires de vie drastiquement éloignées.

Bien que Little Boy soit similaire dans sa configuration, il diffère par sa réduction de saturation informationnelle : plus de texte qui défile. Le dispositif mis en place, composé de scènes de construction de maquettes et de leur exposition une fois édifiées, s’apparente à un récit initiatique documentaire. Là où il revenait sur 30 ans de sa vie en 1984, Benning choisit de commencer son film sur un vestige, celui d’une reproduction en jouet d’un squelette de tyrannosaure, espèce datant d’il y a 81 millions d’années. C’est cette première manifestation qui, en plus du titre du film, fait appel à l’imaginaire juvénile qui sommeille dans l’esprit du spectateur occidental et du réalisateur.

Benning filme ces bâtiments miniatures comme traces et supports de traces. Celles des ouvriers exploités pour leur réalisation mais aussi celle des morts qui suivent ces entreprises : Northrop Grumman, constructeur aéronautique célèbre pour l’élaboration du module lunaire Apollo ; General Dynamics, société de conception et de fabrication d'avions militaires ; ou encore Raytheon, énième compagnie militaire. La contestation se manifeste également par la marque laissée, de l’auteur le plus légitimé au plus anonyme. Notamment le Barking dog et le Radiant Baby de Keith Haring sur un silo ou bien un « fuck Trump » sur une usine, lors d’une séquence où l’on peut entendre Hillary Clinton revenir il y a 10 ans de cela, sur la relation entretenue entre les États-Unis et le Pakistan.

Les petites mains de la politique

L’être humain est majoritairement désincarné dans son cinéma, on ne filme que l’empreinte de son passage et ce qu’il peut bien rester de l’espace qu’il a choisi de dominer. La présence humaine dans Little Boy est directe puisqu’il filme des parties de corps, fait si rare dans son cinéma qu’il mérite mention. Hasard fait bien les choses, la singularité du film réside également dans le choix de ces artistes peintres, ces petites mains qui construisent le film brique à brique, sont en majorité gauchers, comme le réalisateur. Lien purement imprévu mais qui lui a permis de faire le parallèle avec son vécu où il était contraint par ses professeurs de devoir écrire, selon la norme, de la main droite : encore un rappel indirect au passé.

Le politique, matière active chez lui, se glisse par couche dans son film, à la manière des coups de pinceau donnés par les personnages. Que ce soit par ceux qui produisent le discours (Reagan, Clinton, Eisenhower…) ou le contre-discours (MLK, Malcolm X, Bob Dylan, César Chávez...) ou encore par des bâtiments érigés, usines où la mort finit par en sortir. Ce qu’il filme, comment il le filme et la manière dont il agence les images soude esthétique et politique. Il joue avec les attentes du spectateur en adoptant une forme à contre-courant de ce que la production audiovisuelle de masse peut générer.
Le plan final, nous laissant voir une reproduction de la bombe atomique qui a causé l’infâme à Hiroshima, ne fait que confirmer ce dont on se doutait jusqu’alors. En choisissant de faire le portrait des États-Unis par sa course à l’armement et la quête de profit qui en découle, l’assemblage de ces modèles en devient beaucoup moins innocent. En filmant plusieurs acteurs d’âge différents et en finissant par se filmer lui-même, le réalisateur de Milwaukee élabore un film teinté d’un recul critique, résultat de la rencontre entre l’intime et le social, entre la petite histoire et la grande

Milann Baupin, le 15 avril 2025

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